Chapitre 3 - Une lettre mystérieuse

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27 décembre 1664,

J'ai pris une résolution aujourd'hui. Puisque j'ai un journal, je vais y écrire chaque jour de ma vie. Cela m'occupera, bien que j'ai déjà un bon nombre de choses à faire. Bref, Monsieur Gift, voici le récit de ce 27 décembre de l'an de grâce 1664.

Comme tous les jours, je me suis levée à 5h30 même si le soleil n'était pas encore de sortie. En été, c'est sa chaleur qui me réveille mais en hiver, je ne peux pas me permettre d'attendre 8 ou 9 heure pour aller travailler. J'ai avalé rapidement le reste de la miche de pain que nous avions et j'ai laissé quelques gâteaux salés pour Maman.

Puis, je me suis habillée aussi chaudement que possible et je suis allée souhaiter une bonne journée à Maman tout en remettant une bûche dans le feu, comme à mon habitude. Je suis enfin sortie de chez nous et le froid m'attendait. Je crois que nous n'avons jamais eu d'hiver aussi froid.

J'ai marché dans la neige jusqu'au port où j'ai retrouvé Mariette et Cécilia. Il était 6 heures du matin et les marins commençaient à s'agiter autour des différents bateaux. L'un d'eux s'approcha de nous. Il nous jeta tout un tas de fils emmêlés.

Tressage de cordes. Le froid en a cassé pas mal, a-t-il dit.

Et nous nous sommes mises au travail. Bien sûr, il fallait travailler mains nues afin de faire des cordes solides. Nous avons enlevé nos gants et tressé jusqu'à midi. Pendant ce temps, les bateaux de pêche ont quitté le port vers la haute mer. J'aimerais beaucoup pouvoir quitter la terre, moi aussi.

A midi, nous avons mangé un peu. Il restait les têtes des poissons ramenés hier et nous avons eu le droit de prendre les yeux et les joues. Un régal ! Ensuite, nous avons repris notre dure labeur. C'est incroyable de voir la vitesse à laquelle nos doigts se sont mis à saigner. Le froid et le tressage ont achevé les miens, déjà gercés depuis Novembre.

A cinq heures, comme tous les jours, les marins sont de retour. Ils ont fait bonne pêche aujourd'hui. Ils nous ont donné tous les poissons et nous avons commencé à faire notre travail. Enlever la tête et la queue, écailler, vider. Je crois que c'est le pire moment de la journée. Nous sommes obligées de plonger nos mains déjà glacées dans l'eau et de manier le couteau avec adresse si nous voulons être bien payées.

Mon sang se mêle à celui des poissons. Je ne sais même plus si mes mains saignent de froid ou si je me suis coupée ; je ne sens plus mes doigts. Mais interdiction d'arrêter, le travail doit être vite fait.


J'ai encore volé un poisson. J'en prends un presque tous les jours. Le maigre salaire qu'on nous donne ne me permet pas de nourrir deux personnes, Maman et moi. Je crois que les marins qui nous surveillent me voient voler. Mais ils sont dans la même situation et ne disent jamais rien.

Une fois le travail terminé, j'ai rincé mes mains dans l'eau de mer – ça pique – et j'ai reçu 6 deniers. Une vraie fortune ! Normalement, je reçois trois deniers, ce qui signifie qu'une livre de pain me coûte deux jours de salaire. Mais comme nous avons tressé beaucoup de cordages, nous avons eu droit à trois deniers de plus !

J'ai donc couru chez le boulanger et je suis revenue à la maison triomphante, avec un pain et un poisson. Maman était fière de moi. J'ai gardé mes gants, sous prétexte que j'avais froid (ce qui est une bonne excuse), pour qu'elle ne voit pas l'état de mes mains.


J'y pense, je ne t'ai pas expliqué, Monsieur Gift, pourquoi je suis la seule à travailler. C'est une bonne question. En réalité, Maman est tombée malade il y a environ un mois et elle a été forcée de cesser de travailler. A cette époque, j'étais déjà employée au port. Nos deux salaires suffisaient à nos besoins.

Le Journal d'Ariana [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant