XI

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On passe l'après-midi à lire des bandes-dessinées sur le lit, ma sœur et moi.
Alicia a attrapé un vieil album de notre père, et je déchiffre par dessus son épaule, même si je finis par rouler sur le côté et causer avec le silence. Le mur a l'air vert clair, le mini ventilateur est mort, mon pull n'arrête pas d'attraper des peluches et me gratte la nuque.
Ah oui, je suis retourné à Naples.
Pour fêter Noël simplement, selon la tradition, le temps d'un weekend. Embrasser les cousines qui ont maintenant de petits seins pointus, taquiner les plus jeunes avant de les voir tomber de sommeil minuit franchi, faire la vaisselle pendant deux heures, sortir fumer avec grand-mère. Sa peau ridée dans la couleur du soir, et la fumée blanche qui danse devant son beau visage. J'avais une phrase dans la gorge. J'ai pensé à autre chose alors elle a sombré.

-Comment est Paris ? Demande ma grosse mamie.

La lune est maigre, poudreuse, et divague parmi les nuages. À l'image de mon Paris anémié.

-Déjà de feu probablement, des larmes brûlantes léchant ses ailes.

-Je t'ai connu des rimes plus joyeuses.

En disant cela sa voix s'écaille de joie. Ruisselante la voilà, prête à rire de ma gravité.

-Non moins emplies pourtant. J'ai toujours eu la colère au coin de la bouche. D'ailleurs j'ignore encore pourquoi je suis fâché.

Mamie m'écoute, épuisée par le ménage que nous venons de passer. Elle remonte ses manches allongées en un ourlet grossier avant de se tourner vers moi. Brise pâle de l'hiver naissant glisse dans ses cheveux. C'est si bref, et son visage dans son entier respire.

-Adil. Tendre et beau Adil. On m'a dit que la colère ne troublait que les plus sages. Alors ne t'en fais pas, va, sans soucis de détails. Il ne faut pas craindre les incertitudes, les peurs qui s'efforcent de disparaître dans les fonds des sourires. On est jamais parfait, même dans le bonheur.
En attendant c'est ta sœur qui m'inquiète. Elle s'ennuie de toi ici, et ton studio à Paris est assez grand pour deux. Ne pourrais-tu pas l'emmener ?

-Je n'emmène personne, je n'ai pas cette prétention.

-La laisserais-tu te suivre dans ce cas ?

Je n'ai pas répondu tout de suite. Il y avait beaucoup à penser et la nuit choisie s'y prêtait mal. Pourtant, tandis que Mamie passe dans le corridor et que le vieux parquet craque sous nos pieds nus, je sens le souffle de l'amour m'étreindre et me posséder délicatement. C'est le lendemain, dans les lueurs matinales des veilleurs, que j'enserre ma grand-mère et croule sous son parfum frais de rose mouillée. J'expire du bout de mes lèvres, tâtonnant, les yeux clos, étrangement bien ainsi, enfoui auprès de son cou.
Il monte en moi, ce sentiment en puissance dont je ne me défais pas. L'odeur de la maison. Ses lianes, comme une couronne de fleurs repassées, caressent mes longues veines noires.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant