Chapitre 23 - Inconscience (Partie 1)

36 6 7
                                    

16 Avril 1665,

      Nous sommes repartis, et cette fois, c'est pour de bon ! Il n'y aura plus d'arrêt avant d'atteindre le fameux trésor d'Orellana. Je ne pensais pas que je prendrais tant d'intérêt dans une telle expédition mais je dois avouer que la perspective de s'emparer de centaines de pièces d'or, de bijoux et autres objets précieux, me plaît. Peut-être que Maman avait raison ? Peut-être que j'ai la piraterie dans le sang ?

      Après tout, j'ai gagné la confiance de la plupart des hommes. En un peu plus de trois mois, ma vie à bord a complètement changé. Les pirates ne me tiennent pas forcément tous dans leur cœur, mais ils me respectent. Même Edward Hawkins se fie à moi. Qui l'eût cru ?

      Je vais arrêter de m'étendre sur moi-même et ma petite fierté. C'est à en bailler aux corneilles, n'est-ce pas Monsieur Gift ?

      Je vais plutôt te raconter mon entrevue avec le capitaine, hier soir.

      Comme je te l'ai dit, je suis rentrée au petit matin. Je suis de suite allée faire mon rapport. Après avoir été autorisée à entrer, je me suis inclinée brièvement devant Shark, qui était toujours alité.

– Capitaine, tout s'est déroulé selon le plan prévu. Nous sommes de retour avec assez de vivres pour survivre au moins trois mois, ai-je annoncé.

– Tout cela est bien beau Mademoiselle Shark, mais vous avez pris trop de risques.

      J'ai levé un sourcil interrogateur.

– Ce n'est pas la peine de prendre cet air innocent, je sais tout de cette expédition. L'idée de la diversion était bonne, bien qu'un peu usuelle. Par contre, rentrer dans la forteresse, avec une charrette, au vu et au su de tous ! Vous n'avez pas froid aux yeux ! Vous auriez pu vous faire prendre une dizaine de fois.

– Et donc ? Cela a-t-il marché, oui ou non ? ai-je demandé, sans cacher mon irritation.

– Certes, le stratagème a fonctionné. Je ne parviens toujours pas à comprendre pourquoi. Là, n'est pas la question. Lorsque vous avez enfoncé la porte par la force, vous avez sauvé la plupart de nos hommes. Mais, bon Dieu ! Pourquoi n'avez-vous pas fui avec eux ? Pourquoi retourner en arrière pour trois hommes ? Ce n'est pas la décision qu'un chef aurait prise. Ni moi, ni Will. Un équipage a besoin d'un chef. Votre rôle est de prendre soin de vos hommes et de vous-même. Pas question de se sacrifier pour une poignée d'entre eux.

– C'est là que vous faites erreur, capitaine.

      J'étais horrifiée, écœurée par les mots qui étaient sortis de la bouche de cet homme... Comment pouvait-il oser prononcer de telles atrocités ! Laisser trois hommes mourir alors que l'on peut les sauver ? Sous prétexte que notre vie de 'chef' est plus importante ? Cela n'avait aucun sens.

– Ce n'est pas ainsi que vous vous assurerez la fidélité de vos hommes. Ils ne vous suivront que s'ils savent qu'ils peuvent vous faire confiance. Que s'ils savent que vous ferez tout pour les sauver, que vous ne les laisserez jamais tomber.

– Je ne suis pas un saint homme, Ariana. Je ne peux pas corriger toute la misère du monde. Il faut de l'égoïsme pour pouvoir prétendre commander aux autres.

– Vous avez tort ! me suis-je exclamée. Un jour, vos pirates se rendront compte de votre ignominie et alors, tout votre égoïsme ne vous sauvera plus !

– Tous les hommes qui se sont engagés sur ce navire savaient ce qui les attendaient. Ils savent qu'ils peuvent mourir chaque jour, que leur vie est leur propre responsabilité. Il en va de même pour vous. Donc j'aimerais que vous ne la jetiez pas par la fenêtre.

      Cet entretien prenait une tournure étrange. J'étais toujours atterrée par ce qu'avait osé insinuer Shark. D'un autre côté, je sentais que les reproches qu'il me faisaient venaient plus de la peur qu'il avait eue de me perdre que d'un comportement égocentrique complet. Il voulait simplement me dire de faire plus attention. J'ai soupiré avant de répondre.

– Je continuerai de faire de mon mieux pour répondre à vos attentes et à celles de l'équipage, capitaine. Et si jamais il devait m'arriver quelque chose, je sais que vous trouverez un moyen de me sauver. Vous n'êtes pas aussi égoïste que vous voulez bien le faire croire. Parce que c'est vous qui avez organisé ma libération, n'est-ce pas ?

      En effet, un pensée venait de jaillir dans mon esprit. J'avais été emprisonnée la veille au soir. Or, si le capitaine s'intéressait si peu à ses hommes, comme il l'avait dit, il aurait donné l'ordre de lever l'ancre et serait parti en me laissant moisir dans les cachots de Paramaribo. Mais, il ne l'avait pas fait. Il avait laissé à Edward le temps de trouver un moyen de me sortir de là, au risque que le Golden Gem soit découvert. Non, mon père n'était pas aussi insensible que ce qu'il voulait le faire paraître.



17 Avril 1665,

      Will est de nouveau debout. Sa gouvernance m'avait manquée. Müller a beau être un excellent quartier-maître, personne ne vaut Will lorsqu'il est aux commandes du vaisseau. Il a aussi retrouvé son ton sarcastique et ses manières autoritaires, bien sûr.

      Pourtant, j'ai l'impression que quelque chose a changé entre nous. Ses attaques sont moins vives envers moi. Auparavant, j'avais le droit à une remarque chaque jour, plus ou moins aimable. Maintenant, il me taquine toujours, certes, mais avec une sorte de tendresse que je ne parviens pas à m'expliquer.

      Oh ! Flûte ! J'aurais voulu développer tout ça avec toi, Monsieur Gift, mais la cloche vient de sonner le quart. Je dois rejoindre mon poste. C'est si contraignant ! De plus, nous avançons paisiblement le long de la côte de l'Amérique du Sud, je ne vois pas ce qui pourrait arriver ! Comme si mon absence allait changer quelque chose...


Ensuite, l'écriture d'Ariana vacillait, comme si le navire avait été soudainement secoué. Puis, six mots étaient tracés à la hâte : « Morbleu ! Que se passe-t-il ? ».


Suite partie suivante... ^^

Le Journal d'Ariana [TERMINÉ] Où les histoires vivent. Découvrez maintenant