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Le même jour, à Dijon

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Le même jour, à Dijon

D'un pas nonchalant, Florian S rentre chez lui, l'air rêveur. Il approche de la chouette sculptée dans la pierre ocre sur un contrefort de l'église Notre-Dame et, amusé, regarde une vieille femme très voûtée qui peine à se redresser pour effleurer la tête lisse de l'oiseau supposé porter bonheur. Il n'a pas ce genre de superstition ; pourtant, aujourd'hui, une impulsion lui fait caresser, à son tour, la petite sculpture usée par les touchers innombrables des Dijonnais depuis cinq siècles.

« On ne sait jamais... », pense-t-il en souriant.

Après avoir contourné un groupe de touristes occupés à photographier la remarquable façade rose et la toiture vernissée typiquement bourguignonne de l'Hôtel de Vogüé, il s'engage dans la rue Verrerie, si pittoresque avec ses maisons médiévales à colombages, ses galeries d'art et ses boutiques d'antiquaires.

Dans cette étroite rue piétonne, située au centre du secteur classé historique, il habite un très modeste appartement de deux pièces en location, perché au quatrième étage, sans ascenseur. C'est un ancien grenier, mal isolé (une glacière en hiver et un four en été), sommairement aménagé par un propriétaire peu scrupuleux. En fin d'après-midi seulement, son logement mansardé peut recevoir quelques rayons de soleil par deux petites fenêtres en avancée sur le toit.

Avec la vigueur de ses vingt-sept ans, Florian monte sans effort les escaliers en bois, fort vétustes, aux marches branlantes et creusées au cours du temps par les multiples passages. Il ne remarque plus la rampe crasseuse, les murs lépreux, les tuyauteries de gaz et les fils électriques douteux qu'il voit ainsi depuis des années.

Dès qu'il ouvre la porte, il est accueilli par Laura, une chatte persane à l'épaisse et soyeuse fourrure noire, aux prunelles dorées, qui vient se frotter sur ses jambes. Il la prend contre lui dans le creux de son bras gauche, comme on le ferait d'un bébé, et la gratte sous le cou ; elle ronronne de plaisir, habituée à ce rituel affectueux. De sa main libre, il ouvre son réfrigérateur et se sert un verre d'eau pétillante.

Sa pratique régulière du jogging et de la natation, alliée à une alimentation équilibrée, lui assurent une bonne forme physique. Son allure saine et sportive, ses cheveux blonds attachés sur la nuque, son nez droit dans un visage énergique, ses yeux noisette légèrement étirés vers les tempes ne laissent pas insensibles les cœurs féminins...

Ainsi, la semaine dernière, lors d'une réception chez des collègues, Helena Z, infographiste comme lui dans la même entreprise de publicité, espérait prolonger la soirée en sa compagnie, d'une manière plus intime...

Cette sémillante jeune femme d'origine italienne ne lui déplaît pas, mais il a préféré décliner aimablement ses avances car, depuis plusieurs mois, il entretient une liaison épisodique avec Lydiane d'H qui exerce sur lui une forte attirance physique, bien que leurs caractères et leurs goûts soient totalement opposés. Florian s'efforce de rester calme et courtois en toute circonstance ; il est passionné par la peinture qu'il pratique avec un talent reconnu, aime la musique classique et la littérature, milite pour l'écologie – tandis que Lydiane, dépendante de l'alcool et du tabac, impulsive, s'exprime sur un ton agressif à la moindre contrariété ; elle apprécie surtout les boutiques de luxe, les restaurants chics, les lieux de vacances branchés ; experte en affaires, elle dirige avec compétence son agence immobilière réputée à Dijon.

Ce soir, installé dans son fauteuil au cuir râpé, Laura lovée sur ses genoux, il ouvre un hebdomadaire d'actualités pour en parcourir l'éditorial dont il prise le style et l'objectivité.

La sonnerie de son téléphone fait déguerpir la chatte et interrompt sa lecture ; Lydiane, d'une voix plus douce qu'à l'accoutumée, l'appelle pour lui proposer de venir dîner, le lendemain, vers dix-neuf heures.

Gardant un souvenir mitigé de leur dernière rencontre, il serait bien resté tranquillement chez lui, à peindre, ou à lire... en écoutant un de ses nombreux disques. Cependant, d'une nature conciliante, Florian accepte le rendez-vous, n'ayant pas de véritable motif pour refuser l'invitation. De plus, comme elle a passé le week-end à Paris, chez ses parents, il ne l'a pas revue depuis une grande semaine, et (sans vouloir se l'avouer) il n'est pas mécontent à l'idée de la rejoindre demain, des rêves érotiques commençant à troubler ses nuits. Néanmoins, après avoir éteint son portable et repris le magazine, Florian soupire :

« Lydiane paraît beaucoup tenir à moi, mais elle n'a peut-être, en fait, qu'un besoin de possession... Nous n'avons aucun point commun. Où tout cela va-t-il me conduire ?... »

Cherchant en vain à se concentrer sur sa lecture, il poursuit sa réflexion :

« C'est vrai qu'elle a un look exceptionnel... mais aussi un caractère impossible !... et je ne suis pas prêt à renoncer à mon indépendance. »

Il termine distraitement l'article du journal, puis revient à son problème.

« Ces relations sexuelles dénuées de sentiments me laissent forcément déçu ; pourtant, je n'arrive pas à rompre... Elle en serait sûrement blessée... Je ne supporte pas de faire souffrir quelqu'un. »

Cette dernière pensée lui rappelle la déception d'Helena, lors de la soirée où ils étaient tous deux invités.

« J'ai quand même bien fait de résister à ses avances ; je ne suis pas non plus épris d'elle... Et ce serait vraiment gênant de marcher sur les brisées d'Hubert qui l'aime sans être payé de retour, mais espère toujours. »

Un lointain souvenir l'emplit de nostalgie.

« Moi aussi, j'espère toujours... pouvoir aimer comme lorsque j'avais dix-sept ans... »


PhalèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant