16 "Hannah"

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Matt s'est mis à pleurer après que nous avons joui dans ma chambre.
C'était le jour des grandes premières. Un garçon qui offre des fleurs à ma mère. Un garçon qui pleure après avoir couché avec moi.
J'ai toujours cru que je classerais définitivement un partenaire qui fond en larmes après le sexe dans le camp des chiffes molles. Ce n'est pas que je manque de cœur ; seulement, l'idée me semblait tarte. Ça, c'était avant que je rencontre Matt. Matt qui pleure et essaie de cacher ses larmes, c'était la chose la plus triste et la plus touchante que j'aie vue depuis longtemps. Et c'était profondément bouleversant. Je sentais les larmes me monteraux yeux pendant qu'il s'éloignait d'un pas traînant en s'essuyant le visage de son avant-bras.
- Putain, désolé, a-t-il dit en se débattant avec son short.
- Allez, viens par ici.
Une autre première : ne pas me sentir empotée en réconfortant quelqu'un. Je n'ai jamais été douée pour ça. Avec Matt, c'est venu naturellement. Je suis allée l'enlacer chaleureusement. J'ai caressé ses cheveux et frotté son dos.
- C'est juste que c'était vraiment un orgasme très intense, a-t-il marmonné.
Un orgasme très intense ? Matt ne sanglotait pas, mais j'avais vu des larmes couler sur ses joues. Ce n'étaient pas des larmes de joie. Il était triste, et apparemment secoué. D'où venait ce chagrin ?
- Matt, ouvre-moi ta porte, ai-je dit. Laisse-moi entrer un tout petit peu dans ta vie.
Quand nous nous sommes écartés, il ne restait de ses larmes que ses yeux légèrement rougis. Souriant, il a ébouriffé mes cheveux.
- C'est ouvert, et ça le restera, a-t-il dit.
J'ai envoyé Matt en haut pour éviter d'éveiller les soupçons en déboulant ensemble dans la cuisine, le feu aux joues. Matt était décoiffé, mais ce n'était pas si grave. Seule Chrissy risquait de le remarquer, de tout comprendre, et cette idée m'enchantait. J'ai enfilé mon haut de maillot de bain et mon short, ajoutant un long tee-shirt par-dessus.
Quand nous avons traversé la pelouse, la nuit tombait. Matt m'a pris la main. Je n'arrivais pas à me défaire de l'impression que quelque chose le perturbait, bien que par moments il ait l'air si bien que mes inquiétudes me paraissaient idiotes.
Quoi qu'il en soit, nous avons cessé d'éviter de manifester notre affection en public. Sous le nez de mon père, sur la terrasse, et de ma mère dans la cuisine (et de Chrissy qui devait nous espionner depuis sa chambre), Matt m'a embrassée longuement contre un vieux peuplier.
Nous nous sommes allongés dans le hamac, gloussant et manquant chavirer, le temps denous installer. Je lui ai parlé de sa bibliothèque qui m'impressionnait. Nous avons discuté des écrivains que nous aimions tous les deux - Frost, Chandler, Kerouac - et Matt m'a déclamé un poème, Le feu du bois flotté.
- C'est un de mes préférés, a-t-il précisé.
Il a récité les vers avec sentiment, puis m'a fait un petit sourire plein d'autodérision comme s'il croyait que j'allais me moquer de lui.
- C'est beau, ai-je dit, et triste. Tu aimes la tristesse ?
Mes doigts ont suivi l'encolure de son tee-shirt. J'étais enfin assez détendue pour ne plus avoir peur de l'écraser. Le seul arrangement qui ne se soit pas terminé dans la terre, c'était que je m'allonge sur Matt. Le regard perdu dans le ciel, il a délicatement passé la main dans mes cheveux.
- J'imagine, oui. Au moins, les choses tristes me semblent plus sincères.
- Plus sincères ? Le bonheur, ce n'est pas sincère ?
- Si, ça l'est, a-t-il répondu en souriant. Mais la tristesse est plus réelle. Quoi que contienne la vie, elle est triste puisqu'elle a une fin.
- Mais la vie serait un cauchemar si elle était éternelle.
- Ou un rêve, a-t-il murmuré.
Ma main a glissé le long de son torse. Je sentais ses côtes. Il était ferme, tout en muscles. Je l'avais observé picorer son déjeuner tout en me zyeutant comme si j'étais la chose la plus appétissante à table.
Je souhaitais le nourrir. Le réconforter et prendre soin de lui. Et ne jamais le laisser partir, même si ce soir, c'était inévitable. Il devait sûrement travailler le lendemain, et j'avais du pain sur la planche - vider mes cartons, faire plus d'efforts pour aider ma mère et refaire mon CV pour Pamela Wing. À ce propos...
- Matt, tu connais le numéro de fax du bureau de Pamela Wing ?
- Oui, je te le donnerai avant de partir.
Avant de partir. J'ai eu un pincement au cœur.
Une explosion a retenti dans le lointain.
- Le feu d'artifice a commencé, a-je dit.
Enfin. C'était mauvais de rester allongée là, à penser au départ de Matt.
- On ferait bien d'aller sur la terrasse.
- Ouais, a-t-il répondu d'une voix morose, à l'image de mon état d'esprit.
Malgré la chaleur, ma mère avait fait un feu et depuis la terrasse, nous avons contemplé trois feux d'artifice distants. Matt a rapproché sa chaise si près de la mienne que c'en était comique, mais cette disposition ne semblait pas lui convenir. Je crois qu'il aurait préféré que je m'asseye sur ses genoux. Il consultait son téléphone de manière compulsive. J'ai dû le pousser du coude à plusieurs reprises pour lui montrer les plus jolis jeux de couleurs, ceux qui me faisaient penser à de la poussière d'or et qui s'attardaient dans le ciel. Après le bouquet final, Matt a aidé à ranger les chaises pliantes et les bougies à la citronnelle. Daisy le suivait en geignant. Moi aussi, j'avais envie de le suivre en geignant.
Il a serré la main de mon père, enlacé ma mère. Jay et Chrissy étaient déjà en bas, sur la PS3, où ils resteraient jusqu'à deux heures du matin.
J'ai raccompagné Matt à sa voiture.
Je pouvais toujours monter et aller chez lui. Le souhaitait-il ? La soirée avait été magique pour moi, mais Matt s'était peut-être forcé. Il avait probablement hâte de se retrouver seul. C'était une énigme pour moi, et plus je m'ouvrais à lui, plus il me paraissait fermé.
- Je sais que je ne peux pas t'enlever ce soir, a-t-il dit. Tu voudrais venir ?
- Sans hésiter, Matt. Mais...
- Je sais, la vie.- Oui... (Je l'ai tenu par les hanches.) Mais demain, c'est vendredi.
- On se voit ?
- Bien sûr ! Je n'ai envie de voir personne d'autre que toi, et je n'ai pas tellement d'amis de toute façon.
- Et ton ami d'école ?
- Evan ? ai-je dit en riant. Ça ne compte pas. Il veut juste coucher avec moi.
Le temps d'un instant, Matt a eu une tête d'assassin. J'ai dégluti en essayant de le prendre dans mes bras, mais son corps était rigide.
- Hé, tu es mon seul ami dans ce coin. Et mon seul amoureux.
Amoureux. Merde, ça faisait tout drôle. Qu'étions-nous au juste ? Nous sortions ou nous couchions ensemble ?
- Amoureux, a murmuré Matt, comme s'il se posait la même question.
Il m'a finalement enlacée et embrassée, son attitude montrait qu'il n'avait pas envie de me quitter. Son baiser s'est accentué. Il a gémi dans ma bouche en pressant nos corps l'un contre l'autre. Mon Dieu, il avait envie de moi. Moi aussi j'avais encore envie de lui. Je voulais profiter de son corps jusqu'à ce que nous soyons trop exténués pour bouger. J'ai enroulé ma jambe en crochet autour de lui et serré ses fesses. Il a tiré sur le lobe de mon oreille.
- Si jamais tu me fais bander, a-t-il grondé, tu devras te débrouiller avec.
- Bien, Monsieur, ai-je répondu en tirant sur son short.
Dans un éclat de rire, nous avons pris nos distances.
- Demain, a-t-il dit.
Il m'a envoyé le numéro de fax de Pamela Wing par SMS pendant que nous étions devant sa voiture, puis il est monté et s'est éloigné plus lentement que je ne l'en aurais cru capable. Je l'ai suivi du regard jusqu'à ce que ses feux arrière disparaissent dans le virage. Je commençais à comprendre son aversion pour les au revoir.
J'ai arrangé mon curriculum vitae et je l'ai faxé au bureau de Pamela Wing dans la soirée, ainsi qu'une lettre de motivation pour me présenter, m'excuser d'avoir été mal préparée lors de notre première rencontre et exprimer mon vif désir de travailler pour elle. La rédaction de ma lettre et la correction de mon CV m'ont aidée à ne pas penser à Matt pendant une heure. Mais une fois les pages transmises par fax, j'ai ressenti son absence. Elle s'est tant développée dans ma poitrine que c'est devenu douloureux. Pourquoi ?
Peut-être que je voyais trop Matt.
Peut-être que je ne le voyais pas assez.
J'ai traîné dans la maison. Il était passé partout, en embellissant chaque recoin. Il avait rendu ma cuisine magique, mon jardin lumineux. Même cette horrible salle de jeux avait pris une teinte amusante. À présent, ces pièces étaient sombres et vides.
De mon lit, j'ai vérifié mes e-mails. Surprise, j'ai découvert un nouvel épisode de Matt, envoyé cinq minutes plus tôt. Il était une heure moins dix du matin. Mon oiseau de nuit. Le sourire aux lèvres, je me suis blottie sous les draps pour lire ses paragraphes.
Dans le tourbillon des deux derniers jours, j'avais oublié notre récit. Soudain, j'étais impatiente de savoir comment Cal allait réagir devant le bain de Lana. J'ai survolé le texte.
C'était très bon.
Tout en lisant, une vague de chaleur familière m'a envahie.
Cal fixait le corps nu de Lana, sans chercher à cacher son intérêt. « Loin de se comporter en galant homme, avait écrit Matt, Cal se délectait du luxe d'en être conscient. »
Matt ne faisait aucune allusion au cadre, et ça fonctionnait. Cal oubliait tout ce qui l'entourait. Seul existait l'être humain qui se baignait dos à lui. J'ai compris que ça allait bien tourner quand Cal a eu un aperçu du profil arrondi de ses seins.
Toutefois, Cal n'était pas simple. Tout en se dévêtant et en marchant vers la rivière sombre, il se questionnait sur ce qu'il adviendrait s'ils étaient ensemble. Il était un démon, après tout, et elle une mortelle. Matt en avait fait un être sincère dans ses interrogations, comme dans sa souffrance.
Cal traversait le monde dans une peau d'emprunt. Il pouvait posséder Lana, mais pas la garder. Il ne pouvait pas l'aimer.
Je me suis projetée sans vergogne dans Lana pendant que cette dangereuse créature rôdait en se rapprochant d'elle, en se faufilant dans la rivière comme un serpent. Il lui a pris le savon des mains et a commencé à la laver. Les courants sous-marins les poussaient régulièrement l'un contre l'autre.
Très chaud.

J 'ai envoyé un SMS à Matt.
Joli post. Merci.
Il a répondu instantanément.
Plus sympa de l'écrire que d'être couché seul dans mon lit. Tu me manques. Bonne nuit, petit oiseau.

Matt était dans son lit, et je lui manquais. J'étais couchée, et il me manquait. Bien, nous étions dans le même bateau... mais où allait ce bateau ?
Mon portable m'a réveillée à 7h15. Tout en cherchant mes lunettes à tâtons, je me suis emparée du téléphone pour répondre au numéro inconnu.
- B... (J'ai toussée. Saleté de voix matinale.) Excusez-moi. Allô ?
- Bonjour, Hannah, Pam Wing. Impressionnant, votre CV. Matt a omis d'évoquer votre programme d'études anglo-américain Fulbright. C'est très bien, ça. J'ai besoin de vous aujourd'hui.
J'ai rejeté mes draps. Ouah, Pamela Wing en personne avait besoin de moi illico ! Cette fois, je n'allais pas rester sans voix, les bras ballants.
- C'est formidable, ai-je répondu. Je suis impatiente de commencer. Je serai là dans moins d'une heure.
- Parfait.
Clic.
Dans moins d'une heure. Dans quarante-cinq minutes, en somme. J'aurais dû m'accorder de la marge, mais je voulais commencer en beauté. Je me suis douchée et épilée en quinze minutes, et j'ai pris le temps de choisir ma tenue. Je souhaitais arborer une allure professionnelle, mais être à l'aise. J'ai opté pour des collants couleur chair, une jupe droite grise, un chemisier blanc et des escarpins noirs. Je me suis contrainte à rester concentrée. Donc, interdit de penser à Matt, sinon j'allais me perdre dans mes rêvasseries.
J'ai franchi les portes de l'agence Granite Wing à 7h55. Bingo !
Le bâtiment était vide. Après avoir cherché prudemment mon chemin, j'ai fini parlocaliser le bureau de Pamela Wing. Sa porte était ouverte, et elle était assise à son bureau où elle parcourait une liasse de documents, sourcils froncés. Quand j'ai frappé, elle n'a pas levé les yeux.
- Pas tout à fait moins d'une heure, Hannah, mais pas loin..
Pas tout à fait moins d'une heure ? J'ai vérifié l'heure, les joues en feu. Bon, j'avais perdu dix minutes à errer dans les locaux, mais je n'étais pas en retard. L'avertissement de Matt m'est revenu en mémoire. Aucune marge d'erreur. Il ne rigolait pas. Et putain, ce n'était sûrement pas le bon moment pour penser à Matt, à son sourire malicieux, à son torse large et à son énorme...
- Votre place est là, a déclaré Pam en pointant son stylo vers une porte donnant sur son bureau, toujours sans lever le nez de sa pile de feuilles. J'ai déposé des documents à étudier sur votre bureau. Ils ne comportent pas d'erreurs. Ce sont des documents finalisés relatifs aux droits d'édition numérique de l'un de nos auteurs. J'ai besoin que vous vousfamiliarisiez avec ces contrats dès aujourd'hui. J'ai également besoin de cerner vos talents de lectrice. Vous trouverez cinq manuscrits partiels sur votre bureau. Lisez-les et rédigez une note de lecture en donnant votre avis. Envoyez-les moi par e-mail avant la fin de la journée. J'ai déjà lu ces textes. Si nous partageons le même point de vue, vous m'aiderez à faire du tri dans cette pile. Et enfin, j'aimerais que vous...
Pamela a déroulé la liste de mes tâches pendant cinq minutes.
Je refusais de me sentir intimidée. (Ou plutôt, je refusais de montrer que je l'étais.) Elle cherchait probablement à voir si j'étais impressionnable, et ce n'était pas le cas. J'ai écouté ses instructions, pris bonne note de ses demandes, je l'ai remerciée et je me suis mise au travail. Enfin, j'ai commencé par envoyer un SMS à Matt.
Je travaille pour le requin. Pause déj à 13h. Tu me rejoins ?
Puis j'ai commencé pour de bon.

À SUIVRE...

Partie assez courte de Hannah, vous en penser quoi de ce livre ?

Long NightOù les histoires vivent. Découvrez maintenant