Brutale Rédemption

Chapitre 20: Venez-en au fait. Yury

— Entre, mon garçon.

Je baisse la tête pour saluer Lord Garett qui a pris la peine de se lever de son bureau pour m'accueillir. Son employé referme la porte derrière moi pendant que je remarque une jeune femme assise sur un des fauteuils.

Le bureau de Lord Garett se trouve au dernier étage de l'un des plus grands bâtiments de Londres. A son sommet, les initiales EDCA sont visibles jusqu'aux quartiers les plus reculés de la ville. Il n'a pas hésité à investir dans son enseigne. EDCA est une société extrêmement réputée en Angleterre et dans le monde entier. Il a presque réussi à en faire une marque de bonté comme les signes religieux dans les lieux de culte. Sa fortune et son investissement ne laissent rien ni personne de côté. Si je ne venais pas du ciel, je pourrais croire qu'il est la réincarnation du Grand Patron. Il participe tout aussi bien aux développements des riches, et des nouveaux riches qu'à ceux des plus défavorisés. C'est la société maitresse en Angleterre. Même si mes services sont requis pour éviter toute mort accidentelle ou meurtrière, j'ai promis de ne lui poser aucune question quand il m'a promis, en retour, de n'en poser aucune concernant mes dons. Je ne suis pas naïf. Je sais qu'il trempe dans quelques affaires sombres et dangereuses, mais n'est-ce pas là le propre du business ? S'il y a bien une chose que j'aie apprise depuis ces centaines d'années, c'est que l'argent est le nerf de la guerre. Malgré ce qu'en pensent mes frères, j'accepte d'être ce Céleste à œillères qui profitent des multiples zéro sur de jolis chèques à chaque fin de mission.

La jeune femme ne cesse de jeter de bref coup d'œil dans ma direction. Elle me sourit, niaisement comme le faisait Nastasia.

— Assieds-toi, je t'en prie, m'encourage le Lord. Miss Brandle s'est déplacée expressément pour venir te remercier en personne.

J'arque un sourcil. Pour quelle raison voudrait-elle me remercier ?

Elle se relève. Ses mains quittent son ventre qu'elle ne cesse de caresser depuis que je suis arrivé et viens m'enlacer dans une étreinte, douce, polie et sincère. Je ne réagis pas et reste immobile.

— Mille merci, Yury. Je vous suis infiniment reconnaissante.

Ses yeux sont brouillés par des larmes de joie. Elle est émue.

— Miss Brandle est la femme de Johny, continue le Lord pour que je comprenne enfin.

Mais mes sourcils restent arqués.

Qui est Johny ?

— Il est sorti du coma, ce matin, et tout ça c'est grâce à vous !

— Johny est celui qui t'a accompagné il y a quelques jours.

Je hoche la tête avec lenteur. Elle est la femme de celui qui n'a plus de bras.

— Vous êtes un Ange, continue-t-elle.

J'esquisse un petit sourire mais ne partage pas son entrain. Je n'ai fait que ce pourquoi j'ai été créé. Et payé. Je continue à la regarder avec insistance, ce qui semble la mettre mal à l'aise, en déduis-je par les doigts qu'elle se triture. Elle regarde Lord Garett par de petites œillades gênées tandis que je continue à la comparer avec Nastasia. Elle a fait tout ce chemin au risque d'accoucher sur place pour un simple remerciement ? Il y a donc bien deux sortes d'humains. Ceux que l'on sauve et qui ne retiennent que le manque de tact ou tout autre détail insignifiant qui leur déplaisent, et ceux qui bravent les intermédiaires, jusqu'à solliciter le patron de leurs époux pour un simple merci. Ou...ceux qui vous cherchent durant des heures dans une ville aussi grande que Londres.

Je me demande si elle a pu dormir. Pour ma part la nuit n'a été qu'une vulgaire boucle temporelle, sadique et tortueuse qui s'est amusée à me repasser son regard brisé lorsque je lui ai arraché sa chemise. Ce n'est pas comme ça que je vais empêcher la Vaine Gloire de se personnifier en elle. Nastasia est la victime d'une guerre entre deux mondes. Elle est ma mission. Et je l'ai humiliée. Je suis en train de leur offrir l'hôte parfait sur un plateau d'argent. Ce péché capital est sournois et très en vogue pour cette génération. Les habitants de cette Terre sont plus nombreux, pourtant ça n'empêche pas les humains de se sentir de plus en plus seul chaque jour. Ils s'obligent à courir derrière la seule chose qui compte vraiment à leurs yeux. La Vaine Gloire. Cette quête perpétuelle de la considération absolue, de la reconnaissance. Et qui de mieux pour personnifier ce huitième péché capital qu'une pauvre fille qui n'a jamais compté pour personne ?