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LETTRE DU 26/08/2017 ENVOYÉE AVEC RÉTICENCE

Le silence s'élance, tu t'emportes contre ma porte (fermée à double tour).
Les tiroirs ont été vidés pendant ton sommeil. Glisse la glycérine, elle bascule sur le sol évadé. Elle s'échappe de sous nos pieds. 
Toi mon alcoolique aux dents du bonheur, tu la suis en frôlant les murs, si légèrement que tu les blesses presque.
La serrure est bousillée, il faudra la réparer, c'est que j'ai écrit sur une note.
Je suis venue déposer ma bouche sur ton front endormi, une énième fois.
Je suis partie quand tu regardais au loin, pardonne moi mais je n'ai pas eu le courage d'affronter tes yeux saillants.
Et le reproche qui tord tout ton corps posté là, à m'attendre.
Non je ne veux plus te voir au réveil, à chaque fois j'ai l'impression de t'arracher des bras de ton meilleur amant.
C'est un désordre brutal, des mains sortent du sol pour écorcher nos pieds en balancement.
Je n'ai pas cru devoir supporter ton regard accusateur, bouleversé, cruellement braqué sur ma gorge nouée.
Je t'aime Bastien, mais ta tristesse n'est pas à ma taille.

LETTRE DU 17/09/2017 JAMAIS ENVOYÉE

Plus je pose de questions et moins tu réponds.
Il y a une distorsion entre tes cordes frêles, et mes côtes fragiles. Elles ne sont plus aimées de la même façon.
Ça me déchire l'échine de me l'avouer, mais tu as tout foutu en l'air, et as foutu le camp, l'air de rien.
La route s'abîme sous tes pas qui ouvrent un abyme de solitude, de soleils fanés.
Le cimetière des voitures en rouille s'est trouvé asséché par le temps et le vent qui n'y passent plus. La carcasse des géants de métal ombrage mon pied tordu.
Mon crâne crame sous la lumière aveuglante et sans repos.
Notre amour est un désert, où le lait et le miel sont aussi absents que la pluie.
Le deuxième matin d'août j'ai senti que la mer se retirait, et toi, regard humide, tu t'es laissé allé à elle.
L'été a déposé un manteau roux sur tes cheveux usés, tes épaules dénudées sensibles au vent, elles n'ont pas su gérer.
Réglé sur les bruits poussiéreux de l'horloge, tu te détraques. Les nuits ont poussé. Elles t'enserrent comme j'aurai du t'enlacer, le reflet des salles de classe s'étire si loin qu'on le perd de vue.
Qui sait si on ne ressemble pas à ces vieilles marques périmées, des boîtes roses dépassées où s'entassent des chaussures, des chaussures trop exiguës ?
Ton bassin collé au mien, tanguant sur une mer déchaînée, la fièvre de tes baisers qui dévale mon corps. Tout cela est si malade, suinte le mauvais air.
J'ai dévisagé mon reflet triste, pour me convaincre de ne plus t'aimer.
"Regarde ce qu'il te fait Léa, t'as les yeux brisés, des lambeaux de peau sur les os".
Incapable de me saisir comme il faut, je te glisse entre les doigts.
Putain Bastien, putain. Tu m'aimes plus du tout parce que t'as même oublié pourquoi j'étais là.
Aujourd'hui tu claques la porte. À faire marche arrière en courant, tu me verras pas m'échapper.
Je t'aime, cependant, encore
LEA

heure du décès : 23:47
cause : Bastien est aveugle et Léa en sait trop.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant