26 Février 1665,
Cela fait deux mois que Maman m'a offert ce journal et que toute ma vie a été chamboulée. Parfois, je me demande si, en le jetant par dessus bord, je ne pourrais pas oublier tout ça et retrouver ma vie d'avant. Comme si ces deux mois n'avaient été qu'un cauchemar. J'aimerais qu'ils ne soient qu'un cauchemar.
Il est un peu plus de vingt heures et je viens de rater mon quart ! Heureusement que Will est venu me chercher, sinon, j'aurais écopé d'une punition, une fois de plus.
En fait, j'étais tranquillement dans mon hamac en train de me remémorer l'île dorée et tout ce que j'avais perdu. Je peux te le dire, Monsieur Gift, j'ai pleuré. Je n'ai pas pu empêcher les larmes de couler au point de mouiller mes vêtements, de rougir mes yeux. Je n'en avais que faire. La vie était injuste.
Comme j'étais complètement perdue dans mes pensées, je n'ai pas entendu la cloche. Au bout de quelques minutes, j'ai entendu Will m'appeler mais je ne comprenais pas ce qu'il voulait. Je n'avais pas la force de me lever. Je voulais juste m'enfoncer à tout jamais dans les plis de mon hamac.
Il a fini par arriver et m'a secouée en me disant :
– Ariana ! Je t'ai cherchée partout ! Qu'attends-tu pour aller rejoindre ton poste ? Je ne peux pas passer mon temps à te chercher pour te dire d'aller prendre ton quart !
Il m'a forcée à le regarder et je n'ai pu cacher mon visage ravagé par les pleurs. Il s'est immédiatement adouci et a grimpé dans mon hamac, de façon à s'asseoir à côté de moi, un bras autour de mes épaules.
– Qu'y a-t-il Ariana ? Je n'aime pas te voir comme ça.
– C'est ma mère... Je n'arrête pas de penser à elle et...
J'ai laissé ma phrase en suspend, les larmes me montant à nouveau aux yeux, et j'ai détourné la tête. D'abord, Will n'a rien dit. Puis, il a murmuré :
– Tu as de la chance.
Je l'ai observé, les yeux ronds, mais son regard était perdu dans le lointain. Il a soupiré avant de reprendre.
« Je vais te raconter une histoire, Ariana. Un jour, un petit garçon est né dans une famille pauvre d'Angleterre. C'était le neuvième enfant. L'enfant de trop. Ses parents, sûrs de ne pouvoir survivre avec une bouche à nourrir en plus, l'emmaillotèrent dans un linge sale et allèrent le poser au pied de l'église du village, en pleine nuit. »
« Un vieux prêtre trouva l'enfant. Il fit de son mieux pour élever ce petit garçon sorti de nulle part. Malheureusement, un incendie se déclara bientôt dans le village. Le prêtre eut juste le temps d'aller chercher l'enfant et de le jeter hors de l'église avant que celle-ci ne s'effondre sur lui, remplissant d'effroi le petit garçon de quatre ans. »
« Ne sachant que faire, le celui-ci erra dans les rues jusqu'à ce qu'une bonne femme grincheuse lui ouvre sa porte. Elle avait besoin de main d'œuvre et réquisitionnait tout les enfants traînant dans les rues. Notre petit bonhomme eut alors un toit et de la nourriture mais cela ne le protégea pas des multiples coups de bâton de la bonne femme. Selon elle, les enfants n'étaient que des bons à rien s'ils n'étaient pas 'motivés' par des coups de bâton. »
« Bien des années plus tard, le garçon de notre histoire fêta ses dix ans. Ou du moins, il estimait qu'il était à peu près né à cette date. Il prit son courage à deux mains et s'enfuit de la ferme de la vielle sorcière. Il était couvert de bleus et affamé. Une fois encore, il erra dans le village et s'effondra bientôt à terre. »
« Lorsqu'il se réveilla, un homme avec un grand chapeau était penché sur lui.
– Eh, petit ! l'interpella-t-il. Ça te dirait de venir sur mon bateau ? »
« Le garçon se recroquevilla sur lui-même. Il avait peur de tout.
– Ne t'inquiète donc pas comme ça ! s'exclama l'étranger. Je ne vais pas te faire de mal !
– C'est vrai ? demanda le petit bonhomme. Vous jurez ?
– Bien sûr ! »
« Et c'est ainsi que notre garçon se retrouva mousse sur le Golden Gem. »
Will s'est tut un instant. Pendant son récit, j'avais vu ses poings se serrer de plus en plus fort, tout comme sa voix se durcissait. Il a repris plus doucement.
– Tu vois, Ariana, tu es chanceuse. Tu as eu une mère aimante et dévouée, qui t'a gardée auprès d'elle aussi longtemps qu'elle l'a pu.
Ces paroles m'étaient d'un immense réconfort mais je me doutais bien que cette histoire n'était pas comme les autres.
– Will, l'ai-je interrogé, cet enfant, c'était toi n'est-ce pas ?
– Oui, a-t-il répondu dans un soupir. Tu voulais savoir pourquoi j'étais entré dans la piraterie. Et bien voilà : je n'ai pas eu le choix. Mes parents m'ont abandonné, le seul homme qui m'aimait un peu est mort et j'ai vécu des années comme esclave dans une ferme. Une belle histoire, hein ?
– Je suis désolée, Will.
J'ai pris son poing dans mes mains et je lui ai souri. Bien sûr, mes paroles ne pouvaient pas réparer des années de souffrance mais j'ai senti qu'un poids se levait de ses épaules. Il a tourné la tête vers moi et j'ai fixé ses yeux clairs qui avaient pris aujourd'hui, une nouvelle profondeur.
C'est fini pour aujourd'hui ! Que pensez-vous de ces deux scènes de confidences ?
Est-ce que vous imaginiez ainsi le passé de Will ?
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Le Journal d'Ariana [TERMINÉ]
أدب تاريخيAriana Shark va mourir. Du moins en était-elle certaine jusqu'à ce que le fils de son geôlier ne lui rende visite. Nicolas n'arrive pas à croire que celle qui se dévoile devant lui est responsable des pires actes de piraterie de l'époque. Elle lui...