Chapitre 13: C'est bien pire que tout ce qu'on pensait. Yury

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            Raphaël et Gabriel me tiennent compagnie. Pour la soirée. Ils ont décidé de venir diner avec moi. Sans mon accord.

Ils m'ont rejoint il y a à peine quelques minutes et le son de leur voix me titille déjà les nerfs. Ils jacassent sans arrêt, sans même reprendre leur souffle.

Tandis que nous marchons sous le soleil couchant en direction de mon restaurant italien favori, le visage d'un vieil homme se fige dans mon esprit. Mes jambes s'accélèrent d'elles-mêmes et m'emmènent droit devant. Au moins, il est sur ma route. A quelques mètres de là, je reconnais l'homme, un long manteau beige, le dos voûté. Il se bataille avec sa serrure qui garde sa clé en otage. Je balaie les alentours du regard, intrigué par la future mort accidentelle qui l'attend. Comment peut-on mourir en fermant sa porte ? Mes yeux se fixent alors sur l'échafaudage, monté devant la bâtisse. Un cliquetis résonne au rythme du vent. Une grosse tige en métal, oubliée, par un ouvrier trop pressé de finir sa journée. Elle roule et cogne contre les barreaux. Le vent se lève de plus en plus. Elle va finir par se glisser dans le petit espace entre le plancher et la première barre et tomber en pique directement sur le crâne du vieillard. C'est étonnant de voir à quel point la mort peut faire preuve d'imagination.

Pendant que mes frères continuent leur échange, pour le moins inintéressant, je les quitte sans un mot et me précipite vers l'homme. Je l'attrape par le manteau et le retourne sur la droite pour le plaquer contre le mur. Mon bras sous sa gorge, il lève ses mains en l'air comme si je n'étais qu'un vulgaire voleur qui s'apprête à s'emparer de sa liquidité.

— Pr...Prenez-tout, bafouille-t-il, les yeux fermés.

Je plaque mon bras un peu plus fort contre lui pour m'assurer qu'il ne puisse pas bouger. Je lève la tête en direction de la tige qui roule de plus en plus et attends, en silence, qu'elle dévale les étages.

Le fracas de la tige en métal résonne si fort sur le sol que le vieillard sursaute et se colle un peu plus contre le mur. J'analyse les alentours et le relâche lorsque son visage disparait de mon esprit. Je ne lui adresse aucun mot et ne lui porte aucun regard. Je rejoins mes frères qui me dévisagent, l'air abasourdi.

— Pas même une p'tite tape sur l'épaule pour le rassurer ? ajoute Raphaël.

Gabriel rit et passe son bras autour de mon cou.

— Il est doué, me taquine-t-il.

Au restaurant, je commande mon plat favori, toujours le même, et les écoute sans grand intérêt.

— Qu'est-ce que t'en penses, Uriel ?

— Que c'est bien pire que tout ce qu'on pensait, dis-je en finissant mon verre d'un trait.

Je reporte mon attention sur eux avec un sérieux à faire froid dans le dos.

— Il n'y a qu'une seule raison pour qu'un Infernal comme Mammon s'allie au bras droit de celui qu'il voulait voir détrôné. A l'heure où nous parlons, mes frères, Azazel n'est qu'à quelques tables de nous et nous fixe, entouré de ses Motus.

Le visage de Raphaël se décompose pendant qu'il déglutit disgracieusement. La simple prononciation de ce nom, Azazel, a le chic pour lui faire perdre tous ses moyens. Du moins plus que d'habitude.

Il faut dire que si les Célestes pouvaient donner une image à la peur ce serait belle et bien celle de cet Infernal. Bien qu'aucun d'entre nous ne l'ait déjà vu sous sa forme originelle, la forme humaine qu'il s'est choisie fait son effet.

Contrairement aux autres Infernaux qui s'efforcent de choisir avec une application certaine, une apparence plaisante et avantageuse pour parvenir à réunir le plus de disciples possible, Azazel a opté pour un look des années trente. Du mauvais côté des années trente. Le crâne rasé sur les côtés, les cheveux plaqués en arrière. Ses arcades sont bombées et son visage est maigre, creusé. Sa moustache rebiquée, intensifie ses petites billes noires qui ne reflètent que la folie et l'obsession. D'un naturel silencieux, il est le seul à ne jamais s'adresser directement aux humains. Il ne courtise aucun disciple. Aucun adepte. Son seul plaisir réside dans la destruction de l'espèce en elle-même et pour ça, il s'est offert l'aide des Motus, qui ne le quittent pas d'une semelle.

— Ils sont tous de mèche, continué-je.

Mais les regards de mes frères s'abaissent et leurs mines se renfrognent. Ils me cachent quelque chose.

— Dites-moi ce que vous savez.

— Mickael doit venir te voir, finit par lâcher Gabriel.

Je me laisse retomber contre le dossier de ma chaise et ne touche pas à un seul spaghettis de mon assiette.

Mes yeux se reportent sur Azazel qui semble ne pas m'avoir lâché du regard un seul instant. A côté de lui, une femme à l'allure cadavérique, au crâne rasé et aux yeux cernés, mange à petits coups de fourchette, le dos recourbé, les épaules enfoncées. Ses yeux sont rivés sur moi, eux-aussi. Son apparence et ses énergies me donnent un frisson. C'est le Motus que je hais le plus.

Honte.

Les choses sont donc bien plus importantes que je ne le croyais. Si Mickaël descend sur Terre, si les Motus s'activent et que les Infernaux s'allient, c'est qu'un beau bordel se prépare. 

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant