Livre 1 - SAKH-ALBUR (17)

9 3 0
                                    

- Nom d'un... Héli !! Sankh semblait presque paniqué. Regarde ça.

- Viscères de Skerbul... Lâcha le géant en voyant le drapeau.

Sur un fond noir, deux ailes grises étaient représentées autour d'un heptagone blanc.

- Par tous les golems... On arrive trop tard enrichit Fahnish.

- C'est quoi ce symbole ? Je l'ai vu en rêve ! Il y a un lien avec le loup blanc !

- Oui répondit Sankh. C'est le drapeau Ksor. Ils ont pris la cité.

- Quoi ?!

- Regardez devant vous, Oleïa. Dit Héli d'une voix grave.

Ils étaient sur le point de sortir du tunnel, et à l'horizon la capitale était enfin en vue. Ou plutôt les ruines carbonisées et encore fumantes qui avaient été Irkish.

- Des Ksors qui s'aventurent si loin au sud et en nombre suffisant pour détruire Irkish... souffla Sankh qui ne quittait pas les décombres des yeux. Je n'arrive pas à y croire... Je dois aller dès maintenant en Ilanor informer le Comte. Si ce n'est pas déjà trop tard, il est probablement leur prochaine cible.

Il se caressa la barbe pensivement un moment, perdu dans ses pensées, puis donna ses instructions d'une voix beaucoup plus autoritaire qu'à son habitude.

- Héli, Fahnish, rendez-vous à la Boucle pour prévenir Shanwir. Qu'il rassemble les Impériaux et qu'il se prépare à un siège, les Ksors chercheront à libérer le passage du désert pour mettre le reste de leur armée en mouvement.

- Entendu. Répondit Héli, si vous pouvez me promettre qu'Oleïa sera en sécurité en mon absence.

- Elle sera avec l'Oracle, répondit Sankh, plus calmement. Mon vent la guidera à l'aller, et je doute qu'elle la laisse revenir seule sur ses pas.

- Hmmfffmf... maugréa Héli, loin d'être convaincu. De toute façon nous n'avons pas le choix.

Il s'approcha de Sankh, si bien qu'Oleïa ne put entendre ses paroles. « Je ne serai pas responsable de la fin de la lignée des Drasskane une deuxième fois, Sankh. Je n'ai pas le choix aujourd'hui, mais c'est la dernière fois que je la quitterai. » Sankh hocha la tête d'un air entendu.

- Fahnish ?

- Ça me va, dit simplement Fahnish.

- Nous ne pourrons pas communiquer, Dalkane. Continua le vieux. Ce serait trop dangereux, et je n'ai plus d'espion. Nous nous retrouverons rapidement, je n'ai aucun doute à ce sujet. L'Oracle vous indiquera le chemin en temps voulu.

Héli s'approcha de sa protégée et prit sa main dans les siennes.

- Faites attention à vous Oleïa. Si tout va bien nous nous reverrons avant la prochaine lune... Et souvenez-vous, elle dort avec vous elle marche avec vous et elle se lave avec vous, récita-t-il en montrant l'épée qu'Oleïa portait à la ceinture.

- Euh... vous êtes gentils tous, mais j'y vais comment moi voir l'Oracle ? Je doute qu'il y ait des capitaines à Irkish maintenant...

- Il te suffit de rester sur ce bateau, tu y arriveras, fais-moi confiance, répondit Sankh. Mon vent te mènera à bon port. Fahnish, Héli, il vous faut partir maintenant. Bonne chance !

- Que les esprits veillent sur toi, Sankh, dit Héli solennellement.

- Sur toi aussi, Héli, sur toi aussi.

Fahnish prit Oleïa dans ses bras et lui glissa « Je t'aime bien, à bientôt ! » à l'oreille. Une seconde plus tard, Sankh lui donnait une tape pleine d'affection sur l'épaule, puis en un même geste, Fahn et Héli sautèrent hors du bateau. Lorsqu'ils atteignirent l'eau ils n'étaient plus des Eriomiks mais un grizzly et un gros varan, qui disparurent rapidement derrière les collines.

- N'aie crainte, Oleïa. Dit le sage. Quoi qu'il se passe, écoute l'Oracle, et retiens tout ce qu'elle a à t'apprendre. Quand nous nous retrouverons, tu ne seras peut être plus la même, mais tu connaîtras bien mieux ton pouvoir, et certaines questions auront enfin des réponses. Si les Esprits le veulent... ajouta-t-il à voix basse.

- D'accord... murmura Oleïa, perdue dans tous ces changements soudains. Où allez-vous ? Je comprends que prévenir Shanwir est important mais c'est qui ce Comte ?

- Il dirige tout le territoire d'Ilanor depuis des temps immémoriaux, et c'est un ami qui m'est très cher. Ilanor se trouve directement au sud de Makross, le royaume du nécromant dont nous avons déjà parlé, et il est donc probable qu'il soit la prochaine cible des Ksors. De plus, le savoir et la puissance de son peuple seraient des atouts considérables dans l'éventualité d'un affrontement, ce qui semble devenir de plus en plus probable. J'espère que vous saurez m'excuser pour cette séparation brutale. Au revoir jeune Oleïa, bon voyage, et bonne chance.

- Ah... A vous aussi.

Après avoir brièvement serré sa jeune amie dans ses bras maigres, le sage sauta à son tour au-dessus du bastingage sur la rive. Sa fine silhouette se perdit dans les hautes herbes au sud sans se retourner.

Le vent se leva à nouveau quelques secondes plus tard, et le bateau se mit à avancer, filant en direction du tas de cendres qu'était devenue Irkish, la cité des pirates.



Après une journée de voyage qui passa au ralenti, le bateau entra enfin dans la ville ravagée.

Oleïa se sentait mal à l'aise, seule sur le bateau. Elle s'était habituée à ses trois compagnons et ne plus les avoir avec elle dans ce monde bizarre lui rappelait qu'elle ne connaissait rien ni personne, que tout ce qu'elle avait connu et aimé était perdu à jamais, et que même ici tout était sur le point de disparaitre. Ses membres tremblaient, et une vague d'accablement s'écrasa sur ses épaules. Elle fondit à nouveau en larmes sur le pont alors que le bateau prenait peu à peu de la vitesse.

La Dalkane traversa lentement les ruines fumantes et noires d'Irkish, cachée dans la cabine et contemplant la rive par un hublot discret. Le bateau semblait se diriger tout seul, poussé par un vent parfaitement régulier. Elle essayait de comprendre ce qui l'avait menée jusqu'ici. Elle avait toujours été fascinée par le moyen âge et par les mondes parallèles où des chevaliers se battent à l'épée avec honneur et toutes ces valeurs inconnues de son époque, mais maintenant qu'elle évoluait dans un de ces mondes, elle regrettait Paris, le trafic, les machos puants dans le métro, même le clodo à l'entrée de sa résidence qui crie sur tout le monde et qui essaye de lui toucher les fesses dès qu'elle passe.

Enfin... Qui essayait plutôt, avant le retour de Terkaniel...

Le fleuve s'était divisé en des dizaines de bras qui serpentaient dans la ville sur pilotis qui avait dû être splendide par le passé. Les fondations d'immenses bâtisses toisaient les eaux noires du fleuve, dans lequel stagnait une quantité impressionnante de décombres, de suie et de morceaux de... Oleïa détourna le regard brusquement et fut prise d'une nausée horrible. Une odeur insoutenable planait sur la ville entière.

La cité était parfaitement silencieuse, et seul le claquement des débris sur la coque du bateau résonnait dans le paysage de désolation et rendait encore bien pire le sentiment de détresse qui serrait le cœur de la jeune Eriom.

Il fallut plusieurs heures de navigation atrocement lente pour traverser la ville, puis enfin Oleïa arriva au bout. Alors qu'elle regagnait le pont, le bateau déboucha d'un coup sur une étendue immense et parfaitement plane. Elle perdit instantanément tous ses repères. Le ciel et l'Océan ne formaient qu'une entité bleu clair à perte de vue. Une vague d'air frais heurta le visage d'Oleïa, qui inspira avidement.

Elle attacha Dracaillasse à sa ceinture, sans pouvoir s'empêcher de se dire à quel point ce nom était moche, puis s'assis à l'avant de la proue, les jambes ballantes et les yeux scrutant l'horizon.

Au Nord-Ouest, au loin, une trace de bleu un peu plus foncé (ou juste un tour joué par les yeux d'Oleïa) témoignait de la présence de l'Archipel de Pershaak. Avant qu'elle ne pense à faire quoi que ce soit, le vent changea de direction et poussa le navire dans cette direction.

- Viscères de Skerbul comme dirait l'autre... Ah qu'est-ce que je donnerais pour un petit café tranquille en terrasse, plutôt que ce voyage déprimant...

Bizarrement, entendre sa propre voix la rasséréna un peu, et elle bomba légèrement le torse.

Le bateau filait à toute vitesse vers Pershaak, porté par le vent qui semblait déterminer lui-même le cap à suivre.

L'Héritage des Gardiens T1 - Les Planètes JumellesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant