La brume fraiche du matin recouvrait tout Paris d'un épais manteau blanc. Le soleil, déjà haut dans le ciel, jouait à cache-cache. Farceur, il laissait parfois filtrer quelques-uns de ses rayons chaleureux pour que l'on puisse deviner sa présence. La tour Eiffel, non loin de l'hôtel Molière, s'amusait elle aussi à un petit jeu bien dangereux. En effet, la grande dame de fer s'était dissimulée derrière le brouillard et surprenait les volatiles une poignée de secondes avant la fatidique collision. Certains parvenaient à l'éviter adroitement, d'autres non. Oui, le dernier jour de novembre réservait bien des surprises. Pour Kate, la première était une petite tornade débarquée trop tôt, écourtant ainsi ses douces rêveries.
- Carole ? Mais que fais-tu là ? marmonna la jeune femme ensommeillée en se frottant les yeux.
- Ma Chérie, tu es dans un état pitoyable ! Heureusement qu'on m'a fait venir ! Nous allons remédier à ça !
Nous ? Kate regarda par-dessus l'épaule de sa conseillère en image. Elle resta figée d'effroi ! Carole avait emmené avec elle toute son équipe de tortionnaires professionnels, ce qui laissait présager le mauvais moment qu'elle devrait passer... Sachant pertinemment qu'elle n'y échapperait pas, elle recula pour les laisser entrer et déballer leur matos. En deux minutes, sa chambre s'était transformée en salon d'esthétique. Pendant qu'elle passait tour à tour entre les mains expertes de l'esthéticienne, de la coiffeuse, du dentiste (blanchiment dentaire oblige) et de la masseuse (celle-là, elle l'aimait bien), Kate était de plus en plus convaincue que ces personnes avaient dû autrefois travailler pour les services secrets de l'un ou l'autre état. Ou bien y oeuvraient-ils toujours... Pourquoi couper des doigts quand, des poils, on pouvait en arracher des milliers ? Pourquoi extraire des dents quand on pouvait pratiquer un détartrage régulièrement ? Autant de possibilités pour renouveler une torture inlassablement rendaient risibles les châtiments qu'elle avait vus dans de célèbres films d'action. Quand ils eurent terminé, Carole inspecta Kate sous toutes les coutures.
- Parfait ! Chérie, te voilà fin prête ! s'exclama la petite femme rondelette visiblement contente. J'ai pris l'initiative de te faire monter un petit-déjeuner. Fais le plein de forces car je doute que tu avales quoi que ce soit d'autre avant le défilé, conseilla-t-elle, soucieuse de la santé de sa protégée.
Kate la remercia et, avant de partir avec son équipe, Carole la serra subitement fort contre elle dans une attitude maternelle en lui soufflant un Bonne chance ma petite Chérie ! au creux de l'oreille suivi par un Je suis si fière de toi ! En s'écartant, la dame éternellement coiffée d'un chignon haut négligé essuya une larme sous ses énormes lunettes. En la regardant s'éloigner, Kate se dit que, finalement, la journée avait plutôt bien commencé.
A midi, les membres de la S-Agency se rendirent au Grand Palais pour les derniers préparatifs. Les trois mannequins durent rejoindre leur boxe où le staff Versace les prit en charge. Alors, le long marathon put débuter : coiffure, manucure et pédicure, maquillage, enfilage des tenues, shooting photos pour constituer le fascicule qui serait remis aux spectateurs dès leur arrivée et retrait des tenues pour ne pas les abimer avant le show. Sur scène, Lana Del Rey répétait les chansons qu'elle interpréterait entourée de ses danseurs. Kate se serait crue plongée au coeur d'une immense fourmilière grouillante. Au moins, avec cette effervescence, elle ne vit pas le temps passer et le moment du défilé arriva. A dix-sept heures piles, le Grand Palais ouvrit ses portes et la foule s'engouffra au milieu des gradins à la recherche des sièges réservés. La petite brune sentait la tension monter en elle. Bientôt, elle se tiendrait face aux mille-deux-cents personnes qui la scruteraient. Elle n'aurait pas le droit à l'erreur. De son boxe, elle entendit une voix off annoncer le début du show. Le calme retomba sous la grande verrière, l'assemblée retenait son souffle, impatiente. Soudain, les premières notes de " Born to Die " retentirent. Aux applaudissements vivaces qui suivirent, Kate comprit que la chanteuse avait fait son entrée sur scène. C'était parti pour quarante-cinq minutes de show spectaculaire. Les mannequins entrèrent en piste les uns après les autres, enchainant les tenues originales de la nouvelle collection hivernale de la marque italienne. Pendant qu'on retouchait son maquillage et sa coiffure, la brunette surprit Esteban qui lui adressa un clin d'oeil avant de filer en hâte vers les coulisses. C'était le tour du bel espagnol et Kate l'encouragea, croisant les doigts pour que tout se passe au mieux pour son premier passage. Après quelques minutes, celui-ci revint, tout sourire, courant à son boxe pour revêtir son second costume. On la fit alors se lever pour lui enfiler sa robe et, à l'instant où elle sortait la tête du corsage étroit, des cris de panique s'élevèrent. Affolés, les costumiers fixaient quelque chose à ses pieds. Aïe, ça m'étonnerait qu'il s'agisse d'une araignée... pensa-t-elle, avant de poser les yeux sur la cause de cette stupeur : une déchirure bien visible partait de l'avant bas de la robe et se terminait au niveau de son tibia. Interdite, Kate regarda ensuite les costumiers qui, maintenant, observaient en silence un autre collègue qui, du bout des doigts, tenait la paire de chaussures montantes dont les talons avaient été arrachés sauvagement. Tandis que les gens autour d'elle s'interrogeaient et s'énervaient, la mannequin novice restait étrangement muette, ressassant un seul et unique nom : Valentine. Tout à coup, un émissaire envoyé par le metteur en scène vint les prévenir que ça allait être le tour du Numéro 33 et que la directrice de la maison l'attendait déjà. Le spectacle touchait donc à sa fin.
- On ne peut pas la laisser y aller comme ça !
- Qu'allons-nous faire ?!
- Trouvez-moi celui qui a fait ça ! Je vais le tuer !
Kate serra fermement ses mains moites et, d'une voix qu'elle ne se connaissait pas, s'écria :
- La ferme !
Sous les yeux choqués de la team Versace, elle se pencha et tira vivement sur les pans de la déchirure qui s'agrandit encore plus ! Sans perdre de temps, elle fouilla dans son sac posé sur le sol froid et en sortit quelque chose qu'elle enfouit dans son décolleté. Après cela, elle se retourna et s'empara des chaussures cassées que soutenaient les mains tremblantes de l'un des costumiers toujours figés par la surprise. Pieds nus, elle courut en direction des coulisses, mais ralentit sa course à hauteur du boxe 8 où l'équipe des maquilleurs trinquait déjà à la réussite du show. Sans s'arrêter, elle vola le verre de rhum que tenait l'un d'eux et en but une rasade en chemin. Allez Katie, tu ne peux plus reculer ! s'exhorta-t-elle tout en atteignant les coulisses.
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Hello chers lecteurs !
Mode warrior activé ! Kate va-t-elle se sortir de ce pétrin ?
Avez-vous apprécié les derniers évènements ?
A bientôt dans le chapitre 28 ! :)
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HEEL
ChickLitÀ 25 ans, Kate, jeune enseignante sans emploi, est menacée d'expulsion par le service de chômage. Alors que sa situation parait désespérée, elle se fait remarquer par une agence de mannequinat. Sans y croire, elle se rend sur place et découvre que l...