Lundi 27 juillet
Le gros village d'Is-sur-Tille est tassé au fond de sa vallée, au nord de Dijon. A quinze heures, Lydiane y a rendez-vous chez un notaire, avec le propriétaire du château Renaissance proche du bourg, et le riche client anglais, Mr W, qui va acheter ce bien exceptionnel sur le plan architectural, mais dont la restauration nécessitera d'énormes investissements.
L'officier ministériel les reçoit avec courtoisie dans une pièce cossue décorée de trophées cynégétiques, après avoir fermé sans bruit la lourde porte capitonnée. Le propriétaire est satisfait à la perspective de toucher une forte somme pour une bâtisse qui se détériorait au fil des ans. L'acquéreur, passionné par les vieilles pierres de valeur, l'est également à l'idée de posséder en France une belle résidence secondaire historique dans un cadre verdoyant.
Lydiane, qui percevra d'importants honoraires en tant qu'intermédiaire de la transaction, est étonnée de ne plus se sentir aussi intéressée par l'argent. Des activités qui auparavant lui plaisaient tant : placements financiers, spéculations boursières... lui paraissent assez dérisoires maintenant, voire même un peu méprisables.
Tout en écoutant, d'une oreille distraite, le notaire lire l'acte de vente d'un air grave et d'un ton monocorde, elle se dit qu'elle aurait pu suivre des études artistiques et choisir une profession en rapport.
« Dommage que je ne sois pas entrée à l'école des Arts Déco ! A présent, ce qui me plaît quand je fais visiter un bien, c'est d'imaginer comment le rénover et l'aménager. La plupart des clients apprécient mes conseils. Décoratrice d'intérieur, voilà ce qui m'aurait convenu...
Enfin, pour le moment, j'ai la responsabilité d'assurer un emploi à mes deux collaboratrices ; mon agence marche bien malgré la crise, et doit donc continuer à fonctionner. Mais Odile est parfois débordée (surtout quand je m'absente longtemps) ; elle m'a parlé d'une jeune femme dynamique qui aurait les compétences voulues et cherche du travail. Je pourrais effectivement l'engager... »
Le propriétaire du manoir exige maintenant que le prix de vente soit majoré, la surface du parc s'avérant plus importante qu'annoncée lors du compromis. Mr W réfute cet argument, prétendant qu'un accord préalable signé doit être respecté. Le notaire est ennuyé par ce contretemps et cherche un moyen terme pour les mettre d'accord. Lydiane intervient à son tour, mais sans plus de succès... Cependant, comme le vendeur (un éleveur de bovins habitué aux marchandages sur les foires) fait mine de vouloir partir, l'acheteur accepte finalement, avec une moue et un geste dédaigneux, de payer une somme légèrement supérieure.
Durant l'apposition réglementaire des signatures, elle repart dans des évocations rétrospectives :
« Pourquoi avoir accepté de suivre des études de droit, qui ne m'attiraient pas spécialement ? Moi, j'avais envisagé la médecine ; cette situation me semblait prestigieuse, mais mon père voulait m'intéresser à ses affaires et m'en a dissuadée. Il a sans doute eu raison...
Je n'aurais pas eu la patience de soigner les gens. Un travail humanitaire suppose des qualités que je ne possédais pas. J'avais trop le goût du profit et j'aurais cherché la rentabilité maximale en multipliant les consultations rapides, au détriment de ma conscience professionnelle... »
Tandis que le notaire, avec componction, procède aux dernières formalités, Lydiane remarque le regard gris vert de Mr W posé complaisamment sur elle, mais n'y accorde pas d'importance, absorbée par l'idée qui lui trotte souvent dans la tête depuis que sa relation avec Florian se maintient au beau fixe.
« Un enfant ?... Voilà qui donnerait du sens à mon existence !... Est-ce qu'il y pense, lui aussi ?... Mais, s'il n'était pas d'accord, je ne pourrais quand même pas le mettre devant le fait accompli. J'aimerais que ce soit lui qui me le propose. Alors, il viendrait sûrement habiter avec moi. Ce serait une vraie joie de vivre en famille... »
La vente étant conclue, Lydiane reprend la route de Dijon, au volant de sa Mercedes blanche. Mr W, assis à côté d'elle, lui parle de son intendant qui doit bientôt venir pour s'occuper de la rénovation du château et recruter des entreprises locales. Elle entend à peine ce qu'il lui dit, immergée dans sa rêverie : « Florian »... Depuis un moment, elle répète inlassablement le prénom cher à son cœur, comme une incantation magique, ce qui l'étourdit délicieusement. Elle accède ainsi à un état second, et se berce de son amour pour lui.
Lydiane ralentit, réalisant qu'elle n'est pas assez attentive à la conduite. Avec un léger sourire, elle pense à la qualité de leur entente sentimentale et à leur parfaite complémentarité dans les rapports amoureux qui ont dépassé toutes ses espérances.
« Maintenant, mon corps réagit comme celui des autres femmes... », se réjouit-elle.
Elle ralentit à nouveau et s'aperçoit que son client, au discret accent britannique, lui tient des propos équivoques... Elle n'en saisit que quelques mots, tant son attention est ailleurs, tournée vers ce bonheur qui lui semble encore fragile, mais réel.
Mr W prend le sourire et le silence de Lydiane pour un encouragement ; il suppose que les Françaises ne réagissent pas aux codes galants de la même façon que les Anglaises...
Il répète donc sa proposition de manière un peu plus explicite, d'une voix enjôleuse :
− J'occupe une suite luxueuse, très agréable, dans le meilleur hôtel de la ville. Je vous invite à y prendre un verre avec moi, en arrivant. Ce soir, nous pourrions dîner ensemble, aux chandelles... C'est une coutume tellement sympathique...
Lydiane comprend enfin où il veut en venir. Elle sent monter une bouffée d'aversion et lui lance un regard glacial en répondant sèchement :
− Mr W, j'ai l'intention de rentrer chez moi aussitôt après vous avoir déposé à votre hôtel.
− Appelez-moi James, dit-il avec une désinvolture affectée.
Outre-Manche, dans les médias, il a une certaine réputation d'éclectique amateur d'art et de fastueux viveur, à qui aucune femme ne peut résister, bien qu'il ait largement dépassé la cinquantaine. Son jeunisme forcené l'incitant à préserver les apparences par tous les moyens, on ne lui donnerait guère plus de quarante ans.
« Ni jeune, ni vieux – ni beau, ni laid. Seulement prétentieux et odieux », pense-t-elle avec mépris.
Malgré la froideur marquée de Lydiane, il reprend ses tentatives de séduction, déployant à présent son grand jeu sur fond de corruption :
− Je suis très riche et très généreux, Melle d'H. Je pourrais satisfaire toutes vos envies, vous offrir tout ce que vous souhaitez... Vous pourriez avoir une vie de rêve dans les palaces les plus huppés du monde entier. Acceptez seulement mes humbles hommages. Vous avez une telle prestance ; vous êtes si belle et si désirable...
− Si je comprends bien, vous me proposez de me prostituer !
Mr W se rend compte qu'il se fourvoie en parlant ainsi et se tait. Mais un instant plus tard, elle sent une main moite se poser doucettement sur son genou droit, puis tenter une lente remontée le long de sa cuisse, sous sa jupe...
« J'aurais dû mettre un pantalon », se dit-elle tout en freinant brusquement, après avoir vérifié dans le rétroviseur qu'aucun véhicule ne les suivait. Les pneus crissent. Lydiane, très sûre de sa conduite, donne alors quelques coups de volant à gauche et à droite qui impriment à la voiture une trajectoire zigzagante sur la route (heureusement sèche, déserte et rectiligne). Le séducteur, effrayé, a vite retiré sa main. Il se tasse sur son siège, resserrant sa ceinture de sécurité, et reste coi jusqu'à l'arrivée à son hôtel.
De retour chez elle, dans un bain relaxant, toute colère retombée, une question gênante lui fait mesurer le chemin parcouru, ces dix derniers mois :
« Avant de connaître Florian, comment aurais-je réagi aux avances de ce bellâtre d'Anglais ?... »
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Phalène
ParanormalVictime d'un grave accident de la route, Phalène est plongée dans un coma profond. Sortie de son corps, elle vient alors retrouver Florian, son grand amour d'adolescence, trop vite perdu de vue dix ans plus tôt. Ils renouent une relation hors du co...