Je me suis réveillé trop tôt pour un lundi. Je n'ai pas eu besoin de regarder l'heure pour le savoir. La lumière qui entrait par la fenêtre était faible et déprimante. Pas d'Hannah.
Je n'arrivais plus à vivre sans elle. Je vivais mal de me réveiller sans elle. Quand j'étais avec elle, je me sentais bien, avec l'impression que le monde était plein de possibilités.
Nous avions passé tout le dimanche à traverser le parc en voiture et à pied. Nous sommes rentrés tard la veille. Quand j'ai déposé Hannah, j'avais à peine redémarré que le désespoir m'a écrasé. Pourquoi un tel désespoir ? Pourquoi vivais-je la plus brève séparation comme l'écho d'un futur au revoir ?
J'avais rompu avec Bethany. Je l'ai appelée le jour où j'avais retrouvé Hannah pour déjeuner. En quelques vagues propos, j'avais annoncé à Bethany que je ne pouvais plus être avec elle. Je me suis excusé de lui faire ça à un mauvais moment, par téléphone, tout le reste. Bethany a sangloté et juré. Tour à tour, elle acceptait puis devenait fielleuse et menaçante. Elle a exigé de savoir si j'avais rencontré quelqu'un.
- Il n'y a personne d'autre, ai-je menti.
Je protégerais Hannah envers et contre tout. Je ne l'entraînerais pas plus avant dans mes tourments.
- Je ne te crois pas ! a crié Bethany d'une voix perçante. Espère de sale menteur, tu me trompes !
- Bethany, s'il te plaît...
- Ne prononce pas mon nom ! Connard de merde. J'ai toujours été capable de faire mieux. Comme si j'avais besoin de toi et de tes conneries de psychopathe antisocial. Bon débarras. À part tes petits bouquins, t'en as rien à foutre de tout le monde et de tout le reste.
Je ne lui ai pas raccroché au nez. Cigarette au bec, je l'ai laissée s'en prendre à moi ; j'ai regardé la nuit tomber sur la ville en pensant à Hannah. Dès que Bethany en aurait terminé, je pourrais vraiment être avec elle.
Bethany a fini par se mettre à sangloter en hoquetant. Elle a dit qu'elle avait hâte de dire à son père qu'il avait raison à mon sujet, que je n'étais pas du tout quelqu'un de bon. Il avait raison, me suis-je dit. Elle a ajouté qu'elle viendrait prendre ses affaires à son retour et qu'elle s'installerait chez une amie. Elle m'a demandé si je pouvais éviter d'être là quand elle passerait.
- Bien sûr, ai-je dit en allumant ma troisième cigarette. Je sortirai. Je peux rassembler tes affaires si tu veux...
J'ai pensé aux affaires de Bethany entassées dans le coffre de ma voiture.
- Va te faire foutre, a-t-elle lancé avant de raccrocher.
Ce soir-là, je ne me suis pas autorisé à aller voir Hannah. Bethany risquait de rappeler pour déverser sur moi un nouveau flot d'injures et de questions, sans compter que je ne méritais pas d'être réconforté par Hannah. Je méritais une nuit de solitude. Je méritais pire que ça.
Avais-je vraiment tout arrangé en quittant Bethany ? Je n'avais pas la moindre intention de parler d'Hannah à Bethany ni le contraire. Mais pouvais-je m'en tirer à si bon compte ? Pouvais-je débuter allègrement une nouvelle histoire avec Hannah sur la base de mensonges ?
J'ai rejeté les draps et vérifié mon téléphone : 8 h 45.
Hannah devait se préparer pour aller travailler. Ou plutôt être en route pour le bureau. J'espérais qu'elle ne soit pas crevée après notre week-end dans les montagnes.
Peut-être qu'aujourd'hui je déjeunerais avec elle - pour de vrai.
J'ai froncé les sourcils. Devais-je encore me déguiser en homme d'affaires ? Tôt ou tard, et le plus tôt serait le mieux, j'allais devoir lui révéler que j'étais M. Pierce. Ellecomprendrait. Elle comprendrait que mon métier m'acculait au mensonge... Non ?
J'ai passé un tee-shirt et je me suis laissé tomber sur ma chaise de bureau. J'ai ouvert ma boîte de réception. Un e-mail est apparu au moment où j'effaçais un spam. Le nom de l'expéditeur m'a fait sourire : FIT TO PRINT1. Ce fichu magazine. Si je m'étais abonné pour recevoir leurs derniers articles, c'était uniquement parce qu'ils étaient ouvertement obsédés par le mystère de ma petite personne. Ils n'étaient pas idiots non plus. Ils avaient réussi, sans que je sache comment, à découvrir que j'étais représenté par l'agence de Pam. Garder l'œil sur eux ne pouvait pas nuire.
J'ai parcouru le titre. Mon corps s'est refroidi. Ma gorge s'est serrée. Impossible. J'ai cliqué sur le lien de l'article.
L'IDENTITÉ DE M. PIERCE ENFIN RÉVÉLÉE :EN EXCLUSIVITÉ DANS « FIT TO PRINT »
8 juillet 2013
L'écrivain M. Pierce vit à Denver et s'appelle Matthew Robert Sky Jr, a récemment révélé une source anonyme.
Bien que Sky ait obligé ses amis et sa famille à signer un contrat de confidentialité pour protéger sa vie privée, des sources proches de sa petite amie affirment qu'ils savaient depuis longtemps qu'elle préservait le secret de Sky.
« Elle n'a jamais rien dit et esquivait la question de sa vie professionnelle, a dit une amie, mais nous avons fait un pari entre nous. Il y avait pas mal de petits indices. Il la contrôlait et la manipulait en la menaçant constamment. »
Je me suis forcé à poursuivre. Les mots sont devenus flous sur l'écran. J'étais conscient d'avoir une grosse attaque de panique. Je le savais, les symptômes m'étaient familiers. Je manquais d'oxygène, j'étais frigorifié. Je me suis mis à transpirer. Il fallait que je respire. Que je respire.
Des sources proches de sa petite amie.
Le secret de Sky.
Elle n'a jamais rien dit
Bethany.
Bethany m'avait balancé. Comme j'avais rompu avec Bethany, elle m'avait dénoncé.
Mes listes.
Hannah.
J'ai cru que mon cœur cessait de battre. Où était mon pouls ? J'ai serré ma poitrine dans mon poing. Je respirais toujours, mais je ne sentais pas mon cœur battre.
Mon portable n'arrêtait pas de résonner. Depuis combien de temps sonnait-il ? La tonalité était discordante. Je l'ai porté à mon oreille d'une main tremblante.
- Matthew ?
C'était Pam.
- Matthew ? Tu es là ? Tu es en train de lire ?
- Hannah, ai-je articulé péniblement.
- Pardon ?
- Est-ce..
- Matthew, écoute. J'ai besoin que tu me dises. Je me moque de savoir comment c'est arrivé mais maintenant, tout le monde est aucourant. Tu dois me dire comment tu veux rebondir. Il y a un journaliste dans les locaux.
Quand j'ai voulu me lever, je me suis écroulé.
Un journaliste. Non, ce n'était pas grave. Pam ne comptait pas. Fit to Print n'avait pas d'importance. Bethany non plus. Mes secrets et mes livres m'importaient peu.
Hannah.
- Hannah, ai-je dit. Où...
- Matthew ! Bon sang. Je serais heureuse de charger Hannah de me débarrasser de ce journaliste en lui donnant un rendez-vous en 2016, mais elle n'est pas encore arrivée. Écoute. Je peux demander à la sécurité de le mettre dehors, ou alors l'accueillir dans mon bureau et feindre l'ignorance. Ou bien nous pouvons dévoiler le pot aux roses. De toute manière, l'essentiel est déjà connu, alors nous...
Pas encore arrivée ? Hannah n'était pas au travail. Le journaliste. L'e-mail... Hannah avait-elle reçu le même ? S'était-elle inscrite à Fit to Print ?
Je n'ai pas le souvenir d'avoir terminé ma conversation avec Pam ni d'avoir appelé Hannah. Je sais seulement que sa voix a soudain éclaté dans mon oreille.
- Salut, toi ! a-t-elle dit.
J'entendais qu'elle marchait. Le vent soufflait dans le micro du téléphone. Elle avait l'air normal. Même joyeuse.
- Hannah, Hannah, écoute...
- Matt ?
Quand j'ai voulu agripper ma chaise de bureau, elle m'a échappé des mains en pivotant.
- Matt, qu'est-ce qu'il y a ?
- Hannah. (J'ai dégluti. Ma salive avait un goût de bile.) Où es-tu ?
- Je suis... à cinq pas de l'agence, et à dix minutes de me faire passer un savon parce que je suis en retard. Bon, tu...
- Ne raccroche pas, ai-je dit. Hannah. Il faut que tu viennes chez moi. N'entre pas dans l'immeuble. Ne va pas travailler.
Ma voix s'est brisée.
Hannah n'avait pas encore découvert l'article, mais elle était sur le point d'être abordée par un journaliste qui l'avait lu.
- Matt, tu me fais peur. Dis-moi ce qui t'arrive. Ça va ?
- Non, Hannah, ça ne va pas. J'ai besoin de toi, je t'en prie. Viens. Tout de suite, s'il te plaît.
- J'arrive, d'accord. Respire. Mon Dieu, Matt, tu me fais des frayeurs par moments. J'arrive le plus vite possible, d'accord ? Laisse-moi...
- S'il te plaît, viens directement, Hannah...
Des larmes brûlantes se sont échappées de mes yeux.
- Matt, je te promets, j'arrive. Je dois d'abord prévenir Pam. Mais j'arrive, juste...
Mes lèvres remuaient, mais aucun son ne sortait. Je souhaitais la supplier de ne pas parler à Pam. Je voulais la menacer. Viens tout de suite ou sinon...
Il la contrôlait et la manipulait en la menaçant.
- S'il te plaît, ai-je susurré
- J'arrive. Je monte, je dis à Pam que je serai en retard, et quoi qu'il se passe, je viens chez toi, Matt. Donne-moi seulement dix minutes. Cinq minutes.
- Quoi qu'il se passe, ai-je répété.
- Quoi qu'il se passe
- Promets-le. Hannah, promets-moi que tu viendras quoi qu'il arrive.
- Matt, je te jure que je viens le plus vite possible. Quoi qu'il arrive.Chapitre de Matt fort en émotion vous en avait penser quoi ?