Chapitre 13

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Millicent

Le temps fut toujours aussi brumeux, mais mon cœur était plus léger, car je pouvais désormais parler à Alex comme avant et continuer d'apprendre à connaître Zacchary.

Aujourd'hui, j'avais une autre épreuve qui m'attendait. Il fallait en effet que je me montre forte pour le cours de gym, car qui disait gymnastique, disait Enza et Tessie dans les parages.

Elles aussi étaient gymnastes.

***

Une fois mon justaucorps et mes basanes enfilés, je rangeais mes affaires dans mon casier. Je sortis ensuite du vestiaire, tout en n'oubliant pas de claquer bien fort la porte du meuble, avant. Les casiers dataient du début du XXe siècle, tout comme le Lycée Vespucci, d'où leur résistance.

Depuis un peu plus de deux ans, je m'entraînais avec acharnement pour montrer le meilleur enchaînement possible au jury. L'examen final avait lieu au mois d'avril. Il ne me restait donc plus que cinq mois.

En gymnastique artistique, il y avait ce que l'on appelait des « agrès ».

Étant une fille, ceux qui me concernaient étaient le sol, le saut, les barres asymétriques et la poutre. Je pouvais, si je le souhaitais, intégrer le trampoline, mais les quatre précédents devaient obligatoirement être présents dans mon enchaînement.

***

Dès que j'eus fini de m'échauffer et de m'étirer, je me mis au travail.

Je ne faisais pas attention à la présence d'Enza et de Tessie et démarrais mon enchaînement.

J'appliquais sur mes mains et mes pieds un peu de magnésie, à l'instant même où j'arrivais au niveau des barres asymétriques. Je protégeais aussi mes poignets en mettant des maniques.

J'effectuais plusieurs figures de voltige en passant d'une barre à l'autre. La bascule, le endo, le salto, le retrait étaient des exemples de mouvements que je pratiquais. Après un balancé avant, je lâchais l'une des barres pour réaliser un salto arrière. Une fois au sol, les mouvements se succédaient à une allure folle. Toute la surface du praticable était utilisée et je laissais mes émotions me submerger. Je fis la roue et le grand écart avec grâce avant d'entamer « le saut » et pour finir, la poutre. Dès lors que la triple pirouette sur la poutre fut exécutée, j'entendis un tonnerre d'applaudissements provenir non loin de moi.

Comme mon enchaînement était terminé, je pouvais en profiter pour tourner légèrement la tête afin de voir qui étaient les auteurs de l'ovation. Sans surprise, je vis Alex et Clarisse me sourire. Alors que je sautais de la poutre pour les rejoindre, une personne aux cheveux roux, et dont les ongles avaient été soigneusement vernis d'un rose bonbon, me devança. C'était Enza qui courait vers mon meilleur ami pour l'embrasser à pleine bouche !

Sur le coup, je me disais : « Non, mais elle ne va pas bien ! » et puis, finalement après, je me souvins d'une chose.

Alex était amoureux de Clarisse !

Bon sang, ça ne pouvait pas arriver ! Je vis ma meilleure amie faire de gros yeux devant cette scène plus que répugnante, quand tout à coup, j'entendis Enza dire : « Je t'aime, Alexandre ! »

Ce fut sans réfléchir à deux fois que je me jetais sur Enza pour lui refaire son portrait. Le crêpage de chignons cessa dès lors que deux de nos professeurs nous séparèrent.

— Qui a commencé ? s'énerva Mme Byhet, ma professeure de Gymnastique artistique.

— Allez, on attend une réponse ! intervint en tapant du pied le professeur Delaunay, enseignant en gymnastique artistique masculine.

Pour toute réponse, Enza et moi-même regardions nos pieds.

— Bien, vous savez ce que ça veut dire ! s'exclama Mme Byhet.

Je ne voulais pas les entendre le dire ! Je serrais les dents, inquiète.

— Vous ne nous laissez pas d'autre choix que de vous coller ce samedi de 8 h à 10 h pour cause de perturbation de cours. Je ne veux pas de violence physique au sein du gymnase, nous annonça d'une voix glaciale M. Delaunay en nous tendant une petite feuille.

— Merci, lançai-je, sur le coup de l'émotion.

— Pardon ? s'étonna Mme Byhet.

— Excusez-moi, j'étais ailleurs, répondis-je confuse.

Moi, Millicent Aberline, j'allais être collée pour la première fois de ma vie, parce que je m'étais jetée sur une fille qui ne pensait qu'à elle.

Tu te souviens du jour où...Où les histoires vivent. Découvrez maintenant