22

14 1 0
                                    


Samedi  22  août

Oups ! Cette image n'est pas conforme à nos directives de contenu. Afin de continuer la publication, veuillez la retirer ou mettre en ligne une autre image.

Samedi 22 août

La sympathique place du Bareuzai, située au cœur du quartier historique, est très fréquentée en cette fin de matinée. De nombreux touristes viennent y admirer la célèbre statue en bronze du vigneron foulant le raisin sur son piédestal. On s'y attarde volontiers, aux terrasses des cafés.

Lydiane, qui a acheté une cabane à oiseaux dans un magasin proche, s'assied à une table, face au vieux manège qui tourne aux sons d'une entraînante musique de guinguette. Sereine, elle commande un citron pressé. Juchée sur un fier cheval blanc caparaçonné d'or, une adorable fillette lui adresse un grand sourire à chacun de ses passages.

« Quelle belle enfant !... J'aimerais être sa mère... On rentrerait à l'appartement pour installer la maisonnette dans un des bacs à fleurs. La petite y verserait des graines. Elle demanderait : " J'en mets encore un peu, Maman ?..." Après, on guetterait l'arrivée des oiseaux ; je lui dirais : " Ça, c'est une mésange... Et voilà un rouge-gorge... "

A défaut d'enfant, il y aura déjà l'abri et les oiseaux », soupire-t-elle.

Au moment où on lui apporte son verre, une voix à l'intonation haut perchée, trop connue, la fait tressaillir désagréablement : « Bonjour Lydiane, je suis content de te revoir ! »

Sa vive réaction de contrariété, en reconnaissant Paolo à une table voisine, est manifeste. Elle attend un instant avant de lui répondre, le plus froidement possible et en détournant la tête : « Bonjour. »

Il a une trentaine d'années, un type méditerranéen très prononcé : le teint basané, les yeux d'un noir d'encre, des cheveux aile-de-corbeau dont les boucles aux reflets bleutés lui descendent dans le cou. Ses joues un peu creuses, soigneusement rasées, sont soulignées par un fin collier de barbe. Un lourd anneau d'or brille à son oreille gauche. Ses traits réguliers pourraient le faire passer pour un assez bel homme si l'expression fixe et glacée de son regard ne lui donnait une apparence inquiétante ; il s'efforce pourtant de sourire, mais l'éclat blanc de ses dents est plus cynique qu'aimable. Sa main droite, ornée d'une grosse chevalière d'argent, marque sur son verre le rythme des flonflons, du bout de ses longs ongles vernis.

Depuis qu'ils se sont séparés, il y a plus d'un an, après une liaison tumultueuse de quelques mois, ce corrupteur a plusieurs fois tenté de la relancer, bien qu'elle l'ait toujours éconduit.

Son whisky à la main, il vient s'installer à la table de Lydiane qui se lève aussitôt pour partir ; mais Paolo la supplie de l'écouter.

Elle hésite... et se rassoit, de très mauvaise grâce, pensant pouvoir se débarrasser de cet importun, une fois pour toutes, en restant hautaine et revêche :

Si c'est encore pour me demander de renouer avec toi, tu perds ton temps.

J'ai chez moi un objet qui t'appartient, Lydiane.

...

Tu n'es pas curieuse de savoir ce que c'est ?

Non.

Négligeant cet accueil rébarbatif, il cherche alors à l'apitoyer en lui décrivant d'une façon hyperbolique sa douleur de l'avoir perdue... puis à l'émouvoir en lui rappelant ce qu'il croit être des moments idylliques de leur passé... enfin à la culpabiliser en l'assurant qu'il finira par se suicider si elle le repousse toujours.

C'est un discours qu'il lui a déjà servi, à quelques nuances près. Elle n'y répond pas et, son exaspération croissant, hèle la serveuse pour régler sa consommation à laquelle elle n'a pas touché. Celle-ci lui compte les deux verres. Afin de ne pas différer son départ plus longtemps, Lydiane les paye sans discussion – projetant de prévenir ensuite Florian qui devait la retrouver ici, un quart d'heure après, pour aller déjeuner.

Tandis qu'elle referme son sac d'un geste nerveux, Paolo glisse insidieusement une main autour de sa taille, la complimentant d'un ton doucereux sur sa plastique de star. A ce contact qui l'horripile, elle lui décoche un regard acéré tout en se levant avec brusquerie. Il tente de la retenir mais elle lui échappe et s'éloigne vivement.

Florian, qui arrivait d'un pas tranquille par la rue François Rude, en avance à leur rendez-vous, a vu la scène à distance et, indigné, s'apprêtait à intervenir... Il constate avec soulagement que cet individu vêtu de noir, qui lui paraît fort antipathique, n'essaie pas de suivre Lydiane. Ce dernier s'est affalé dans son fauteuil en rotin ; après avoir empoché la monnaie et mélangé le reste de son whisky au citron pressé, il boit à petites lampées, regardant maintenant avec insistance vers deux jeunes et jolies Allemandes venues s'asseoir en riant non loin de lui...

« Une vraie tête de pirate ! », pense Florian qui serre les poings, l'œil assassin.

La fugitive traverse hâtivement la rue de la Liberté, sans se rendre compte que celui-ci cherche à la rattraper. A proximité du Centre Dauphine, sur le point de la rejoindre, il l'appelle ; dans sa panique, elle s'imagine que Paolo la poursuit et s'engouffre alors dans le premier magasin qui se présente. Il y entre à son tour, préoccupé par ce qu'il vient de voir, pressentant que c'est en rapport avec un épisode pénible du passé de Lydiane (mais il n'a pas l'intention de lui demander qui était cet homme assis à sa table).

Dès qu'elle reconnaît Florian, elle se réfugie dans ses bras, ne se souciant pas des gens qui les entourent, et se calme enfin... puis lui explique qu'elle a dû fuir les assiduités d'un indésirable – sans préciser de qui il s'agissait, ayant honte de cette ancienne liaison qu'elle juge dégradante. Elle l'implore :

Florian, emmène-moi loin de Dijon pendant quelques jours ; il faut absolument que je me change les idées.

Où veux-tu aller ?

N'importe où... mais le plus tôt possible.

Eh bien... qu'est-ce que tu dirais d'un voyage en montgolfière au dessus du Morvan, à partir de Vézelay où on dormirait ce soir ? On s'envolerait demain matin... J'ai déjà fait le circuit avec des cousins quand j'étais encore chez mes parents. De là-haut, les paysages sont magnifiques, et tout ce qui est au sol prend une autre dimension. Ça t'aiderait sûrement à relativiser tes ennuis, Lydiane...

Ah, tu es génial ! Prendre de l'altitude : voilà exactement ce dont j'ai besoin.

PhalèneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant