IV

38 9 27
                                    

Dans un roman il y a des personnages qui existent par eux-mêmes, et d'autres qui semblent se mouvoir selon le regard de l'autre.
Ainsi j'ai décidé que Léa se définissait dans ses actions par rapport aux autres, mais que cela était sa singularité.
Elle était à une période de sa vie où elle courrait en permanence et se trouvait engloutie par cette vitesse qu'avait pris ses jambes, toujours en mouvement, dans des voitures ou métro, quand elle s'arrêtait et levait les yeux : tristesse immense qui lui mangeait le coeur.
Bastien n'avait pas de notion bien propre de "l'autre" tandis qu'Adil n'en avait pas du tout. Celui-là semblait à vrai dire dénué de tout intérêt propre pour les personnes, ainsi la valeur qu'il accordait aux hommes était ridicule comparée à celle de certains objets, une guitare, un bracelet.
Julie.
Julie tout commença avec elle.
Mais ce qui ne sait évoluer finit par régresser. Julie en suspens, coincée :

"Évadée, dans le jour je m'efface petit à petit, je deviens transparente. Et quand je regarde derrière moi, mes pas, eux aussi, ont disparu.
Je me suis perdue dans l'hiver, ravie par la brume qui m'est montée à la tête comme le fait une idée folle.
Mes yeux absents ne lorgnent qu'un horizon plat : je suis enfermée dans une pièce blanche et infinie, je m'y perds car je ne sais pas où je vais. Aucune impression de progresser car tout se ressemble. À vrai dire c'est mon reflet qui avance, et je l'observe dans la pâleur du miroir, je ne sais que dire. Je suis consciente qu'à force je vais oublier le langage et la parole. Mais rien n'y fait, je me détache. Ni affect, ni amour. Je ne veux pas être diagnostiquée malade des sentiments et grande insensible du coeur. J'ai d'ailleurs une infinie tendresse pour l'autre et pour moi même.
Pourtant je sais le mal là-dedans sans pourtant le voir vraiment, ni le vouloir fuir.

J'ai peur de disparaître dans un chuchotement épuisé."

Cela constitua à créer une atmosphère affectée : le cri des mouettes frappait le lycée, s'abattait sur les fenêtres et éclatait nos oreilles. On se figeait, c'était comme, le signe de l'apocalypse.
On n'avait plus envie de tout savoir d'ailleurs, on préférait manger des glaces à la cantine, que faire d'une feuille un sifflet ; l'herbe mouillée servait à nous chatouiller le nez, quant on l'apercevait. 
Ce n'était pas de l'isolation, ni de la flemme profonde, mais on était plus heureux comme ça, même si après coup, il ne nous restait pas grand chose.
C'était une question de sensations, on se le répétait à mi-voix.
Je nageais en apesanteur dans ce moment perdu entre tristesse et fatigue.
Aujourd'hui tous mes amis s'en sont allés et je me demande si l'on a fait les bons choix.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant