28

8 1 0
                                    



Lundi 19 octobre

Florian vient de mettre la touche finale à un nouveau portrait de Phalène. Un premier essai réalisé la veille, plutôt réussi sur le plan pictural, ne lui semblait pas assez fidèle.

L'artiste n'est toujours pas satisfait de cette seconde aquarelle en ce qui concerne la ressemblance. Il travaille de mémoire, et craint de ne jamais parvenir à reproduire son sourire un peu malicieux, l'une de ses expressions qu'il aime entre toutes.

« Dommage que je n'aie plus de photo d'elle, du temps de Porquerolles... »

Il en avait une (simple petit cliché d'identité), gardée précieusement sur lui pendant plusieurs années, mais hélas perdue lors d'une randonnée en montagne.

Florian examine longuement son œuvre. Tout autre que lui pourrait trouver l'ensemble excellent ; les couleurs, la transparence et la qualité de la composition sont remarquables. Le pur visage de Phalène se détache sur un fond céleste, lui conférant un aspect surnaturel ; ses grands yeux limpides sont levés, contemplant l'infini azuré ; et par un dégradé du bleu au blanc, il a bien rendu le halo de lumière qui l'environne. Ce portrait est d'une grâce raphaélique.

« C'est le mieux des deux, à coup sûr ; mais j'en ferai encore un tout à l'heure... »

Assise sur la table, Laura regarde alternativement son maître et la peinture.

« Qu'est-ce que tu en penses ? », lui demande-t-il en la caressant entre les deux oreilles.

La chatte, voyant qu'on s'intéresse à elle et qu'on lui parle, module un son prolongé, à la fois miaulement et ronronnement.

« Tu ne peux sûrement pas reconnaître une figure humaine dans ce que je peins. Tu ne vois sans doute que des taches de couleurs. Pour identifier une personne, il te faudrait aussi du volume et une odeur. »

Florian esquisse rapidement un autre portrait, dans l'intention de le terminer après avoir bien observé l'expression de Phalène lorsqu'elle sourit.

Un coup d'œil à sa montre lui apprend qu'il travaille depuis plus de trois heures. Passionné par son art, il ne voit pas le temps s'écouler quand il a le pinceau à la main.

« Ah, c'est le moment d'arrêter ! Elle est peut-être déjà là, invisible... »

Comme il passe fréquemment la nuit chez Lydiane, Phalène et lui se retrouvent ici, en milieu d'après-midi, aussi souvent que possible.

Il va s'allonger dans la chambre aux sons d'une musique synthétique de relaxation, tandis que Laura vient se lover à ses pieds.

Florian perçoit bientôt les prémices familières annonçant celle qu'il attend... Elle prend forme, nimbée de cette douce lumière irisée qu'il a bien su rendre en peinture. Puis leurs deux êtres subtils se rejoignent. A chaque nouvelle rencontre, ils restent de plus en plus longtemps unis dans cette merveilleuse plénitude...

Phalène lui apprend qu'elle méditait ce matin dans son appartement d'Aix, quand elle a eu l'heureuse surprise d'y voir apparaître Zélie qui faisait un " voyage " hors de son corps.

Lorsqu'elle me rendait visite à l'hôpital, j'avais tant de difficultés pour m'exprimer correctement... Chez moi, quel plaisir nous avons eu à communiquer d'esprit à esprit !... On s'est promis de renouveler ce genre de situation.

Ah !... Zélie a donc réussi là où j'ai échoué, le jour où j'ai cherché à te retrouver, alors que j'étais sous hypnose.

Phalène est étonnée de remarquer une pointe de dépit dans les pensées de Florian. En guise de réponse, elle lui adresse son plus délicieux sourire. Un tel charme en émane qu'il oublie vite son léger désappointement rétrospectif.

Elle flotte quelques instants au-dessus du lit, puis passe dans le séjour en traversant le mur pour aller regarder les dernières aquarelles. N'osant bouger, dans la crainte de quitter son état particulier de conscience, il se sent un peu frustré de ne pas pouvoir la suivre et de ne plus la voir (bien qu'il saisisse toujours sa pensée). Phalène revient aussitôt s'étendre près de lui.

Tu as beaucoup de talent, Florian ; mais si tu veux réussir, de mémoire, à reproduire exactement mon expression, il te faudra peindre avec tes sentiments plutôt qu'avec ta technique. Quand j'enseignais les arts plastiques, je disais souvent à mes élèves d'oublier la tâche au profit de l'oeuvre, arrivés à un certain stade créatif.

Il se promet d'essayer, puis lui demande :

Tu crois, Phalène, que je pourrais maintenant parler de toi à Lydiane ? Toutes ces dissimulations commencent à me poser un réel problème...

Il me semble, en effet, que tu ne peux pas continuer à lui cacher ainsi une partie de ta vie.

Si elle doit découvrir la vérité, mieux vaut que ce soit moi qui la lui dévoile.

Oui... quand tu te sentiras, avec elle, dans un climat de grande confiance réciproque.

Elle est assez mûre pour comprendre ?

L'ouvrage de Raymond Moody, que tu lui as fait lire, a éveillé son intérêt pour le paranormal ; elle peut désormais entendre une telle révélation.

Mais elle risque de te considérer comme une rivale et d'en souffrir...

Jalouse ? Peut-être... Pourtant, je la crois capable de surmonter ce genre de pulsion négative, d'autant qu'à présent elle ne doute plus de ton amour ; et ses sentiments pour toi ont pris une autre dimension, beaucoup moins possessive.

S'apprêtant à répondre, il voit que l'apparence de Phalène s'estompe. La communication télépathique devient à peine audible, mais il en devine le sens : elle l'aime immensément et le quitte avec regret. Lui, est toujours désemparé quand elle disparaît ainsi, trop vite.

Lorsqu'il ne reste plus de sa magique amie qu'une discrète fragrance de violette, Florian reprend le portrait ébauché auparavant.

Encore imprégné de sa présence et de son image, il trouve du premier jet la ressemblance tant désirée ; le sourire qui éclot au bout de son pinceau, sans la moindre hésitation ni retouche, est bien celui qu'il recherchait en vain.

Sur le tableau achevé, le visage au regard d'une insondable profondeur reflète fidèlement l'intemporelle beauté du modèle.

« Les yeux sont le miroir de l'âme », pense-t-il avec émotion.

En fin d'après-midi, alors qu'il se dirige vers le Cours du Parc, un appel téléphonique l'informe du décès de son père. Affolée, sa mère lui apprend en quelques mots qu'on l'a découvert, inanimé, au milieu de ses vignes ; transporté d'urgence à l'hôpital, la mort par rupture d'anévrisme a été constatée. D'abord abasourdi et ne sachant que dire, Florian décide d'aller la rejoindre le soir même, ce qui parvient à la calmer un peu.

PhalèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant