II

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Adil est parti, ça a grandi le vide brusquement.
J'avais acheté des fleurs pour lui.
Putain le con, j'ai pas eu le temps de lui donner mes fleurs.

On avait passé la nuit dans Paris, puisque chez lui, l'interphone était inutilisable. Il y avait beaucoup de vent, alors on était entré dans un bar, à boire sans rien se dire de vraiment important jusqu'à ce que minuit nous ferme les portes.
J'avais bien remarqué son air de chien malade, mais il le traînait depuis très longtemps, je ne me souviens pas avoir jamais pensé que ça changerait.
Il commençait à faire tard, l'obscurité avait la couleur pâteuse de la glaise, le ciel était une mélasse de gris métalliques sombres, mais surtout très froid, on voyait bien que les sdf s'étaient tous figés, terrifiés par chaque coin d'air glacé qui les attendait  Alors je l'avais invité chez moi.

"Tu prendras le canapé" je lui avais dit.
"Jamais", sa réponse sifflante entre les dents, regard au sol bien sûr.
Stupide con. Avec sa haine des gens, son obsession de ne pas accorder un regard à l'autre.
J'avais souri, il était peureux, et ça me faisait sourire.
Mais le voir si vide effrayait les autres, et moi ça me gagnait aussi. Il ne grandirait pas c'était sûr, mourrait jeune, oublié de tous, dans un endroit où personne ne saurait son nom.
Pourtant ce sentiment obsédant qu'il l'ignorait continuait de me retourner le crâne. Alors je lui avait dit. Tout.
De partir, d'aller crever dans le Nord isolé où pour une fois les gens lui manquerait.
C'était lâché sans haine, sans filtre. Ça ne l'avait pas fâché, il m'avait juste dit de rentrer dans mon studio. Comme j'avais un mal de tête assez impressionnant, je n'avais pas insisté. Il allait probablement continuer de marcher jusqu'à l'aube, de toute façon.
Et le lendemain il serait de nouveau là, à embrasser des tas de gens sans y trouver autre intérêt, que celui de mieux se sentir vivant.
Seulement il n'est pas revenu. Je me suis stressé, j'ai sonné un gamin parce que je me sentais coupable, puis j'ai reçu sa première lettre. Alors j'ai à nouveau perdu la notion des jours passés, j'ai continué à aller en cours sans ambition particulière.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant