Chapitre 32: Où t'étais ? Nastasia

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            Je viens vraiment de faire ça ? Je ris toute seule sous ma douche. A partir de maintenant, je ne pourrais plus rien nier. Quoique...le pouvais-je déjà ? Non. Yury sait que j'en pince pour lui depuis le début. Ça ne sert à rien que je joue la comédie, ce serait encore plus ridicule. En revanche, je suis parvenue à lui faire fermer son clapet, et ça, c'est une victoire.

Trente minutes après, mon Ange s'arrête devant Chez Toni, encore. Alors qu'il me tient la porte, je reste immobile, les bras croisés.

— Qu'est-ce que tu fais ? Viens.

— Je ne mangerai pas là.

Il me regarde, incrédule.

— Je ne vais pas bouffer Italien jusqu'à la fin de mes jours !

— Jusqu'à la fin de tes jours, peut-être pas, mais jusqu'à la fin de notre mission, si.

Je souris. Je souris si fort que mes pommettes se bombent. Je jette un coup d'œil derrière moi et tourne les talons en direction du snack, sur le trottoir d'en face.

— On ne va pas manger là-bas, affirme-t-il.

— Oh...tu fais ce que tu veux, Yury. Mais ce joli derrière que t'es obligé de suivre va se rendre dans ce snack et s'assoir sur ces chaises en plastiques. On va dévorer un burger dégoulinant de sauce et tu me remercieras, encore, d'avoir rendu ta vie moins fade.

Cinq minutes plus tard, nous voici assis sur ces chaises inconfortables, chacun avec un panier rouge recouvert de frites et de condiments en tout genre. Je suis pire qu'une enfant. Mon sourire de victoire ne peut plus s'effacer de mon visage. On en est à combien, déjà ? Deux ? Deux batailles gagnées juste aujourd'hui ? Bravo Nastasia.

— Fais pas cette tête, m'amusé-je. Croque, tu verras. Tu ne pourras plus t'en passer.

Ses yeux s'adoucissent, je crois même qu'ils brillent. Une lueur agréable. Chaude. Une de ces lumières qui rendent accro.

Qui sait ? Peut-être serait-ce de moi qu'il ne pourra plus se passer ?

Dans tes rêves.

Il se résigne et attrape le burger pour le déguster avant qu'une énorme goutte de ketchup s'écrase sur le papier dans un bruit épouvantable.

Il le repose aussitôt.

— Qu'est-ce que tu fais ?

— Je ne vais pas manger ça. Je vais salir mon costume.

Mes yeux rapetissent pour juger s'il est sérieux ou s'il se joue de moi. Je souhaite vraiment que ce soit la deuxième option. Mais il s'essuie le bout des doigts sur une serviette râpeuse qu'il sort de la boite métallique.

— La sauce tomate aussi ça tâche, insisté-je pour lui faire entendre raison.

— Oui mais on mange avec des couverts, comme des gens civilisés.

— Bon Dieu de merde, soufflé-je, Gâcher son immortalité à cause de tics psychorigides, c'est navrant.

— Parce que gâcher son passage sur terre à coup de grosse cuillère et de piqûre c'est plus noble ?

J'avale ma bouchée qui tombe comme un parpaing dans mon estomac.

Pourquoi ?

Pourquoi a-t-il été obligé de remettre ça sur le tapis ? On n'était pas passé à autre chose ? On n'était pas en train de renforcer nos liens ?

— J'ai plus faim, craché-je en quittant la table.

Je l'entends m'appeler, toujours par mon nom de famille, ça aussi ça commence à me rendre folle. Je ne suis pas ton putain de clébard ! je continue d'avancer de plus en plus vite. Je sens les larmes qui montent. Je viens de descendre de vingt étages en moins d'une seconde, avec une simple pique. Une pique digne de lui, après tout. Fais chier !

— Attends ! dit-il en me rattrapant par le bras.

Mais je me dégage. La rage au ventre, les mains tremblantes. J'ai envie de l'insulter, de lui crier dessus.

Soudain, il se fige et ferme les yeux. Il m'en a presqu'oublié. Il les rouvre et se jette sur un petit garçon à à peine deux mètres derrière nous. Il le plaque contre la devanture d'un fleuriste. Sa mère hurle, hystérique avant qu'un vase ne tombe du haut d'une fenêtre et se brise en mille morceaux. Exactement à l'endroit où était ce petit garçon. La mère se tait. Elle se fige devant le vase qui aurait tué son tout petit si mon Ange n'avait pas été là. Yury relâche le garçon et tourne les talons pour revenir vers moi. Il replace ses manches comme si tout ce qui venait de se passer ne représentait rien. Comme si cette pauvre femme n'était pas sous le choc. Comme si son don n'était rien d'autre qu'un vulgaire réflexe.

Je me décompose. Les larmes roulent, je ne peux plus les retenir.

— Où t'étais Yury ? commencé-je, la voix cassée.

Ses sourcils se froncent. Ses yeux s'arriment aux miens.

— Où tétais ? dis-je plus fort. Tu mangeais déjà tes putains de spaghettis bolognaises quand il tambourinait à ma porte ? Tu étais déjà en train d'en vouloir à la terre entière quand je dormais dehors ?

J'essaie de reprendre mon souffle. Mais ma poitrine se comprime trop. Elle me serre. Elle m'étouffe. J'avance de quelques pas et lève ma tête pour qu'il ne se concentre que sur moi et cette putain de vérité qu'il mérite.

— Oui, je ne suis qu'une junkie, mon Ange. J'en suis pas fière. Mais peut-être que si t'avais pris ta mission à cœur, t'aurais pu aider un tas de gens comme moi.

— En faisant quoi, Nastasia ? Je suis un Céleste, pas un magicien, gronde-t-il pour garder la face. Je ne peux pas changer les gens.

Je renifle. Je passe ma main disgracieusement sous mon nez, mais je m'en contre fous. Il ne vaut pas mieux que moi.

— Tu as un don magnifique, Yury et t'arrives à le rendre si laid, ça en est gerbant.

Je sens ma voix qui se transforme de plus en plus sous la pression de mes sanglots. Peu importe qu'il pense que je suis trop faible, trop fragile. Ce qu'il pense n'a plus aucune importance. Il est comme tous les autres, humains, Célestes ou même au-dessus : égoïste, vil et insipide.

— Tu as quoi ? Des milliers d'années ? Et t'as toujours rien compris. Tu es bien plus pitoyable qu'une pauvre humaine qui se trouve une échappatoire pour fuir sa vie merdique. Tu vois Yury, ce n'est ni des personnes comme mon père ou encore moins ma mère sur lesquelles tu devais te concentrer. Non. C'était sur des personnes comme moi. Peut-être que si t'avais daigné faire ton boulot, si t'avais prononcé ne serait-ce qu'une parole réconfortante ça aurait changé le cours des choses. Si une seule fois quelqu'un m'avait dit que ce n'était qu'un mauvais moment à passer, eh bien je l'aurais cru. Même si c'était un mensonge, Yury ! J'y aurais cru parce que parfois les mots des autres ont plus de sens.

Il ne dit rien. Il ne bouge même plus.

— On a une mission toi et moi, hein ? Alors même si j'ignore tous les enjeux, les risques et tout autre chose, je vais la mener à bien. Si je peux être cette inconnue qui redonne de l'espoir et un peu de force pour transformer la vie des autres, alors je suis prête à me jeter dans la gueule du diable. Je suis prête à te supporter, toi et tes réflexions déplaisantes et déplacées.

J'essuie mes larmes d'un revers de la manche.

— Quatre cents ans que tu n'as pas sorti tes ailes, c'est ça ? Alors continue comme ça. Parce que tu ne les mérites pas. Ça et tout ce temps que tu ne cesses de gâcher. T'arrives même plus à voir ce qui rend ce monde magnifique. 

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant