Chapitre 16 - Confidences (Partie 1)

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     Le lendemain matin, Nicolas eut du mal à s'extirper de ses draps quand son valet vint le réveiller. Il n'avait dormi que quelques heures mais était d'humeur particulièrement joyeuse.

      Il étonna son père au petit déjeuner, en parlant sans cesse et en riant de tout. Puis, il s'installa au soleil dans le jardin et reprit sa lecture.


18 Février 1665,

      J'avais oublié ce que c'était que l'océan, Monsieur Gift. Notre voyage s'annonce mal. Nous avions à peine quitté l'île que nous sommes entrés dans une mer d'huile. Nous n'avons pas avancé d'un mille depuis hier ! Je pense même que nous irions plus vite avec un petit canot à rames.

      Enfin, comme il n'y avait rien à faire et que je m'entends de mieux en mieux avec les marins, je suis allée jouer avec eux. Ils allaient commencer un « Killer ». Ils m'ont expliqué les règles et j'ai fait mine de comprendre.

      Ce jeu est assez simple. Chacun lance les cinq dés à son tour et peut attaquer un autre joueur s'il fait moins de onze ou plus de vingt-quatre. C'était très amusant ! On aurait dit un abordage en beaucoup plus organisé et avec beaucoup moins de sang !

      Après une bonne heure, il ne restait plus que moi et Alfonso. Il n'était pas question que je perde ! Tous les marins étaient réunis autour de nous, attendant impatiemment l'issue du combat. Finalement, avec une chance incroyable, j'ai obtenu cinq, ce qui m'a permis de faire une attaque de six et d'écraser mon adversaire !

      Les marins ont lancé des hourras et j'ai serré la main d'Alfonso, sans réussir à cacher mon sourire triomphant.

      Soudain, nous avons entendu une voix sourde demander :

– Quelle est la raison de ce boucan messieurs ?

     C'était le capitaine. Nos cris l'avaient fait sortir de sa cabine.

– Nous fêtons la victoire d'Ariana au « Killer », mon capitaine, a dit Diego, qui semblait ne pas avoir peur des représailles.

      Je pensais en effet que nous allions avoir droit à une longue séance de reproches, étant donné que strictement personne n'était à son poste. Le jeu était bien plus intéressant qu'une mer sans vagues. Mais, le capitaine m'a surprise. Il faut croire que je me suis peut-être trompée sur son compte.

– Alors comme ça, vous vous faites tous battre par une fillette ? J'en espérais plus de vous mes amis. Ne vous inquiétez pas, je suis là pour sauver votre honneur, a-t-il dit avant de s'adresser directement à moi. Ariana, m'accorderiez-vous une seconde partie ?

      Je l'ai regardé d'un air éberlué avant de répondre par l'affirmative. Le pont a été pris d'une grande effervescence et tous les marins qui n'avaient pas peur de défier le capitaine ont pris place en cercle. Nous avons donc commencé une partie entre Edward Hawkins, Diego, Alfonso (qui voulait sa revanche), le capitaine et moi-même.

      La partie fut longue et difficile. Ceux qui nous avaient rejoints étaient de fins joueurs et ils avaient des années de pratique. Je ne m'en suis pas trop mal sortie et je suis même parvenue jusqu'au duel final, contre le capitaine.

      Lorsque mon tour est venu, je me suis trouvée face à un dilemme. Je savais comment gagner. Je pouvais le faire. Mais, en même temps, était-ce prudent ? Si cela ne dépendait que de moi, c'était un affront que j'étais prête à faire. Cependant, je commençais à comprendre que l'ordre et la discipline ne régnaient sur un navire tel que celui-ci que grâce à la figure du capitaine. Il était fort, autoritaire, invincible. Si j'étais supérieure à lui, ne serait-ce que dans un stupide jeu de cartes, cela montrerait qu'il n'était pas imbattable. Et alors... qui sait si les marins ne remettraient pas son pouvoir en cause ?

      Pendant que je me faisais toutes ces réflexions, je sentais le regard des hommes peser sur moi. J'ai jeté un coup d'œil à mon adversaire, il me regardait intensément, comme pour essayer de deviner ce qui se passait en moi.

      J'ai pris ma décision et j'ai joué volontairement de façon maladroite pour le laisser gagner. Ma réaction était peut-être ridicule mais je sentais qu'il en était mieux ainsi. Les matelots m'ont entourée et m'ont dit que « De toute façon, le capitaine gagnait toujours », que « J'avais bien joué mais que c'était perdu d'avance »...

      Tout le monde souriait. L'ordre était rétabli.

      Je me suis échappée de la discussion et j'ai cherché le capitaine des yeux. Il était assis sur la balustrade, un peu plus loin, comme s'il m'attendait. Il m'a souri et je me suis approchée, curieuse. Il m'a fait signe de m'asseoir à côté de lui.

– Aujourd'hui, vous avez appris bien plus qu'un jeu, Ariana. Vous avez compris les règles de la vie sur ce navire. Je sais que vous auriez pu gagner. J'ai vu votre indécision. Mais vous avez fait le bon choix. Vous avez choisi la sécurité, aux dépends de votre ego. Je ne sais pas ce qui se serait passé si la fin avait été autre mais les hommes que vous voyez là-bas ne seraient pas en train de discuter tranquillement.

– Capitaine, ai-je dit. Ce n'est qu'un jeu !

      Il a soupiré avant de continuer :

– Le capitaine n'est capitaine que grâce à son image. S'il est faillible, dans quelque domaine que ce soit, il ne peut pas commander les autres, puisqu'il est comme eux. Je me dois d'être infaillible. Toujours.

– Ce doit être difficile... ai-je murmuré.

– Oui. D'autant plus qu'on ne peut se confier à personne. On ne peut pas savoir si un « ami », loyal un jour, ne se servira pas contre vous des faiblesses que vous lui avez avouées.

– Vous pouvez me les dire, si vous voulez, l'ai-je assuré.

– J'aimerais. Mais pourquoi aurais-je plus confiance en vous qu'en quelqu'un d'autre ?

– Parce que je suis votre fille.

Il m'a souri avant de s'éloigner, comme pour méditer mes paroles.


25 Février 1665,

      Les jours passent et se ressemblent. Nous sommes toujours bloqués dans la mer d'huile et nous commençons à nous lasser de ne plus voir la terre ferme.

      Au début, je trouvais que le soleil ardent était chaleureux, joyeux. Mais maintenant, il est devenu harassant. Sa lumière me brûle les yeux et la chaleur est insupportable sans le moindre souffle d'air. J'ai pourtant plus de chance que certains puisque je peux monter au nid-de-pie et profiter du peu de vent qu'il y a tandis que d'autres sont coincés dans le bateau, à leurs postes.

      J'ai continué de jouer avec les marins mais nous avons vite fait le tour de tous les jeux qu'ils connaissaient.

      Je m'occupe comme je peux et j'essaye d'être vigilante à mon poste, c'est tout ce qu'il me reste à faire.



SUITE PARTIE SUIVANTE, avec, je crois, une révélation intéressante ^^

Le Journal d'Ariana [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant