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La file d'attente est pleine à craquer. Les gens s'entassent chez leur médecin, les mouchoirs trempés emplissent les coutures et doublent l'épaisseur des manteaux.
L'hiver est là, on l'a vu venir, entendu arriver, et maintenant qu'on le vit, on le sent dans nos tripes, démontant nos organes à coup de monde malade.
Il cache des billets dans ses poches, vêtu d'un grand manteau, autre que les poteaux moites du métro, qui se dressent et qu'on presse, avec toujours cet acre genoux qui en frôle un autre.
Un vieil homme m'a souri, puis s'est assis près de moi. Alors que la salle s'endort, son téléphone se déchaîne dans une sonnerie rock'n roll qui nous fait sursauter, moi et les autres compris. Quelques instants plus tard il avale une pilule, ça flingue les sourires de tout le monde.
Pour oublier je regarde le sol poreux, d'un vert médical et sans âme, puis je m'y attache. Il a l'aspect mou et tendre des choses, ces notes pianissimo qui paraissent fausses dans les morceaux.
Je repense, à la France, à ce piano noir et lent, dans le bar de Pigalle ou je jouais sans en avoir l'âge.
Je veux dire que j'étais trop jeune pour comprendre ce que je faisais, pour apprécier le chant d'un piano noir, et ce que voulaient dire ces têtes amassées de pénombre.
Maintenant, cela fait un an que je n'ai pas vu Paris.
Si je ferme les yeux je revois tout pourtant, et je sais que mes veines grossissent sous la peau.

Premier baiser, fait à l'arrache, je n'en exhume aucune splendeur. Les murs avaient gelé autour de mon berceau et je montais l'escalier en rampant. Titubations sous la joie, on m'attrapa, et je crois que moi je voulais encore plus fort aspirer le sol citron et m'y lover. Comme ça, César m'avait embrassé. Son front était clair mais sans lumière. On n'avait pas appuyé sur l'interrupteur, alors le bétonné était sombre, et l'air nous aveuglait.

Première dispute, un bleu sur la joue, Julie avait de la poigne l'air de rien. Julie c'était une fille dangereuse. Elle avait l'air douce, et elle l'était. Mais elle cognait quand ça allait pas. Ses gifles sifflaient et s'abattaient. Une, deux, trois fois sur les joues d'Adil. Elle ne s'excusait jamais, ne reculait jamais. Pourtant c'était une gamine à se se moucher en étouffant tout le bruit qu'elle faisait, avant de s'égarer entre la minute d'après et celle qui ne la saisissait pas. Cette fille coincée dans son monde qui débarquait pour tuer. La Julie battante, comme une porte battante à claquer le vide.

Première douleur, lorsque Bastien avait le regard long et métallique du fauve maigre, le souffle famélique de la bête blessée. Il s'était assis dans la baignoire et nous étions seuls sur ce carrelage propre, à encore vouloir nous redresser. De la sueur imbibait mes yeux, mais j'avais l'œil sec.
À force de fumer des cigarettes fenêtres fermées, nos gorges étaient roulées de tabac et les vapeurs nous montaient à la tête.
Il m'avait regardé un instant, avec son visage le plus habité.
Je venais de lui avouer la tromperie et je mourrais d'impatience d'entendre ses mots, de savoir enfin si j'étais mauvais. Si lui pouvait m'aimer, aussi. Ce gars blond bien trop grand crachant soudain sur mes actes une colère miséricordieuse.

-Violeur de paix.

Déjà plus sophistiqué que m'y préparaient mes attentes, cela m'avait interloqué Peut être que ce qu'il voulait y dire, était, amant de la guerre.

(déluge)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant