5 - HARU

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— C'est une nouvelle lune !

Le novice se tourna vers ses maîtres avec un sourire si grand que ses pommettes cachaient presque ses yeux.

Les vieux moines, regroupés dans la salle de méditation où les flammes des bougies se reflétaient sur leurs crânes rasés, soupirèrent à l'unisson. Que leurs robes soient bleu clair ou bleu foncé, ils ressentaient tous le même sentiment lorsqu'ils regardaient leur novice : de l'exaspération.

Maître Jingwen, maître des livres, partagea ses pensées avec ses compagnons :

— Même si la lune descendait sur terre et lui disait exactement dans quelle phase elle se trouvait, le garçon arriverait encore à se tromper en nous le répétant.

Les dix autres hochèrent la tête tout en gardant les yeux fermés. Ce soir-là, le ciel qui veillait sur eux était bien trop beau pour qu'ils se formalisent des lacunes du dernier novice de leur secte. C'était un ciel sans étoiles, comme ils l'aimaient, car dans l'obscurité tout était parfait. Leur monastère n'était pas à moitié en ruines, la nature n'était pas en train de s'y infiltrer par toutes les ouvertures et, surtout, le sourire béat de leur novice était beaucoup moins perceptible dans la nuit.

Ce qui inspira une conclusion à Maître Chosun, maître des lois, qui déclara :

— Notre secte va former son dernier imbécile avant de sombrer dans la douce indifférence de l'oubli.

Les autres ouvrirent un œil pour observer l'adolescent qui continuait à se féliciter de son interprétation approximative de la phase de la lune.

Le garçon était le dernier divertissement des moines de la secte du Dragon du Vide. Avant son arrivé, les vieux hommes se regardaient mourir. Désormais il y avait une lueur de vie dans ces lieux qui dépérissaient avec leurs occupants. Même s'il avait amené autant d'énergie que de bêtise, il faisait désormais partie entière de cet endroit mystique. Et, bien qu'il ne rechignait jamais à apprendre, il n'arrivait pas à retenir la moindre leçon que les sages essayaient de lui inculquer. Pourtant il y avait beaucoup à apprendre de ces moines qui vivaient isolés au-dessus de la brume bleue sur le Mont Sans Ombre. La secte était, du temps de l'Empire Aijiro, située au centre de la capitale et ses conseils guidaient toutes les décisions que prenaient les impératrices. Mais l'Empire était tombé vingt-deux ans plus tôt et l'envahisseur valtais avait déplacé la capitale quelques kilomètres au Nord. D'après ce que les moines avaient entendu de leurs visiteurs qui travaillaient hors de la Vieille Ville, la Nouvelle Capitale faisait dix fois la taille de l'ancienne et s'étendait vers l'intérieur des terres de l'Île Principale.

Le monde dans lequel ils avaient un rôle à jouer avait disparu.

Autrefois garants de l'étude des cieux, ils n'étaient plus garants de rien. 

Depuis la colonisation valtaise de l'archipel, ni le ciel ni la terre ne leur parlaient plus. Domptés par l'occupant, les esprits qui chuchotaient leurs secrets aux moines étaient devenus inaudibles ; même pour ces vieilles oreilles qui savaient si bien les écouter. Or si les esprits célestes ne leur parlaient plus, et que les esprits terrestres essayaient d'avaler leur monastère ; leur rôle ici-bas n'avait plus de sens. Cependant, la gravité de cette situation était désormais légèrement atténuée par le bébé de dix-sept ans qu'ils avaient recueilli il y a quelques années. Celui qui courait dans leurs couloirs en éteignant toutes les lanternes sur son passage, qui sautait sur leurs précieux plants de thé juste avant la récolte et qui allait en cachette dans leurs chambre emmêler leurs chapelets de méditation. Toujours avide de farces, tel un chiot qui s'ennuyait.

LE MOIS DU VIDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant