XIII

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J'ai mal aux dents, ça me picore l'intestin et me triture la rate. Ma trachée est écorchée et mes paumes ouvertes, défoncées. Les mots sont en lambeaux, ils coulent dans la Seine et s'étouffent dans leur sang noir. L'encre comme un poison dans nos veine nous rend toxiques.
L'air est avide et mauvais, il respire de la fumée consumée ; elle s'éclate entre quatre mur, et tourne autour de la ville, qui gronde.
J'ai envie de gueuler quelque part, paradoxalement face à toi. Et t'imaginer pleurer, chialer, suffoquer de douleur, avec tes halètements de chiot malheureux et incompris. Et ça c'est parce que t'es pas correct de me laisser.
Adil tu piétines mes plates bandes sans regarder où tu mets les pieds. Et tes yeux sont coincés vers, le ciel un peu trop brouillard, la grisaille boursouflée qui te rend violet.
Adil j'ai rien su, avec toi c'était l'ennui de la connaissance.
Notre couple mal construit et penchant, mais ça flottait dans le bruit. Une espèce de nuage cotonneux dans la tourmente, ça me piquait tellement les yeux que je pensais pleurer. C'était tout simplement l'aveuglement, je me méprenais je le sais.
Adil je ne crois pas t'aimer, et j'espère, mais ça me fait tellement mal.
Comme je t'ai dit, j'ai l'impression d'être déchirée de l'intérieur, une cicatrice qui donne sur le vide, et me coupe en deux.
Rien n'a vraiment changé, nous ça a été une solitude, des mensonges à avaler dans ta chambre trop nue.
Mais se le pendre en pleine face, le voir grignoter ma figure fatiguée, c'est presque insupportable.
Je me sens dans une bulle de polystyrène, emballage défait et blessure industrielle.
Il y a plus rien à sauver, on s'est créés et unis par dépit, on s'est mépris, à croire qu'on pouvait jouer comme les dieux malins sans en pâtir.
Adil je sais maintenant, Adil je souffre. J'ai envie de sentir ton bras contre ma joue qui stoppe la nausée, et comme une caresse réveille la douceur, éclôt de germes dispersées dans la bruine.
Le clapotement de nos fronts qui chahutent autant qu'il y a de tendresse à saisir.
Adil on ne me dit pas assez je t'aime, on m'étreint en distraction, c'est rare de croiser les regards des gens, et franchement. J'ai le dos courbé sous l'absence qui encense mes journées.
Bastien tisse les fils du soleil avec ses rayons, aiguillant son présent en pièces détachées vers quelque chose de propre à lui même.
Léa est précieusement gardée, si encrée qu'elle en oublie le goût de la liberté.
Moi je ne le sais que trop bien, ce goût doux amer de l'écume qui jaillit.
Je m'assois sur la plage de Normandie, j'écris le nom Adil sur le papier et les galets sont glacés sous mes jambes.
La houle est miroitante et déserte, on aurait envie d'en hurler. C'est à devenir ivre de tristesse ce mutisme, le bruit des vagues c'est celui du silence.
Le ciel froid des plages d'hiver surplombe ma tête baissée, et je me déhanche jusqu'à délier ma parole dans tout mon corps. Mes tendons se tordent et se soumettent à une gravitation bizarre, qui m'écrase de tous les côtés.
Dépareillée et libre, décoiffée par le sel, je crois que je ne fais que penser à toi. Le vent dans une espèce de sauvagerie qui me prend, j'ai peur de plus réussir à nager les yeux mangés, et donc ouverts.
La peau en marbre et le cul trempé.
Les lèvres bleu qui somnolent dans un reste de dégoût, de fragilité et d'acier.
Sentir les gouttes qui ruissellent jusqu'à nos os, qui glissent sur la peau et perforent les poumons. On respire de l'eau, des litres jusqu'à ne plus se rappeler l'odeur de l'air. Il diffuse ce goût frais et plein, fait des ronds dans l'eau en murmure un nom.
Adil je crois bien que c'est le tien.
Tu joues de la guitare, isolé sur un coin de plage, sur le revers de mon esprit.
Il est inscrit : zone inhabitée, et tu vis là un peu perdu.
Je ne t'en veux pas trop Adil, ça va, comme tu me l'as dit.
Même si cette mer lèche les blessures à vif, tu parais incessamment juste.
C'est ça que je trouve beau chez toi, et que je vais regretter. Sous toutes ces couches de paroles graves et torturées, derrière ton air de fin des temps. Là, au creux de tes pas de travers, des sons qui résonnent et dégringolent dans la nuit.
Je te vois danser.
Je t'ai vu Adil, un soir chez toi, devant mes yeux te lever, pour danser seul.
Je crois être triste à m'en couper les veines pour en faire des bateaux en papier.
Revis-tu à travers moi, puisque je te rêve en continu ?
Ou est-ce, encore, la sonnerie du réveil qui me déchire les tympans, et me ramène sur l'horizon calciné ? Cette chemise froissée il n'y a que toi pour la porter, en extraire nos envies dédoublées, et tu me l'as laissée.
Comme les séquelles de tes jambes bleuies, emmêlées aux miennes sur le port, dans ce tableau d'il y a mille ans.
La gare est pleine de papiers volants, qui effacent peu à peu ta trace. Tu laisses un trou dans la terre, avec comme consigne d'y enterrer nos souvenirs à l'odeur fanée. Les fantômes brumeux obéissent, je me retrouve en réanimation, j'ai fissuré un miroir au lycée, par détresse mal placée.
Il y a dans l'ascenseur une odeur de pisse citronnée, je vis les choses à l'envers. Je fais l'amour dans des draps rouges, mais j'ai mes règles dans un lit dressé en blanc.
La neige et le sang se retrouvent étrangement liés, ils tombent comme de la cendre dans le jardin où tu ne te perds plus. Les hautes herbes qui découpaient le sol sont dissimulées par une pluie de feuilles désormais.
Les arbres se foutent à poil ça me met mal.
Assez de nudité.
Je crois que tu m'as rendu un peu folle, le pire c'est que je ne sais pas pourquoi. Cette horreur qui dévore mon crâne, je mâche des chewing-gums avec la musique à fond, pour coudre l'éclatement de l'univers coincé dans ma poitrine. Confiné et prisonnier, à en taper les parois à mains nues, encore une fois.
Je t'aurais bien dit que le temps a perdu sa saveur et sa raison. Qu'il m'a dit adieu comme toi, mais,
je cours assez vite pour pouvoir te suivre,
et la fin, cette fin, n'est que notre fin.
Adil je suis soulagée que tu sois toujours en vie.
Je t'aime
tendrement,
Julie.


réponse :
L'océan est l'amoureux le plus fidèle et te prend dans ses bras quand tu le veux.
Julie,
Assez de barbotage jette toi à l'eau.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant