Chapitre 45: J'aime juste être avec toi. Yury

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            Je sors du taxi et Nastasia s'empresse de venir plaquer ses mains contre mes yeux. J'ai reconnu le quartier de Covent Garden avant que la voiture ne s'arrête mais je ne fais pas encore le lien avec l'endroit « surprise » auquel elle m'emmène.

— Il va falloir que tu me fasses confiance. Ce n'est le temps que de quelques pas, murmure-t-elle.

Son corps s'est collé au mien. Ses bras sont tendus pour recouvrir mes yeux. Mon cœur bat comme un fou de la sentir contre moi. De sentir son parfum flotter jusque dans mes narines.

J'avance d'un pas lent, incertain. Au bout de quelques minutes, elle décroche ses mains de mon visage et me prie de garder les yeux fermés encore un instant. J'entends ses talons claquer sur le sol.

— Tadaaaaaaaaa ! s'enthousiasme-t-elle.

Je souris, surpris par l'endroit qu'elle a choisi. Le Royal Opera House. Ce grand bâtiment blanc, identique à un panthéon Grec avec ses énormes poutres blanches. Mais mes yeux ne peuvent se retenir de rouler sur mon humaine une seconde de plus. Je l'observe, la scrute, lui sourit. Je ne peux faire que ça. Elle est magnifique.

Excitée, elle attrape ma main sans réfléchir et m'emporte dans son élan jusqu'à l'entrée du bâtiment. Je connais bien l'endroit. Je m'y rendais souvent avant qu'elle...avant que je ne lui sauve la vie et qu'elle bouleverse la mienne. Dans la grande salle au haut plafond orné d'une gigantesque rosas dorée, nous filons dans l'allée longeant les sièges en velours rouge. Je suis habitué à cette beauté et n'y prête presque plus aucune attention, mais c'est une première pour elle. Les yeux de mon humaine scintillent et son cou se tord, émerveillée par cet espace raffiné et magique. Il n'y a eu qu'ici que je me suis senti vivant. Ces murs, ces énergies, toute cette mélancolie ont toujours fait leur effet sur moi.

Cependant, ce soir, c'est différent. Les poils de mon corps se dressent, la chair de poule me parcourt l'échine. Pour la première fois je n'y viens pas seul. Et c'est avec moi que Nastasia va découvrir l'une des plus belles choses inventées par les humains.

Je m'arrête devant l'allée où se trouvent nos sièges. Une main plaquée contre ma veste de costume, je l'invite à passer la première en lui tendant la deuxième. Son sourire ne se décroche plus de ses lèvres.

Je lui conseille de s'assoir le plus confortablement possible pour les trois heures de spectacle qui nous attendent. Et ce sont Les Noces de Figaro qu'elle a choisi. Une histoire sur l'amour et le pardon.

Elle garde son visage rivé vers la scène. Le mien reste figé sur elle. Sur son doux profil et son chignon bouclé. Sur sa poitrine qui monte et descend trahissant son excitation.

— Tu aimes l'opéra ? lui demandé-je.

Elle hausse les épaules et continue de sourire.

— J'aime juste être avec toi.

Cette phrase résonne en écho de ma tête à mon cœur pendant que les lumières s'éteignent pour n'éclairer que la scène. Le visage de mon humaine se parsème de nuances bleutées. Comme un signe intensifiant une évidence que je peine à nier. En moins d'une seconde son esprit est déjà transporté par les chants. Seulement, je ne vois rien du spectacle que je connais déjà par cœur. Je ne vois qu'elle. Je le redécouvre à travers son souffle qui se coupe, à travers ses yeux qui se mouillent. Il est encore plus beau à travers elle.

Lorsque sonne l'entracte, elle se tourne vers moi, les joues trempées. Elle se ventile avec sa main et se moque d'elle et de son côté trop sensible.

— Allons prendre l'air, tu veux ? s'amuse-t-elle.

Sa voix est cassée, enrouée par les pleurs qu'elle essaie encore de contenir. J'acquiesce d'un signe de tête et lui ouvre le chemin.

— Mon Dieu mais c'est énorme ! s'esclame-t-elle. Je pleure, Yury ! Regarde ! Je ne comprends rien à ce qu'ils racontent et regarde dans quel état je suis ! C'est incroyable.

Nastasia n'a jamais été habituée aux choses délicates et élégantes, et pourtant, elle mérite tout le meilleur que ce monde a à offrir. Alors qu'elle continue de rire d'elle-même, comme depuis le début de la soirée, aucun mot ne me vient. Je ne me contente que de sourires niais et de sa présence qui apaise le vide béant qui s'est enraciné en moi. C'est à croire que nous étions victimes du même mal chacun dans notre coin.

Elle gigote, elle ne tient plus sur place. Un groupe de jeunes hommes la bousculent par mégarde. L'un d'entre eux la retient pour lui éviter la chute.

Mes yeux se posent sur sa main qu'il plaque dans le creux de ses reins pendant que l'autre lui attrape le bras.

— Attention ! Tout va bien ? minaude-t-il.

— Oui, pardon, je ne vous avais pas vu.

— Ne vous excusez pas. Moi je vous avais vu.

Son insinuation me met les nerfs à vif pendant que mes yeux le fusillent de voir avec quel regard de prédateur il fixe Nastasia. Elle sourit, gênée et tente de se défaire de sa prise tandis qu'il la retient par la main.

— Flip. Flip Hoseman, se présente-t-il.

Elle hoche la tête et retire sa main avant qu'il ne la lui reprenne.

— Yury, craché-je en lui tendant la mienne.

Nastasia en profite pour se dégager de nouveau et me chuchote de retourner à l'intérieur.

— Je suis un peu occupé, là, mon pote.

Mon visage reste figé, tout comme ma main qu'il refuse toujours de serrer.

Il remarque que mon humaine insiste pour que nous mettions fin à cette entrevue et sourit, l'air narquois.

— Tu vas vraiment continuer à faire comme si tu ne m'avais pas reconnu, Nastasia ?

Mes mâchoires se crispent aussitôt.

— Allons-y, me presse-t-elle.

Les yeux noirs, toujours rivés sur cet enfoiré, je finis par céder à la demande de mon humaine. Je le contourne direction les escaliers.

— Si j'avais su qu'avec un peu d'argent tu pouvais être autre chose qu'une sale junkie, j'aurais peut-être investi, dit-il plus fort.

Je me fige et tourne la tête sur le côté.

— Qu'est-ce que t'as dit ?

— C'est à elle que je parle, mon pote.

Nastasia insiste encore pour que je l'ignore.

— Il te paie toutes doses ?

Il n'a pas vraiment l'air de comprendre les codes, celui-là. Mon regard ne suffit pas à l'inciter à la laisser tranquille. Je me retourne, face à lui et remarque son sourire narquois. Ses yeux roulent sur mes poings qui s'ouvrent et se ferment.

— Je ne vois pas d'alliance. Au moins tu n'es pas si naïf au point de te laisser berner par ses beaux yeux.

Il s'avance un peu plus près. Il est...confiant.

— Et ses courbes délicieuses, termine-t-il sur un ton écœurant.

La simple idée que cette ordure dévisage Nastasia en se remémorant ses incartades passées me chauffent le crâne et tend mes muscles. Je ne décroche plus mes yeux de son regard malsain et ne parviens plus à penser à autre chose que ses os se brisant sous mes poings.

— C'est drôle de voir que tu te caches derrière ton gentleman pour m'éviter, insiste-t-il, alors que dans mes souvenirs, tu avais la morve au nez en me suppliant de ne pas te laisser tomber.

Un éclair de rage m'électrise le cerveau. Imaginer Nastasia quémander l'amour de cette racaille me révolte. Sans réfléchir aux conséquences, je le pousse violemment vers l'arrière tandis que le ciel gronde encore une fois pour me rappeler mes limites. 

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant