Chapitre 9 - Un petit creux

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5 Janvier 1665 – Suite

Très bien, à présent, je faisais donc partie de l'équipage de ce maudit navire, contre mon gré. Même si je n'étais guère enthousiaste à l'idée de passer ma vie au milieu d'hommes, sur un navire recherché par à peu près tous les pays du monde, je devais avouer que cette petite dent de requin, associée à ma nouvelle tenue, me donnait un certain panache.

Will me fit visiter le bateau de fond en combles, précisant qui travaillait à tel endroit, le rôle de chacun, ... J'avais beaucoup à apprendre. Ensuite, il m'a menée vers les quartiers des matelots et m'a assigné un hamac, un peu en retrait par rapport aux autres.

- Je l'ai fait ajouter pour toi hier soir, a dit Will.

- Mais... Comment pouvais-tu savoir que je réussirais l'épreuve d'entrée ?

- Tu ne pouvais que réussir. Je n'ai pas douté un seul instant de toi.

Je n'ai su que répondre. Comment pouvait-il être aussi sûr de lui, aussi certain de ce qu'il avançait alors que moi-même, je me demandais toujours ce que je faisais ici ? En tout cas, j'avais un endroit où dormir, ce qui était déjà un point positif. 

C'est de là que je t'écris, Monsieur Gift. Will m'a laissée me reposer quelques instants. Je crois cependant que je ne vais pas pouvoir dormir, pour la simple et bonne raison que j'ai le ventre vide ! Je n'ai rien mangé depuis mon maigre repas d'hier soir ! Will m'a montré où se trouvent les réserves de nourriture. Je crois que je vais aller y jeter un coup d'œil.


5 Janvier 1665 – Cette journée est décidément extrêmement longue...

Que dire ? Je crois que je n'ai jamais eu de plus mauvaise idée. Après t'avoir rapidement conté ma journée, je me suis donc dirigée vers la cale, pour tenter d'y trouver quelque chose à manger. Mais je ne pensais pas l'endroit gardé ! Je suis arrivée devant une lourde porte devant laquelle ronflait un gros matelot.

J'ai hésité un instant mais ma faim a pris le dessus. J'ai poussé la porte le plus doucement possible, j'ai enjambé le gros homme, et je suis entrée. Mon cœur battait à tout rompre. J'ai voulu repousser la porte mais le gardien avait roulé en travers et il ne m'étais plus possible de la refermer.

Du courage Ariana ! Tu ne vas pas reculer si près du but ! La cale était noire. Aucune source de lumière n'était visible et je me suis dirigée à tâtons vers ce que je croyais être un amoncellement de pain. J'ai posé la main sur un morceau de ce qui était effectivement du pain et mon ventre a gargouillé de plaisir. Il ne pouvait pas se taire celui-là ! J'aimerais vraiment pouvoir commander mon corps à ma guise... Mais j'en suis loin.

Ce bruit insolite a été suffisant pour que j'entende de lourds pas arriver à toute vitesse dans mon dos. Au dernier moment, je me suis jetée vers la gauche pour éviter l'hippopotame qui fonçait sur moi, à la vitesse maximale que lui permettait ses jambes. Seulement, je n'avais pas prévu qu'il y aurait un gros tonneau au bout de ma trajectoire. Je me suis donc violemment assommée contre la paroi de bois.

Je n'ai aucune idée de ce qui est arrivé par la suite. Tout ce que je sais, c'est que je me suis vaguement éveillée dans les bras du gros matelot qui se tenait à présent devant le capitaine.

- Elle voulait nous voler de la nourriture ! Dieu sait que nous en avons déjà peu et elle essayait d'en prendre pour elle seule !

- Très bien Méga. J'ai compris. Donne-la moi maintenant. Inutile de casser nos matelots pour une telle raison.

Je suis passée dans les bras du capitaine qui est entré dans sa cabine et en a refermé la porte. Il m'a allongée sur son lit. Peut-être était-il plus aimable qu'il en avait l'air au premier abord ? Quand il s'est aperçu que j'étais éveillée, il m'a apporté un verre d'eau que j'ai bu d'une traite. Puis, il m'a jeté une pomme. Je l'ai dévorée aussi vite que ma mâchoire me le permettait. Il a commencé :

- Pourquoi avoir choisi ces bottes ?

Ah, il parlait de ma tenue.

- C'était les seules chaussures qui m'allaient, ai-je répondu.

Il est resté silencieux pendant ce qui m'a semblé une éternité avant de continuer, sans me regarder :

- C'était les bottes de Jeanne, ta mère.

Là, c'était à mon tour de rester interdite.

- Je ne le savais pas.

- Tu peux disposer. Mais, à l'avenir, évite de voler de la nourriture. Les matelots sont tendus par rapport à ça.

- Je n'avais rien avalé depuis hier soir !

- Et bien, prends l'habitude de manger peu. Il n'y a pas de nourriture à foison ici.

- Parce-que vous croyez qu'avant c'était mieux ? Vous pensez que la vie était facile sur l'île dorée ? Que vous avez laissé Jeanne et son enfant dans de bonnes conditions ? Nous devions nous battre pour manger ! A partir de mes cinq ans j'ai travaillé aux côtés de ma mère. Il n'y a pas un seul jour dont je me souvienne où j'ai mangé à ma faim. Pas un seul !

- Tu crois que j'avais le choix ? Tu crois que j'aurais laissé Jeanne là-bas si j'avais pu faire autrement ? La vie n'est facile pour personne ! Je ne savais même pas que j'avais une fille, sinon...

- Sinon quoi ? Vous seriez venu à notre aide sans doute ? Permettez-moi d'en douter !

- Suffit ! Sors.

- Vous n'êtes qu'un égoïste, sans cœur !

- Sors.

Je suis sortie. J'avais les larmes aux yeux. En refermant la porte, j'ai vu que le capitaine était appuyé contre son bureau, la tête basse. Je n'avais pas voulu lui dire ça. Une fois de plus, mon cœur avait pris le dessus et avait parlé sans attendre mon accord. Je suis retournée à mon hamac. Je me suis couchée et je me suis endormie immédiatement. Les émotions de la journée m'avaient brisée.

Le Journal d'Ariana [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant