Chapitre 30: Je ne suis pas un gentleman. Nastasia

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            L'heure sur mon réveil affiche 05h17. Je n'ai pas fermé l'œil de la nuit. Mes paupières me supplient de les laisser se fermer mais mon corps ne cesse de tourner et virer dans tous les sens. Cet Azazel m'a flanqué une de ces trouilles.

Yury a été clair à ce sujet. Je ne peux pas savoir en quoi consiste ma mission. Pourtant, ils avaient vraiment l'air inquiet. Et je le suis sans doute plus qu'eux. Le rouquin, la jolie brunette, le nazi avec ces potes bizarres...Je n'ai pas envie de rencontrer les autres. Le pire, c'est que je ne sais pas ce qu'ils attendent de moi.

Alors j'ai craqué. Comme d'habitude, j'ai cédé au ras-le-bol, à la panique et j'ai fait quelque chose de ridicule. Quelque chose qui l'a sans doute mis en colère contre moi. Il a quand même désintégré quelqu'un sous mes yeux. C'est moi qui devrais être furieuse. Personne n'a rien fait. Ni Raphaël, ni Azazel, à croire que c'est comme se débarrasser d'une vieille paire de bottines qu'on ne trouve plus à notre goût.

Je me redresse et m'assois sur le lit, les yeux rivés vers le jour qui tente de percer. J'ai voulu me faire écraser par un bus. Je souris parce qu'une fois de plus, je me mens à moi-même. Tout ça n'était encore une fois qu'un vulgaire caprice. Il refusait de me répondre, de me rassurer. J'étais tétanisée, j'avais seulement besoin d'une écoute attentive, d'un regard délicat, d'une main rassurante. Mais Yury n'est pas ce genre d'Ange et attirer son attention comme je l'ai fait, c'est se tirer une balle dans le pied.

Je me lève et m'accoude sur le rebord de la fenêtre.

Je n'ai jamais vraiment cru en toi, tu sais. Si tu existais réellement pourquoi tu l'aurais laissé partir avec lui ? Pourquoi n'a-t-elle pas choisi de m'emmener avec eux ? A six ans, notre monde est impressionnant. Il est bancal et flippant. Et aujourd'hui, j'ai la confirmation que tu existes. J'ai la preuve que tu m'as laissé dans cette merde sans nom avec lui. Tu avais le pouvoir d'en décider autrement. Mais tu dois être bien trop occupé avec tes Anges et tes sept milliards d'humains. A quoi bon se préoccuper d'une immigrée russe que sa propre mère a choisi de laisser en pâture à ce monstre alcoolique ? Qu'avait-elle dit déjà ? Ah, oui, qu'elle ne pouvait pas m'emmener parce que j'étais trop grande pour m'adapter à une nouvelle vie. M'habituer à son nouveau sauveur, James Winsly, un entrepreneur en herbe. Mon petit frère n'avait que trois ans à cette époque, il était sans doute plus facile de dissimuler ses traumatismes derrière de nouveaux souvenirs joyeux par de beaux repas de famille, de belles vacances et une histoire avant d'aller se coucher. J'étais bien trop contaminée par les horreurs de Pavel pour leur laisser profiter d'une vie tranquille. Pourquoi s'encombrerait-elle d'un fardeau qui pourrait craquer à tout moment ? Pourquoi subir les crises d'angoisses d'une petite fille quand on peut profiter d'une nouvelle vie ? Alors oui, tu existes bel et bien et je ne te remercie pas. Je vais participer à cette foutue mission mais pas pour toi. Pas dans le but que je sois enfin dans tes bonnes grâces. Tu peux te les carrer où je pense. J'ai juste décidé d'avoir la vie que je mérite, moi-aussi, et s'il faut que j'affronte deux trois démons, voire une dizaine, eh bah je vais le faire. Au pire...qu'est-ce que j'ai de si précieux à perdre ?

Je sursaute quand la porte de ma chambre s'ouvre. Yury me regarde, surpris de ne pas me retrouver étalée sur mon lit après ce qu'il s'est passé. C'est à peine si j'ose le regarder. Je ne suis pas prête à affronter ses piques. Ses remontrances. Son dédain. Non. Je veux garder en mémoire ce moment où il m'a pris dans ses bras. Ce moment où j'ai entendu son cœur battre, vite et fort tandis que je me blottissais contre lui. Je voudrais que ça se répète, encore et encore. Il s'approche vers moi et imite ma position, les yeux rivés vers le ciel.

— T'es en train d'harceler mon patron ? S'amuse-t-il.

Mon cœur rate un battement d'entendre sa voix si douce. Ce n'est pas dans ses habitudes d'être d'une agréable compagnie, alors je lui souris et replonge mes yeux vers l'infini.

— Disons que je m'entretiens avec lui. J'éclaircis quelques détails. Je règle mes comptes.

— Tu devrais dormir, dit-il en se tournant vers moi.

Je dois le regarder. Ce serait mal poli de ne pas le faire. Surtout que j'en meurs d'envie. Mais s'il voyait à quel point je me sens minable ? S'il voyait à quel point j'ai besoin qu'il soit là ?

Sans m'en rendre compte, je me tourne à mon tour et avance d'un pas en le dévisageant, les yeux brillants.

— Tu ne dors jamais et pourtant...

Ma main se lève et se rapproche timidement de son visage dans une lenteur extrême, hypnotique.

— Ton visage est toujours si parfait...murmuré-je comme s'il ne pouvait pas m'entendre.

Ses yeux tressautent. Son regard perd de son aplomb.

Il se racle la gorge et tourne la tête vers la porte.

— Et toi, on dirait que tu n'as pas dormi depuis une décennie, tente-t-il pour me couper dans cet élan téméraire.

Je me ressaisis et abaisse ma main le plus vite possible. Je tire sur mes manches, nerveuse, pour recouvrer contenance.

— Dors, il faut que tu te reposes.

Il s'éloigne tandis que je me contente d'un hochement de tête. Mais contre toute attente, il s'arrête à la porte et s'appuie contre l'encadrement.

— Je leur laisserai pas te faire de mal, Volha. Je t'en fais la promesse.

Mes yeux s'écarquillent, mon cœur bat la chamade. Il cogne contre mes côtes me harcelant de le laisser se jeter sur lui. Mais je le contiens et lui souris.

— Tu es un vrai gentleman, Yury-Uriel-Céleste.

— Je ne suis pas un gentleman. Juste un Céleste qui a une mission des plus importantes.

Sa voix est toujours douce alors que ses mots me piquent. Pour le bon côté des choses, ils sont parvenus à calmer mon cœur et le dissuader de continuer à s'emballer. Mais j'aurais voulu qu'il s'arrête à cette promesse. Qu'il soit celui qui ne supporterait pas qu'il m'arrive quoi que ce soit.

Mais je ne comprends pas ce qui est en train de se passer.

Ses yeux sont toujours rivés sur moi.

Il retire les mains de ses poches.

Il s'avance.

Près.

Plus près.

Je me statufie, immobile, à sa merci.

Ses pas résonnent dans la chambre et ne s'arrêtent que lorsque son pied frôle le mien.

Mes yeux se baladent de ses cheveux à ses arcades. De ses yeux à ses lèvres. De ses lèvres au haut de son torse, dévoilé par sa chemise à moitié déboutonnée. Ils trainent plus longuement sur les dessins noirs tatoués sur sa peau. Des symboles, des sigils incompréhensibles qui me donnent envie de tout savoir sur lui. D'être celle qui le connaitra mieux que n'importe qui.

Je suis paralysée par le désir. Je veux pouvoir figer le temps pour qu'il reste ainsi jusqu'à la fin de mes jours. La respiration courte, haletante, les yeux presque fous. Fous de moi. Peut-être n'est-ce que le pur produit de mon imagination créé par un désir effréné ? Mais je m'en contre fiche. Cette sensation qui m'enivre me plait atrocement et me fait un bien fou.

— Je vais te laisser te reposer, chuchote-t-il sans conviction.

Je confirme d'un signe de tête. Ses yeux ne regardent que mes lèvres. Ils sont fixes. Figés. Affamés. J'ignore si c'est une hallucination ou un effet d'optique mais je crois voir sa tête se pencher de quelques millimètres. Juste un peu. Juste assez pour allumer un brasier dans mon être tout entier. Je l'imite et relève ma tête avec parcimonie. Son souffle se mélange alors au mien. C'est le moment que j'attendais tant.

— Bonne nuit, Volha, lâche-t-il pendant que mes yeux se ferment.

Quoi ?

Sans voix, je le regarde tourner les talons et refermer la porte derrière lui.

Bon Dieu de merde, c'est quoi ce bordel ?

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant