Chapitre 2: J'ai la tête qui tourne. Nastasia

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            Je nettoie la table derrière deux adolescents prépubères, scotchés sur leur téléphone. Mon attention se fige sur la courte vidéo qu'ils se passent en boucle. Celle du « bâtard des réseaux » où le bel Apollon fait un croche-patte à un pauvre enfant d'à peine dix ans qui percute le sol avec son menton.

La plupart des gens -tout comme les deux affreux adolescents devant moi- ne se concentre que sur l'acte et non sur le fait. Sur la vidéo on peut clairement voir que la voiture freine d'urgence jusqu'à faire crisser les pneus sur le bitume. Le ballon – derrière lequel courrait ledit petit garçon- explose sous la voiture.

— S'il ne l'avait pas fait tomber, le petit serait mort à l'heure qu'il est, interviens-je pour leur faire fermer leur clapet.

Ils se retournent en grimaçant, surpris que j'ose leur adresser la parole.

— Il lui a éclaté la gueule par terre, s'insurge le plus moche.

— Qu'aurais-tu choisi, Einstein ? Une égratignure ou une pierre tombale ? insisté-je en jetant ma lavette sur l'épaule.

— Tu fais partie de ces groupies pas nettes qui le prennent pour un sauveur ? s'agace le deuxième.

Réflexion faite, il est affreusement laid, lui aussi. Il n'y en a pas un pour rattraper l'autre.

— T'as la vidéo sous les yeux. Tu ne peux pas me dire qu'il ne lui a pas sauvé la vie.

— Ouais bah débarrasse nos assiettes et vas t'acheter un téléphone, la pouilleuse, termine le premier laideron en se remettant droit sur sa chaise.

Je hausse les sourcils pendant que ma bouche imite un « O » parfait, sidérée que ces petits bourgeois manquent autant de bonnes manières.

— Petits trou du culs, marmonné-je en reprenant le nettoyage de table.

Leurs chaises grincent. Minus et Cortex se relèvent et s'approchent de moi.

— C'est qui qu't'insultes de trou du cul, Chlamydia ?

Mes yeux s'écarquillent encore plus.

— T'es beaucoup trop jeune pour connaitre ça ?

— Qu'est-ce qu'il se passe ici ? intervient la grosse Martha, ma patronne depuis deux jours.

— Cette salope nous a insulté !

Stupéfaite par ces morveux, je ne trouve pas les mots et n'ai pas le temps de me défendre que le deuxième, surenchérit.

— Elle insulte les clients à leur table, m'dame !

La grosse Martha me regarde, non, m'assassine avec ses yeux.

— Non, madame, je...tenté-je de me défendre avant d'être coupée par la calculatrice humaine.

— Elle nous a insulté de trou du cul !

— Est-ce que c'est vrai, Nastasia ? grogne-t-elle.

Comme d'habitude, je perds mes moyens. Je suis bien trop lâche pour mentir et trop peureuse pour dire la vérité.

— Alors...non...je...euh...bégayé-je pendant que ces petits cons esquissent des sourires satisfaits.

Et me voilà, une fois de plus, mise à la porte.

C'est fatiguant.

Je suis épuisée.

J'entame la route sur le Grand Boulevard et attache mes longs cheveux blonds – qui sont ma seule et unique fierté dans ce monde bien trop pourri - en une queue de cheval à la va vite avant de faire un nœud disgracieux à ma chemise à carreaux rouge et noirs juste au-dessus de la taille de mon jean pour glisser mon téléphone dans ma poche arrière sans qu'elle ne gêne le fil de mes écouteurs.

Je démarre la playlist de Noga Erez pour rester dans ma bulle et essayer d'oublier tous ces gens qui m'entourent.

Une question existentielle, me taraude, cependant. Je ne sais pas ce qui est le mieux ? Me laisser distraire par toute cette foule me mettant au bord de la crise d'angoisse, face à cette cruelle vérité qui ne cesse de me rappeler à quel point je suis insignifiante pour le reste du monde, ou, rester seule avec ma musique laissant mon esprit vagabonder dans un océan infini de calculs mesurant les différentes probabilités qui s'offrent à moi pour que je puisse payer mon foutu loyer.

Mais j'essaie de ne pas trop m'en faire. Le ciel est avec moi.

Ou pas.

Une main agrippe ma queue de cheval et m'emmène droit dans une ruelle adjacente au grand boulevard. Une de celle où jamais personne ne tourne la tête.

Je suis projetée sur des containers et essaie de me rattraper pour ne pas tomber.

Mon téléphone et mes écouteurs, n'ont eu malheureusement pas la même chance que moi. Ils sont étalés par terre, dans une flaque d'eau. Du moins, j'espère que c'est une flaque d'eau.

— Nastasia Volha ! s'exclame un gigantesque chauve, mi-ours mi-humain.

— Grand Daddy ! m'exclamé-je à mon tour, d'un ton surjoué.

— C'est Grand Budy, ma jolie, s'agace-t-il alors que son quarante-quatre écrase mon téléphone.

Mon cœur se brise aux craquements de mon pauvre appareil.

Il n'est pas vraiment malin. Il se donne du mal à faire son pitoyable spectacle pour récupérer ses trois loyers de retard pour finalement mettre hors service mon téléphone.

RI.DI.CUL Grand Daddy.

La première chose que je vais me racheter avec le peu de rentrée d'argent que je vais gagner, c'est un putain de téléphone.

Je ne peux pas vivre sans le Wifi publique.

Ses grosses mains agrippent mes joues et il se met à serrer du plus fort qu'il peut. On dirait bien que cette fois est différente des autres. Il n'est pas là pour un simple avertissement. J'en ai bien peur.

Là, maintenant, tout de suite, il veut me faire payer ma misérable existence en attrapant ma gorge. Mes yeux s'écarquillent de voir avec quelle rapidité il m'a privé d'air.

Ma vision se brouille.

J'ai la tête qui tourne.

Je suis vraiment dans la merde. 

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant