Chapitre 27 -Témérité (Partie 1)

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21 Juin 1665,

      Cela fait une semaine que nous avons quitté les canots et que nous les avons camouflés sur la rive de l'Amazone. Le capitaine mène la danse. Peu de repos, beaucoup de marche. Je crois que si nous arpentons la forêt un jour de plus, mes pieds vont déclarer forfait. De plus, je ne sais pas si Shark nous fait tenir ce rythme parce qu'il veut arriver tôt au trésor et repartir au plus vite, ou parce qu'il pressent que Pesadilla est sur nos traces...

      Nous sommes une fois de plus réunis autour du feu, lorsque je t'écris. Le capitaine se lève. Ah ! Je crois qu'il va prendre la parole.

– Mes chers amis, je me doute que vos membres sont fourbus et que vous en avez plus qu'assez de parcourir cette jungle hostile. Ne vous inquiétez pas, nous touchons au but ! Ce matin, nous avons commencé à grimper sur une petite montagne, et le trou noir que vous apercevez là-haut, un peu au-dessus de nous, c'est la grotte dans laquelle Orellana a caché son trésor.

      Le capitaine a pris son ton le plus solennel pour annoncer cela. Évidemment, les marins ont répondu par de grands « Hourra ». L'espoir est revenu parmi eux.

– Dès demain, les richesses de ce conquérant espagnol seront entre nos mains !

      De nouvelles exclamations de joie ont résonné dans notre campement et le capitaine s'est rassis, le sourire aux lèvres. Je me suis glissée entre les hommes et me suis assise à côté de mon père, sur le rondin de bois qu'il occupait.

– Capitaine, tout cela me paraît trop simple. Que faites-vous de Pesadilla ?

– S'il savait où nous étions, nous serions déjà morts, très chère, m'a-t-il répondu.

– Savez-vous au moins ce qui nous attend dans cette grotte ? ai-je demandé.

– Pas le moins du monde ! a-t-il dit, comme si cela ne lui posait aucun problème de se jeter dans l'inconnu. Il y a sans doute quelques épreuves pour tester notre valeur, quelques pièges... Rien que nous ne puissions déjouer.

– Comment pouvez-vous être aussi sûr de vous ?

– Mais... parce que je suis le capitaine Shark !

      J'ai levé les yeux au ciel devant tant de confiance aveugle et je suis allée m'allonger pour me préparer à la journée du lendemain, qui s'annonçait longue.



22 Juin 1665,

      « Ariana, Ariana ! Lève-toi ! C'est le grand jour ! » disait Will en me secouant doucement. J'ai ouvert un œil pour le voir, un sourire triomphant aux lèvres. Il était rare de le voir sourire aussi franchement, aussi me suis-je pliée à sa demande.

      Le campement était en pleine effervescence. Chacun rassemblait ses affaires le plus vite possible, bien que le soleil n'éclaire encore qu'à peine le ciel d'été. J'ai été gagnée par leur enthousiasme et me suis moi-même préparée au départ.

      Nous avons grimpé les derniers mètres qui nous séparaient de l'entrée de la grotte. Là, notre engouement s'est un peu refroidi. Devant nous s'ouvrait une bouche immense qui menait au cœur de la montagne. Seuls les premiers mètres étaient éclairés par la lueur du jour. Le reste était noir. Noir nuit, noir encre. Un vent glacial s'échappait de l'antre, comme si la montagne respirait. J'ai senti mon courage vaciller.

– Allons, nous y sommes presque, a dit le capitaine, dans l'espoir de nous rassurer, ou de se rassurer lui-même.

      Il a allumé une torche et a fait quelques pas dans la grotte.

– Vous voyez, tout va bien ! s'est-il exclamé.

      Nous l'avons suivi. Nous avons marché pendant un temps infini, le passage se rétrécissant au point de devenir un goulet dans lequel nous ne pouvions avancer qu'un par un. Soudain, j'ai buté dans Will, qui s'était arrêté net devant moi. Évidemment, tous les autres se sont rentrés dedans. En fait, c'était le capitaine qui s'était figé à la sortie du couloir. J'ai jeté un coup d'œil par dessus leurs épaules.

      Shark se trouvait face à une immense salle ronde, creusée à même la roche et éclairée par de la mousse brillante. Le passage n'aboutissait pas au niveau du sol. Une échelle courait le long de la paroi. Au centre de la grotte s'élevait une table ronde, en pierre sculptée. Des cercles concentriques s'étendaient tout autour, jusqu'aux murs.

– Eh ! Qu'est-ce qu'on attend ? a dit un pirate depuis le fond du tunnel.

– Patience, a simplement répondu le capitaine en scrutant l'endroit.

      Il a alors pris son chapeau et l'a agité en haut de l'échelle. Une flèche, sortie de nulle part, s'est fichée dans le couvre-chef. « Impressionnant » a murmuré Shark. Il a regardé sur les côtés et je l'ai vu disparaître sous mes yeux. Je me suis approchée du bord, toujours derrière Will.

– Il y a des encoches dans le mur, on peut descendre facilement, a dit le capitaine, comme si c'était évident. Attendez moi là.

      Il est descendu avec l'aisance d'une araignée sur sa toile. Il s'est arrêté à quelques centimètres du sol.

– Hum... Si j'avais conçu cet endroit, qu'aurais-je fait ? a dit le capitaine, pour lui-même. J'aurais piégé l'échelle, d'abord. Si jamais quelqu'un devait trouver le passage par le mur, il se dirait qu'il faut éviter tout ce qui est simple et sauter sur le cercle le plus éloigné. Donc, ce doit être exactement l'inverse.

      Le capitaine s'est laissé tomber sur le cercle immédiatement en dessous de lui. Nous avons retenu notre souffle. Rien ne s'est passé.

– C'est bon ! Vous pouvez descendre ! a crié le Shark.

      Nous avons commencé la pénible descente tandis que Shark sautait de cercle en cercle. Il fallait, à chaque fois, sauter par-dessus le cercle le plus proche. Nous sommes ainsi arrivés autour de la table. Le capitaine se grattait le menton, en signe de réflexion. Il étudiait les dessins qui la recouvraient.

– Ce sont des motifs incas, a murmuré le capitaine. Ce n'est pas vraiment étonnant. Orellana a participé à une expédition aux côtés de Gonzalo Pizarro, le frère de Francisco Pizarro, lui-même conquérant de l'empire inca. Hum... Bien sûr, ce pourrait être le soleil, qui est très important pour les Incas, mais ce serait trop simple. Viracocha peut-être, leur dieu principal ? Non... Cela ne correspond pas à Orellana.

      J'étais étonnée par les connaissances de mon père. Comment avait-il pu apprendre tout ça ?

– Et cela, qu'est-ce que c'est ? ai-je demandé en désignant un symbole étrange. Il s'agissait d'une sorte de serpent bleu qui tournait sur lui-même.

– Ce n'est pas un symbole inca. Cela y ressemble mais il a été ajouté. On dirait qu'il forme un « o » et représente une rivière. Mais oui ! C'est ça ! Fantastique Ariana ! C'est un « o », comme Orellana, dessiné par l'Amazone, le fleuve qu'il est si fier d'avoir descendu.

      Le capitaine a appuyé sur le symbole et la terre s'est mise à trembler. La table s'est enfoncée dans le sol petit à petit, jusqu'à disparaître complètement. Puis, le tremblement de terre a cessé. Nous étions tous au bord d'un trou noir sans fond. Le capitaine y a jeté une pierre qui est tombée longtemps sans faire le moindre bruit. Puis, « plouf ». De l'eau !

– Comment on fait, capitaine ? a demandé Alfonso.

– On ne va tout de même pas sauter là-dedans, a dit Méga. On ne sait pas ce qui nous y attend.

– C'est pas ça qui va nous arrêter, nom d'un petit bonhomme, a dit Pedro, en sautant de suite dans le vide.

Le Journal d'Ariana [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant