9 - YUTING

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L'indigo fleurissait en étoiles.

Les jardins de la Lanterne Blanche en étaient remplis.

Les arbustes se réveillaient en automne portant des centaines de bourgeons qui, une fois éclos, prenaient tout type de nuances de bleu, du plus pâle au plus sombre. La variété la plus commune donnait des fleurs d'un bleu moyen. La variété la plus rare, elle, donnait des fleurs d'un indigo des plus précieux : l'aijiro, ou indigo blanc. Il était strictement interdit de faire pousser ces fleurs blanches, prohibées par l'occupant valtais, car elles étaient l'emblème de l'Empire. Mais, cela n'avait plus beaucoup d'importance, depuis que l'Empire était tombé elles semblaient refuser de pousser de toute façon.

En cette matinée fraîche qui rendait la brume bleue humide et lourde, Yuting traversait les allées bordées de ces arbustes au feuillage d'un vert presque noir. Dans sa robe dorée, qui traînait sur les pavés, il dérangeait la sérénité de l'aube avec les bruits de froissement de l'étoffe sophistiquée qui le recouvrait.

Il marchait vers un des deux ponts qui menait vers le pavillon trônant au centre de l'étang aux carpes. Là, l'attendait une femme à la longue chevelure rousse, vêtue de noir et protégée par quatre gardes du corps. Malgré la cage étroite dans laquelle ses vêtements valtais l'enfermaient, elle était gracieusement assise en tailleur derrière une table basse. Devant elle était disposé un plateau de jeu où une partie était déjà en cours.

Lorsque Yuting arriva à sa hauteur il baissa doucement la tête pour la saluer, comme il était d'usage dans le Quartier Ouvert, puis demeura pensif un instant. Ce qu'elle ne manqua pas de remarquer :

— Vous avez l'air surpris ? Êtes-vous surpris de me voir ? Elle rit nerveusement. Vous pensez sûrement, comme tout le monde, que je ferais mieux de rester chez moi à me lamenter sur la tragédie qui vient de toucher ma famille ?

L'homme resta silencieux, le regard rivé sur les tuiles ornées de fleurs et d'alphabet aijiro disposées sur le plateau.

— Je vous avais promis que nous terminerions cette partie aujourd'hui, ajouta-t-elle, et je tiens toujours mes promesses.

Il releva son visage vers elle en lui souriant chaleureusement.

— Je ne suis pas surpris par votre présence, car je ne doute pas de votre parole. J'étais uniquement étonné par le plateau de Got-Nori, je ne me rappelais pas avoir si mal joué la dernière fois.

La légèreté de sa voix décrispa son invitée. Elle sourit et lui répondit :

— C'est parce que vous êtes trop prudent. Les jeux de stratégie se gagnent toujours par l'audace !

Elle attrapa une tuile de pivoine qu'elle posa à l'extrémité du plateau sous le regard attentif de Yuting.

— Le but du Got-Nori est de protéger la fleur d'indigo, lui expliqua-t-il en attrapant la tuile centrale ornée d'une fleur étoilée blanche, pas de tout détruire autour d'elle, ajouta-t-il en la reposant.

— Pourquoi devrais-je la protéger ? lui demanda la femme. Je trouve cela bien plus intéressant de tout lui prendre et de la détrôner.

— Ça n'est pas ce que la créatrice de ce jeu avaient en tête, déclara-t-il tout en avançant ses pièces sur le territoire de sa rivale.

— C'est un jeu de stratégie.

— Même dans un jeu de stratégie le but final peut être désintéressé.

— Pour moi, toute les stratégies sont intéressées. Et tout ce que je fais est stratégique : où j'achète mon argenterie, à qui je fais nettoyer mon linge, avec qui je déjeune le lundi, avec qui je dîne le dimanche, avec qui je joue au Got-Nori... Et, je pense que vous êtes comme moi, sinon, vous ne passeriez pas autant de temps à faire vivre cet établissement.

LE MOIS DU VIDEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant