Chapitre 33: J'ai ajouté mon numéro. Yury

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            Tout ce qu'elle m'a balancé résonne comme une foutue vérité dans ma tête. Elle ne m'a pas adressé la parole depuis que nous sommes rentrés. Elle s'est enfermée dans la chambre et n'en n'est pas sortie de la soirée. Ma jambe gigote, elle est incontrôlable. Je n'ai presque plus d'ongle tant je les ronge jusqu'au sang.

Je n'aime pas ce que je ressens. Je n'aime pas vraiment tous ces sentiments qu'elle fait remuer au fond de moi. La culpabilité. Le remord. Mais elle n'a pas mangé de la journée à cause de moi.

Je me relève dans un bond et quitte l'appartement en prenant soin de refermer la porte à clé. Je n'en ai que pour quelques minutes. Les Infernaux ne viendront jamais jusqu'à chez moi. Ce ne serait pas à leur avantage, ils l'effraieraient et annihileraient leur chance de la faire basculer de leur côté. Je peux aller lui chercher son sandwich qu'elle voulait à tout prix me faire goûter.

Je prends une grande inspiration. Je suis devant sa porte et si je ne me connaissais pas aussi bien, je dirais que je suis nerveux.

Mais elle ne répond pas.

J'insiste.

Toujours rien.

Là je sais que je suis nerveux.

Mon cœur s'emballe, mon esprit s'imagine tout un tas de scénarios pire les uns que les autres.

Pas le choix. J'ouvre sa foutue porte.

Je soupir de soulagement. Elle est allongée sur mon lit. Rien n'est arrivé.

Je m'avance près d'elle. Elle se tourne comme une enfant boudeuse. Je souris. Ses réactions ne parviennent plus à m'énerver. Elles me font rire. Depuis un moment déjà. Je ne voulais juste pas me l'avouer. Nastasia Volha a raison encore sur une chose. Elle m'a sorti de mon quotidien. De mon éternité latente et sans saveur.

Je jette le sac sur le lit et sors mon sandwich. Je tire la chaise près de la fenêtre pour la rapprocher du lit. Le bruit de l'aluminium l'interpelle. Elle me regarde enfin. Je reste silencieux, il vaut mieux pour l'instant. Je doute fort qu'elle soit assez calme pour que je puisse faire comme si rien ne s'était passé et engager la conversation.

Son visage reste fermé. Mais ses yeux ne quittent plus ma bouche qui croque dans le burger. Je peux entendre les gargouillis de son ventre d'où je suis. D'un regard, je lui fais comprendre que le sien l'attend, juste là, au pied du lit.

Elle finit par céder et sors son sandwich ainsi que son téléphone portable que j'aie décidé de lui rendre. Il devient nécessaire qu'on puisse se joindre à n'importe quel moment si nous sommes amenés à nous séparer pour une quelconque raison.

— J'ai ajouté mon numéro.

Elle hoche la tête mais n'est pas toujours prête à me parler. Elle croque dans son sandwich et son visage reprend des couleurs. Il était grand temps. Ses brèves œillades me font comprendre qu'elle redescend peu à peu. Peut-être que nous pourrons échanger quelques mots avant qu'elle ne s'endorme ? Je vais être honnête avec moi-même, j'en ai foutrement besoin. Depuis notre rencontre je suis passé de l'agacement à ce besoin viscéral de l'entendre, de la voir sourire. C'est ce que je préfère chez elle. Son sourire. Même s'il est forcé, même si parfois il est encore plus déchirant que des pleurs. Il est addictif, d'une beauté sans pareil, communicatif et merveilleux. Si une drogue existait pour les Anges, la mienne s'appellerait Nastasia Volha. J'ai perdu l'habitude de montrer ce que je ressens. D'être bon, bienveillant. Je ne sais plus comment on fait. Je sais juste que c'est dangereux. Les Célestes sont aussi sensibles que les humains en ce qui concerne les émotions. Après tout, si ce sont d'elles que viennent les Motus cela veut bien dire qu'elles ont une puissance égale à aucune autre.

— Pourquoi ? m'arrache mon humaine de mes pensées. Pourquoi avoir tuer cet homme ?

Je souris sans m'en rendre compte, soulagé qu'elle décide de me reparler.

— Ce n'était pas un homme, dis-je en dégustant le sandwich.

Elle avait raison sur une troisième chose. Il est divin.

— Si c'était le cas, je me serais désintégré sous tes yeux et on ne serait pas là à savourer ce délicieux burger.

Elle n'en demande pas davantage. Elle continue de manger.

Je sais qu'elle s'attend à ce que je fasse comme à chaque fois. Que je reste évasif et que je lui dise que le strict minimum. Mais rien ne m'interdit de lui parler des Motus.

— C'était un Motus. Azazel ne s'adresse qu'à eux généralement. Jamais aux humains.

Elle ouvre la bouche s'apprêtant à me demander pourquoi lui a-t-il adressé la parole mais se ravise sur le champ. Elle est bien loin d'être stupide. Je me suis trompée dès le début.

— Les Motus ne viennent ni du Céleste, ni de l'Infernal. Ils sont une pure création de vous. Chacun représente un ressenti, une émotion profonde. Ce que la plupart d'entre vous ignore, c'est que vous êtes bien plus puissants que vous ne le pensez. Au fil des ans, les émotions que vous éprouviez se sont faites si fortes qu'elles se sont...émancipées. Toutes ces énergies ont pris forme. Contrairement aux Célestes ou aux Infernaux, elles n'ont aucun but précis, aucune quête. Elles ne s'animent que de la soif de contamination. Une sorte de zombie du monde spirituel. Si Azazel ne voit que par eux, d'autres comme Méphistophélès ne peut pas les voir en peinture. Certainement une sorte de jalousie. Elles sont presque aussi dangereuses que les Princes de l'enfer. C'est pour dire. Quand on regarde bien, elle a raison. Ils vous gâchent la vie encore et encore.

Je termine la dernière bouchée de mon burger et me relève pour quitter la chambre. Il faut qu'elle dorme. Qu'elle se repose.

Mais pendant que je marche d'un pas lent, trop lent pour avoir envie d'arrêter notre échange, je finis par m'arrêter sur le pas de sa porte.

— C'est cette capacité à vous autodétruire qui m'a vidé de mon amour pour vous. Crois-le ou non, mais il y a quatre cents ans, j'étais l'Ange le plus dévoué à votre espèce. J'étais celui qui murmurait les paroles réconfortantes. Je ne cessais de leur dire que ce n'était qu'un mauvais moment à passer. Je vous aimais du plus profond de mon être.  

Brutale RédemptionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant