ADIL : On va visiter un musée ? Se frotter à l'irréel, dénaturer le marbre lisse et poli ? Tu frôleras les statues gelées et, les cheveux brouillés par leur mirage, tu tireras sur mon bras pour que je comprenne leur finesse. Moi je préférerai les ballets de couleurs des salles sombres, mais tu ne m'y suivras pas. La pénombre te fait donc si peur, Julie ?
JULIE : Paris est terne, les après-midis maussades. Laisse moi dormir s'il te plaît.
J'ai voulu d'une beauté m'avalant, la noyade du soleil sous cet horizon d'ombres et d'arbres noirs. Mais les nuages obstruent tout. Ils s'emparent littéralement du paysage, et le brouillard le peint de gris mornes. Il ne reste plus que l'effacement, fatiguant, inaltérable, qui nous frustre et nous empoisonne.
ADIL : Alors j'ai revu César. Il est d'une vitalité sans précédent, que je n'avais pas anticipé. C'est étrange mais je crois bien que c'est lui, qui s'en est tout de même le mieux sorti.
BASTIEN : Il fume comme un pompier, fait l'amour au jazz et à Léa sur le même ton. Elle a son odeur dans la peau, derrière les yeux, fébrile jusqu'à s'en évanouir. Il la transcende. Je ne l'ai jamais remarquée aussi instable, vive, imprévisible. Je crois qu'elle en a fini de m'aimer, et qu'elle se déchire afin de mieux avancer. Tu vois, Léa est muette de bouche, mais sûrement pas de cœur. C'est étrange cette façon qu'elle a de tout donner dans le regard, de lâcher l'émotion d'un grand coup brutal, comme une claque dont l'on ne se remet pas, et qu'en évitant, on va trouver. Avant dans ce regard je trouvais une force, une volonté fascinée, puis tellement de regrets, à en effacer le bon. Et aujourd'hui une blessure seulement. Cependant, doucement, elle cesse de m'éviter. C'est seulement aujourd'hui que j'ai pleuré de la savoir loin de moi. Parce que c'est la fin, je le sens dans tout mon corps, la fin immense, électrisée par la douleur, terrifiante. La fin de toute chose m'est si terrifiante.
Je me suis cogné et j'ai observé la formation d'un hématome rosé sur mon mollet. Ma chair est brune, sèche et usée, couverte de poils foncés. Ils s'entortillent, se chevauchent sans grande grâce. Mes jambes sont lourdes comme l'habitude et j'ai l'impression de défiler sur un mauvais générique de fin. Plongé à la moelle de mes sentiments, ils s'entrechoquent comme des cuillères en argent. De plus en plus, je me fige, épaules en avant, saisi d'une peur obnibulante, et je me dis que je n'ai rien vécu, que cela va continuer. Une lassitude déguisée et permanence, de tout ce qui m'entoure, dès que je n'y prête plus une attention immédiate.
VISAGE MASQUÉ, DE L'AIMÉ OU DE L'ABSENT : Laisse tes peines se dénouer et tomber au sol, la montagne se glisser dans les nuages à jamais. Il y a des choses évadées pour toujours, la course du soleil est hors de portée. Pourtant l'hiver ne dure qu'un temps. Rentre chez toi, irrigue ta vie de ces rivières d'amertume et laisse les germer en torrents, qui iront fouetter le soucis de ton état.
Le soir où l'on m'a dit "merci d'être toi" la pluie chaude de l'été secouait la piscine et les flots chlorés tabassaient sa cuve. C'était un monstrueux bonheur, terrible et coupable, attendu depuis si longtemps et pourtant toujours sauvage.
J'ai pris mes mains pour me palper le visage et j'ai cherché à voir mon reflet dans le noir. J'ai fermé des yeux rougis et j'ai pu observer en moi, l'écoulement de la pluie chaude de l'été, sa couleur d'encens brûlé, d'un vert foncé et humide, trempé par un rideau de gris métalliques et coupants.
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(déluge)
General FictionIl rit. Il rit en face de Julie et elle rit avec lui. Il rit et tout est beau tout est gris.