VIII

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Laiteuse, la bouche de Julie, ses yeux révulsés et sa paupière moite. Elle s'endort et se courbe, tandis que lui, il rassure la mer, il l'éloigne de la main. Julie se divise, sa peau, secouée par des spasmes violents, finit par s'endormir, mais elle lui dit, si doucement, que sa poitrine, sa gorge, son ventre, tout son être, lui brûle, lui est douloureux.
Adil a les pleurs bouillants et les yeux en feu. Il y a, dehors, l'alarme du samu qui se perd dans l'immensité de l'air. Il ne veux plus les laisser entrer. Il aimerait, emporter Julie au loin, la rattacher à son corps, s'y fondre comme le fer s'écoule, en caressant la chair, en lui aspirant sa pâleur. La nuit est larmoyante, de griffures marines et de fantômes du jour.
Il a cette compression amoureuse dans la poitrine, qui le broie et l'écorche, à lui hurler de braise, que l'aurore n'est plus faite pour naître, que maintenant, c'est seulement au petit jour que l'on se meurt.

Demain, dès l'aube, à l''heure où blanchit la campagne,

Il arrache Julie de toutes ces ombres qui la hantent, la lui prennent, la lui volent. Il n'y a plus de subtilité, les masques sont faits d'argile gras et de tourments, ils grimacent, se piétinent de cris bas.
Ça lui revient maintenant
Ces bruits, grattements imperceptibles, qui assaillent le silence sec. Comme dans le lit, la nuit, lorsque l'on pense à toutes ces choses auxquelles on avait cru pouvoir échapper la journée.

Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.

Il sort. Les ébats avec la mort l'ont épuisé. La fille est à l'hôpital dans des draps de lys tandis que lui, suffoque sous la clarté naissante, et ses épaules tremblent de chaleur alors qu'on frôle le zéro. C'est inouï, il se découvre, veste à la main et le front rendu à la terre. Une semi-condamnation aux décombres, ces absences de ceux que l'on aime, les sourires avalés à toute vitesse, croulant de solitude. Et les parkings déserts, les hôpitaux éclatants de blancheur et de lumière fade.

Julie, une semaine à se presser sous des machines velues, qu'il retrouve aux heures de visite. Tête happée par la fenêtre dans la chambre grise, il évite ses cernes qui se pavanent, le creux de ses joues, son odeur de propre diffuse.
Elle a comme une cristallisation au cœur, de la chair en détérioration ou trop fine, trop frêle, et la peau fragile, un poids amer dans le thorax, de la fièvre en perles jusqu'à en imbiber les draps. Ça ira mieux, c'est ce qu'ils disent fort et haut. Julie doute, mais ne s'en fait pas. Elle lui a dit hier "j'ai rêvé que je mourrais", une ligne, chaque mot pesé, sur une fin de journée d'ennui. Elle avait les yeux fermés, et n'a pas vu son fameux choc facial. Il lui a pris la main, mais en vérité, il ne savait que faire de cette peine là.

Aujourd'hui c'est son anniversaire, elle a dix-huit années de vécu derrière elle, un souffle nouveau qui palpite contre ses reins. Il aime lui accrocher le collier qu'il a acheté pour elle, nacré de douceur et d'attention. Son dos est chaud, mais déjà apaisé, quelque part quelqu'un lance une pierre dans le vide, et elle retombe sur ce lit. C'est un pétale neigeux comme il l'appelle, un morceau de grêle décroché du ciel. Ça les fait rire, les inconscients, d'abord, lui. C'est très mélodieux et grave, le rire d'Adil, jailli une fois l'an et bien sûr il faut qu'il neige. Alors, il arpente les chambres à demi-vidées pour fleurir sans crainte. Il rit. Il rit en face de Julie et elle rit avec lui. Il rit et tout est beau tout est gris.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant