Chapitre 2-1

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*Modifié le 24/03/22*



— Maintenant, il va falloir m'en dire plus, m'ordonna-t-il après quelques secondes de silence assourdissant.

— T'en dire plus ! Plus sur quoi ? Je ne sais même pas de quoi on parle exactement, lui rétorquai-je, aussitôt sur la défensive.

— Rien que le fait d'évoquer des blessures étranges ça t'a fait penser à ce mec ! Alors c'est qui exactement ?

— Personne. Rien qu'un fantôme du passé qui m'a rappelé de mauvais souvenirs. Je n'aurais pas dû venir, tout cela ne te concerne pas, c'était idiot, lui avouai-je finalement en le contournant légèrement pour saisir la poignée.

— Tu crois vraiment que tu vas t'en tirer si facilement ? me demanda-t-il dans un petit rire ironique et moqueur sa main toujours appuyée sur le battant métallique. Tu es bien des choses mais idiote n'en fait pas partie. Quatre mois que tu m'évites comme si j'étais un pestiféré. Je te retrouve dans mon commissariat pourri dans ton tailleur ultrachic hors de prix et tu veux me faire croire que ce type n'est rien d'autre qu'un mauvais souvenir ! Tu me prends vraiment pour un imbécile, ma parole !

Son ton froid, empli d'une colère rentrée, augmenta crescendo jusqu'à ce qu'il se saisisse de mon poignet, plante ses yeux dans les miens et commence à me repousser vers la table.

J'aurais pu facilement l'en empêcher, il avait beau être un homme en bonne condition physique, il ne faisait pas le poids face à un métamorphe, quel qu'il soit. Enfin jusqu'à présent, car l'inspecteur Worth n'était pas tout à fait humain, comme il l'avait appris à sa grande surprise.

Des gênes d'élémentaire couraient dans ses veines, lui conférant le pouvoir d'interagir avec les éléments. Enfin, en théorie, car en pratique il n'avait aucune réelle idée de comment cela fonctionnait. Il y avait de cela quelques mois, il m'avait fait boire son sang pour me sauver la vie. Rien que d'y repenser j'avais encore des hauts le cœur. Nous ne sommes pas des vampires et le sang est pour nous aussi répugnant à ingérer que pour n'importe quel humain. Mais sans savoir par quel phénomène, dans des situations extrêmes, ingérer du sang peut nous sauver la vie. Le problème majeur, c'est que lorsque cette pratique est réalisée avec un autre « non-humain », une sorte de lien se crée entre les deux personnes. Lien inconnu et mystérieux appelé « la symbiose » que je tentais de fuir à tout prix depuis que nous étions sortis de ce bunker militaire ultra sécurisé, où on nous avait parqué comme des animaux de laboratoire pendant des semaines.

— Hannah, qui est ce Kane ? revint-il à la charge d'un ton plus mesuré, me sortant de mes ruminations douloureuses.

— Un homme avec qui je suis sortie lorsque j'étais jeune. Jusqu'à aujourd'hui je le croyais... parti à l'étranger, lui expliquai-je en retirant mon poignet de son emprise d'un coup sec.

— Il y a cinq minutes tu m'as affirmé que tu le croyais mort, me dit-il avec colère et méfiance me mettant le nez dans mon mensonge minable. Arrête de me balader et dis-moi la vérité.

— En fait, je ne voulais pas savoir. Il avait disparu de ma vie et c'était cela le plus important.

— Laisse-moi deviner ? Grâce à Charles, je suppose...

Je ne répondis pas, mais mon silence plus qu'éloquent lui suffit. Il ne dit pas un mot et se contenta de me fixer de son regard pénétrant qui m'avait toujours troublé.

— J'étais jeune, rebelle et stupide, lâchai-je enfin d'un ton agressif et dégouté tandis que les souvenirs de cette époque ressurgissaient brutalement. Mon père voulait tout contrôler, le clan... moi. Il avait déjà prévu mon avenir dans les moindres détails et moi je ne pensais qu'à une chose... m'enfuir. Un jour que je sortais avec des amies je suis tombée sur Kane. À mes yeux de jeune femme, il était beau, charismatique et surtout... puissant. C'était la première fois que je rencontrais un métamorphe de sa stature, mis à part mon père...

— ...et tu t'es laissé prendre au piège, termina-t-il à ma place.

— J'y ai surtout vu un bon moyen de le faire enrager ! contrattaquai-je d'un ton hargneux et cela a même fonctionné au-delà de mes espérances. À tel point que quand j'ai compris les vraies intentions de Kane, il était trop tard.

— Il était venu pour votre clan, c'est ça ?

— Oui, en quelque sorte. C'était un dominant sans attache qui préférait conquérir qu'acquérir.

— Ok. Ne le prend pas mal, mais pour le peu que j'ai pu voir de votre fonctionnement moyenâgeux, jusque-là rien ne me choque, commenta-t-il d'un ton ironique tandis qu'il s'éloignait de moi de quelques pas.

— Quand il a compris à qui il avait réellement à faire, il a montré sa vraie nature et s'est servi de moi pour atteindre mon père.

— De quelle manière ? demanda-t-il

— Tu n'étais pas attendu ? le contrai-je tandis que des souvenirs que j'avais refoulés au plus profond de ma mémoire ressurgissaient douloureusement.

— Hannah !

— Il m'a torturé... pendant des heures, lui avouai-je d'une voix blanche en enroulant mes bras autour de mon corps subitement secoué d'un frisson incontrôlable. Il a pris le soin de tout filmer avant d'envoyer la vidéo à mon père.

— Hannah, je suis désolé... commença-t-il en s'avançant vers moi, son regard rempli d'une compassion qui me révulsa.

— Non ! Garde ta pitié pour toi, lui criai-je en m'écartant de lui. Comme tu t'en doutes, Charles n'a pas céder.

— Il ne t'a pas laissé aux mains de ce type quand même ?!

— Le temps de me retrouver par ses propres moyens. À présent, avec le recul, je comprends sa réaction, je l'approuve même. Céder aurait ouvert la porte à tous les coureurs de clan. Mais à l'époque je lui en ai tellement voulu, je l'ai même haï pour ça. Tout ce temps à prier pour qu'il vienne à mon secours...

— Combien de temps ?

— Trois jours, lâchai-je d'une voix plate, essayant de refouler les horribles souvenirs qui m'assaillaient.

Avant que je n'aie le temps d'anticiper ou de réagir, il couvrit la distance qui nous séparait et d'une étreinte farouche me prit dans ses bras.

— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? me murmura-t-il à l'oreille d'une voix trop contrôlée.

Je ne lui répondis pas, me contenant d'essayer de le repousser, tandis que des larmes cherchaient à déborder de mes paupières. Ça ne me ressemblait pas de m'épancher ainsi et de me laisser aller devant quelqu'un. Je n'avais plus jamais été gaie ou spontanée depuis cette nuit, où mon père m'avait arraché aux griffes de ce psychopathe. Depuis ce jour-là, toutes mes émotions étaient contrôlées au maximum, bien à l'abri derrière ma carapace, jusqu'à ma rencontre avec cet inspecteur.

— Hannah arrête, je ne te veux aucun mal. Je veux juste te réconforter, me dit-il d'une voix malheureuse.

— Je n'ai pas besoin de ton réconfort, lui criai-je d'une voix sourde. Tout cela c'est du passé, ça ne doit plus m'atteindre.

— Tu te ment à toi-même et tu le sais, me dit-il en me lâchant à contrecœur. Moi ça me touche, mais si tu veux rejouer à la reine des neiges, très bien, me lança-t-il le regard froid. En quoi ce qu'il t'est arrivé pourrait-il avoir un rapport avec mon affaire ?

— J'aurais besoin de voir les corps pour ça, lui répondis-je d'une voix nouée sans oser croiser son regard.

Son attitude protectrice m'avait touché, même si je faisais tout pour ne pas le montrer et j'avais peur qu'il ne s'en rende compte s'il plongeait son regard dans le mien. Je savais très bien qu'il ne pourrait pas m'accorder ce que je demandai et comptai un peu sur ça pour mettre fin à cette pénible entrevue.

Je le vis serrer les poings alors qu'il réfléchissait intensément et que de nouveaux coups impatients résonnaient sur la porte.

— Tu veux vraiment voir les corps ? me demanda-t-il d'un ton provocateur. Alors suis-moi ! 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant