J'ai téléphoné à Pam vendredi matin. Je devais me couvrir à propos d'Hannah.
Pour être honnête, je commençais à craquer. J'avais fait la connaissance de la famille d'Hannah. J'avais pleuré après que nous avions baisé. Et pendant que j'étais chez Hannah, Bethany avait envoyé un SMS et appelé deux fois.
Des listes. M'en tenir aux listes. Contrôler. Prendre rendez-vous avec Mike. Appeler Pam. Putain, j'avais merdé, j'avais réagi de façon exagérée à l'évocation de M. Pierce. Hannah l'avait remarqué. On dirait que tu as une dent contre ce pauvre écrivain.
Ce pauvre écrivain. Moi en l'occurrence. J'en faisais trop. Ma colère était suspecte, comme ma tendance à me moquer d'Hannah parce qu'elle appréciait mes livres, et à rabaisser Pierce. J'aurais dû m'y prendre autrement. Feindre l'indifférence.
Et voilà que maintenant Hannah vivait dans l'ombre de mon agent. Bien joué, Matt. Tu n'as pas résisté à la tentation d'affirmer ton importance. Non, ce n'était pas ça. C'est à l'envie d'aider Hannah à trouver un boulot que je n'avais pas résisté. Or, je n'étais pas un homme d'affaires. Je n'avais pas des dizaines de relations à Denver. Je ne connaissais qu'une seule personne d'influence et je l'avais mise en relation avec Hannah, et à cause de ça, j'avais du mal à trouver le sommeil.
Du mal à trouver le sommeil ? Pour ça, il aurait encore fallu que je dorme un minimum. En réalité, je n'avais pas fermé l'œil de la nuit. Je l'avais passée à me retourner dans mon lit, empêtré dans ce nœud de mensonges.
- Allez, décroche, ai-je marmonné en faisant les cent pas.
- Bonjour, a répondu Pam d'une voix tracassée. Tu avances bien sur ton roman ?
- Non. Il faut qu'on parle.
- Tu as un psy. Je te donne cinq minutes.
- Je suis très sérieux, Pam. C'est au sujet d'Hannah. Tu sais, la...
- Oui, je sais. Elle a faxé son CV... un jour férié. J'espère qu'elle fera l'affaire.
- Quoi ? Tu l'as embauchée ?
- À l'essai. Elle ne va pas tarder. Je n'oublierai pas de te remercier si elle tient le coup jusqu'à la fin de la semaine prochaine.
- Vas-y doucement avec elle, ai-je lancé. Putain !Je me suis tiré les cheveux. Pourquoi avais-je dit ça ?
- Tu appelles dans un but précis ? J'aime être mon propre chef, pas qu'on me dise comment gérer mes affaires. Puisque tu m'as recommandé Hannah, j'ai supposé que tu la croyais capable de...
- Pam, excuse-moi. Oublie ce que j'ai dit. C'est une amie. C'est pour ça que j'appelle. C'est presque une évidence, mais il est impératif que...
J'ai arrêté de marcher en long et en large pour chercher mes mots, tout en me massant la nuque. Pour une fois, Pam n'a pas profité de mon silence pour intervenir. Même ça, ça m'a énervé. Ma relation avec Hannah l'intriguait-elle ? Pam était douée pour cacher sa curiosité à l'égard de ma vie, mais je ne connaissais personne de plus rusé qu'elle. Au cours de ces dernières années, elle avait probablement compris un tas de choses sur moi.
Voilà que j'en étais à analyser Pam. M'analysait-elle aussi ? Il fallait juste que je mange un bout. Je n'avais avalé qu'une tasse de café, et l'estomac vide, ça me provoquait des tremblements.
- Impératif qu'elle... ne sache pas que je suis qui je suis, ai-je bredouillé. (Très belle phrase. Chapeau, l'auteur de best-sellers.) J'entends par là, les documents et... les trucs avec mon
nom dessus... en rapport avec...
Elle a poussé un soupir d'agacement ; je l'ai maudite
- Pam, je sais que tu as autant à cœur que moi de préserver ma vie privée, mais étant donné les circonstances, je...
Finalement, la reine des glaces a pris la parole. Je pouvais me réjouir d'avoir Pam Wing dans mon camp.
- Il n'y a rien dans ce bureau, a-t-elle dit, pas de papiers ni rien en ce sens. Tout est chez moi, et même ici, les ordinateurs ont des mots de passe et les dossiers sont sous clé. Ça m'étonne que ça ne t'ait pas inquiété plus tôt.
Pam avait raison. Jusque-là, je ne m'étais pas demandé comment elle protégeait mon identité. Qu'elle le fasse me suffisait. Elle devait se demander pourquoi la présence d'Hannah me rendait paranoïaque. Putain de merde. Ce coup de fil était une erreur de plus.
- Tu dis que tu sais que ta vie privée me tient à cœur, a-t-elle repris, mais je ne suis pas sûre que tu le saches vraiment. Tes éditeurs et moi ne pouvons pas te faire connaître personnellement - et c'est bien dommage. Enrevanche, nous pouvons jouer avec ton mystère pour te vendre. Je pense que tu comprends. J'ai tout intérêt à préserver ton anonymat. Alors, au lieu de m'insulter en insinuant que je suis négligente, pourquoi ne vas-tu pas travailler comme tout le monde ? Va donc écrire quelques pages. Tes cinq minutes sont écoulées.
Pam a raccroché. Je me suis laissé tomber sur ma chaise de bureau. J'avais la gerbe. En temps normal, les piques de Pam me distrayaient. Pas là.
J'ai ouvert mes listes. J'aime dresser des listes. Mike me conseille de m'en détacher ; il dit que je dois apprendre à bien vivre les aléas de la vie, donc ce qui échappe à mon contrôle.
Merde à tout ça.
Ouvrir les documents a suffi à apaiser mes tremblements. Là, je pouvais me couvrir. Je ne menais pas une double vie. Je protégeais l'intégrité de ma plume. Je pouvais être avec Hannah. Je pouvais agir pour éviter qu'elle souffre. Tout était possible.
J'étais dans ma bulle, devant mes listes