XI

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C'est un peu autobiographique, un peu en pause panique que Julie griffonne un message sur son téléphone. Et il lui suffit de fermer les yeux pour entendre le souffle chaud des lignes qui s'envoient, qui seront reçues et lues.
Elle rêvasse, la bouche pâteuse et les yeux agressés par l'étrange lumière de l'écran.
Tant et si bien qu'elle ne découvre la réponse qu'au petit matin :

-Viens je suis dans la galère, mon interphone est cassé et j'ai pas de jeton de clés.

Cri d'une oubliée.
Abnégation stridente et précipitée.
Adil s'est jeté dans l'eau glacée,
a dormi sous un ponton avec des larmes rageuses, d'ennui et de dégoût.
14 appels manqués.
Elle le retrouve le visage si effacé qu'il en a l'air privé. Dépravé et déparé de sa veste fauve Middleton, il a l'air juste un peu trop frêle.
Il fume.

-Tu ne fumes presque jamais pourtant.

Il tripote son alliance en plastique, tire des bouffées en fermant les yeux. Sa marinière donne le mal de mer à Julie. Paris s'éveille autour d'eux.
Le maquillage s'est effacé et les lèvres du garçon ont perdu leur côté avenant et sanguin. Julie a peur de l'étreindre trop fort, de le gêner ou de le briser d'un coup sec, comme un vieil arbre qui craque.
Alors elle le laisse fumer, se perdre dans ses pensées. Elle sait la dure couleur des réveils rasés de près. Mais sa couleur à elle n'est pas sa couleur à lui.
Lui ce qu'il aime c'est le déodorant après la douche, et les cordes de sa guitare, à pincer jusqu'à emporter des pansements sous les draps. Au vent dans la bagnole fenêtres ouvertes, et l'odeur de bananes au goûter, ce qui nous ramène au café, du matin.

-Je m'en vais Ju.

Il le dit comme on fait "hop". Avec une aspiration du h et un éclatement sonore du p, qui dégringole et rocaille.

[deux siècles et demi que Julie sourit et la voilà la larme à l'œil, si c'est pas beau et tragique les adieux]

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant