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Trois ans plus tard...

Lylène est une ravissante fillette blonde aux yeux pervenche, d'une étonnante précocité, vive et enjouée, très affectueuse, qui apporte de la joie autour d'elle –notamment dans la vaste maison du " Clos Vignot " où la famille passe d'agréables week-ends. La demeure est désormais accueillante, le fantôme n'étant jamais revenu hanter les lieux.

Mr et Mme d'H viennent plusieurs fois par an à Dijon, ayant trouvé en eux des trésors de tendresse pour leur petite-fille ; Ingrid, surtout, a découvert tardivement le plaisir de materner. A chacune de leurs visites, l'enfant est heureuse de les voir arriver, d'autant plus qu'ils lui apportent de nombreux jouets (beaucoup trop, au goût de ses parents).

Lydiane et Florian, toujours aussi épris l'un de l'autre, vivraient en parfaite entente si quelques nuages ne venaient brouiller leur ciel lorsque les grands-parents parisiens sont là. En effet, leur gendre les supporte difficilement, bien que ceux-ci fassent de réels efforts de simplicité. Il se réfugie alors dans la partie privée de sa galerie d'art où, méditant devant le portrait de Phalène (qu'il a refait à l'identique de celui qui a brûlé), il recouvre une certaine sérénité.

Comprenant cette incompatibilité de caractères, sa femme le souhaiterait pourtant plus sociable envers eux. Elle ne sait que répondre à sa fille quand la petite, aux repas, lui demande : " Pourquoi Papa il est pas là ? ", ni à sa mère qui, d'un ton pincé, lui fait des remarques de ce genre : " Tu as épousé un fier ours... "

Florian, qui ne se lasse pas de dessiner l'enfant, réalise ce matin un nouveau portrait de Lylène jouant à la dînette avec ses poupées. Le tableau promet d'être une réussite. L'artiste a parfaitement saisi l'une de ses expressions, si touchante, qui la fait parfois resplendir d'une grâce et d'une innocence intemporelles.

Observant sa physionomie depuis un moment, il s'aperçoit, intrigué, que la fillette reste immobile et le regard fixe. Soudain, Lylène fond en larmes, sans raison apparente ; posant son pinceau, il s'approche d'elle, très surpris par ce comportement insolite :

Tu as mal ? s'inquiète-t-il.

Non. Z'ai vu un avion... Il est tombé !

Ses pleurs s'amplifient. Lydiane arrive à son tour :

Qu'est-ce qui ne va pas, ma Lylou ?

C'est Papy et Mamy...

Ils sont en Amérique, mais vont bientôt rentrer.

Non, ils sont dans l'eau. Ze les vois...

Ce n'est pas possible ; ils sont trop loin d'ici.

Mamy crie... Papy dit : ...

Il dit quoi ?

Ze sais pas.

Le regard de Lylène perd sa fixité. Mais, toujours impressionnée, la petite ne veut plus jouer, puis refuse de manger au repas de midi – alors qu'elle a d'ordinaire bon appétit. Elle demande à se coucher. Sa mère la porte dans son lit et reste à son chevet, lui chantant à mi-voix des comptines, jusqu'à ce qu'elle s'endorme.

Revenant vers son mari soucieux, Lydiane cherche à le tranquilliser, lui assurant que leur fille ne semble pas malade et qu'elle a dû faire un rêve éveillé...

Après sa sieste, l'enfant paraît avoir tout oublié et va cueillir des fraises sur la terrasse, pour son goûter. Sous l'œil bienveillant de Laura, elle rit et s'amuse avec sa compagne de jeu favorite, Ophélie, une jeune chatte persane dont les yeux turquoise luisent dans l'épaisse fourrure blanche (dernier cadeau d'Ingrid).

Au journal télévisé du soir, ils apprennent, sidérés, qu'un Airbus A330 s'est abîmé le matin dans l'océan, entre les Etats-Unis et la France, avec plus de trois cents personnes à bord. La Compagnie aérienne a diffusé, sur son site, une liste des disparus.

C'est ainsi que Lydiane, effondrée, est informée que ses parents ont péri dans cette catastrophe.

PhalèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant