XI

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Perdu au milieu de la glace, le reflet écarlate peut-il expirer son dernier soupir ?
Les ongles blancs se débattent avec candeur, griffent, hurlent même ; si jamais on les entend, elle est sauvée.
Mais souvent les autres, sourds à ses mots, détournent le regard. Elle s'est figée, un souffle glacé lui glisse dans le cou, celui d'un étranger.
Comme une ombre qui plane et la fait se ployer, elle arrête de respirer, quand des doigts sombres et rubis viennent la poignarder, la tenir en coupe.
Ce frisson humide et tiède coule sur elle et fond sa peau dans des relents de peur.
Il puise son coeur à deux reprises, avant d'y injecter le sang bleu. Des fissures ouvrent la vitre de toutes parts. Gémissements et bruits sourds du verre sec, qui se tord de chagrin.
La sonnerie du métro la libère tandis que le reflet se dissout. Elle se retrouve projetée sur le quai, la puanteur des rails jaunes lui incendie les yeux, sa poitrine n'est plus qu'une braise à vif. L'immense chaleur de ses joues dévore son corps et s'étend, lentement, sur sa nuque et ses épaules. Elle suffoque, prisonnière de sa propre enveloppe.
Les larmes ruissellent trop tard, comme un rugissement grotesque, pour flinguer la dynamique de l'oubli.
Il n'y a rien qui marche, tout est en chargement, son étouffement, la douleur, le néant des mains de Bastien.

-Léa ?

Elle ne voit rien, ferme les yeux, engloutie par sa nuit intérieure. La tristesse la consume et la fane, comme une cigarette en fin de vie, que viennent délicatement cueillir des paumes douces et solides.
Lorsque, secouée par le vent blanc, la cendre volette, on retient l'instant.
Des cailloux noirs dans les yeux jaillissent, et au lieu de la tenir dans ses bras, César invite Léa à danser. Vacillement presque imperceptible baigné par l'odeur des néons et celle de l'après-shampoing masculin.
On ne tarit pas ainsi des flots blessés de laissés pour compte, c'est sinueusement plutôt, en commençant par assécher les larmes, que sortent de terre des sédatifs. Emplis de courants d'air, les bras se serrent avec l'espoir des derniers adieux. 
L'odeur de ces quelques mots divins, qui pourraient dire on annule tout.
Les ascenseurs d'Abbesses ne réconfortent pas Léa, ni la lumière de la fin d'après-midi envahissant la ville, pas plus que le trottoir allumé par la bruine de l'automne.
Ce sont tout d'abord, ses jambes qui cèdent légèrement, puis tout à fait, aux baisers du garçon.

"La trace à peine visible de César dans sa vie, est nue et épineuse."

Le trajet l'atteint jusqu'au fond de ses bras, elle termine par unir totalement leurs souvenirs grouillants, deux jumeaux aux seins sanglants.
Le résultat est surprenant, les murs tremblent mais c'est l'océan en approche, et non plus le fracas des ambulances qui enfante le silence. Il la tient par la main.
Ça fait longtemps qu'ils n'ont pas entendu des paroles jetées dans le vide comme ça, qui ne se posent pas sur les lits étroits mais entre les lattes de parquets, pour s'en aller sans regards.

-Tu es belle, oui, si belle qu'il faut te regarder oui.

Oui César a une voix grave et sa peau est brune, la cannelle ouvre sa bouche pour la tordre agréablement. Le miroir des âges ne trompe en rien l'œil de Léa, à demi clos et éteint, frémissant devant la jeunesse de ses mots, et l'effet doux lorsqu'ils remontent sa peau.
D'ailleurs, il n'est pas question de chuter
puisque leurs gestes s'abandonnent dans un feu ardent, élevé haut dans le ciel du jour aveugle, si haut qu'ils font l'amour les fenêtres ouvertes aux yeux des oiseaux.
Léa se trompe en croyant qu'elle vole en éclat, puisque, lentement, César découpe son âme, en déliant les noeuds, comme si c'étaient des ficelles, pelotes de jeu.
Afin d'y insuffler l'odeur dégoulinante de la pluie au soleil, forte, qui donne envie de se promener, de se taire d'amour ou d'indulgence.
Leurs gémissements sont éparpillés dans les coins de la chambre, ils ne se rencontrent pas et pourtant c'est le même appel.
Appel qui sort presque sauvage, puisque les âmes sont des points noirs, qui nagent.
Flottent et se noient, des sourires sous la flotte qui ploient, le goût des frites dans lesquelles il faut mordre à pleine dents.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant