Chapitre 35-1

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Mon corps se remodela et contrairement à d'habitude, j'en ressentis douloureusement chaque instant. Mon esprit luttait contre cette transformation forcée, qui me sembla durer une éternité. Pourtant, lorsque mes menottes tombèrent au sol dans un cliquetis métallique et que mes ailes se déployèrent, l'air ahuris qu'affichait les gardes, m'apprit qu'il n'avait pas dû s'écouler plus de quelques secondes. Galvanisée par l'afflux soudain d'énergie et de pouvoir envoyé par l'inconnu, je fondis instantanément sur l'homme le plus proche, visant sa tête avant même qu'il n'ait eu le temps de dégainer son arme.

Gabriel profita de la diversion pour se libérer à son tour, et ses entraves rongées et noircies laissèrent une trace noirâtre et fumante sur le lino. L'un des gardes restants tira avant que je n'aie le temps de le neutraliser, mais la balle qui visait Worth fondit littéralement avant de l'atteindre. Je vis l'incrédulité puis la peur emplirent les visages des hommes de Kane, avant que je ne défigure le plus proche avec mes serres. L'un des hommes chercha à fuir et son hurlement de douleur satura la pièce lorsque Gabriel le saisit par le bras. Ses vêtements prirent instantanément feu et je vis, l'espace d'un battement de cœur, l'horreur supplanter la rage sur le visage de Worth alors qu'il relâchait aussitôt le garde. Ce dernier se jeta au sol pour étouffer les flames, mais celles-ci semblaient avoir une vie propre à moins que ce ne soit la proximité de Worth qui les empêchaient de s'éteindre. Du coin de l'œil, j'aperçus Kane, son regard haineux et calculateur fixé sur Gabriel, tandis qu'il braquait lentement un tazer dans sa direction.

— Éloignez-vous de lui, c'est elle que je veux ! rugit-il, changeant de cible à la dernière seconde, un sourire retors et victorieux aux lèvres.

Les électrodes fusèrent dans ma direction. Ivy esquiva habilement, virant sur l'aile droite sans effort. La première électrode nous manqua et la seconde n'aurait fait que nous frôler, si une main ne nous avait pas saisit la patte. Le métal pénétra dans ma chair et le courant nous traversa. Je tombai comme une pierre, mes muscles tétanisés par l'électricité. La métamorphose inverse fut quasi immédiate et c'est humaine que je retombai au sol dans un gémissement pathétique. J'entendis la jubilation de Kane et la rage de Worth se télescoper entre les murs de béton, tandis que j'essayai de réapprendre à respirer normalement. On me saisit durement par les épaules et en une seconde je me retrouvai debout, pressée contre le corps de Kane. Mon premier réflexe, fut de me débattre, mais mes muscles ramollis et surtout le spectacle qui s'offrait à moi, m'en empêcha, me figeant sur place.

Worth se tenait toujours à la même place, environ trois mètres devant nous. Ses traits creusés et étirés n'avaient presque plus rien d'humain, tandis que des flammes entouraient et léchaient son corps, produisant une chaleur de fournaise.

— Vas-y, déchaîne-toi tant que tu veux ! ricana Kane. Dans l'état où tu es, tu ne peux pas t'approcher de moi sans la tuer aussi.

A l'instant où les mots quittèrent sa bouche, je compris qu'il avait tout prévu ! Il avait compris ce qu'était Worth lors de notre dernière confrontation et avait décidé de s'en servir contre lui. C'était brillant et imparable, gémis-je intérieurement.

— Reste loin de moi, élémentaire et je ne te poursuivrais pas, continua Kane en commençant à m'entraîner vers la porte.

Un cri de rage sortit de la bouche de Worth, alors que les flammes viraient au bleu et que la chaleur s'intensifiait encore, faisant pousser des gémissements de terreurs aux prisonniers encore conscients. Cette réaction, qui d'ordinaire l'aurait stoppé net, ne le fit même pas frémir. Au contraire, la chaleur et l'intensité des flammes paru encore augmenter d'un cran supplémentaire. Son pouvoir avait pris les commandes et les flammes étaient sur le point de consumer entièrement ce qui lui restait d'humanité.

— Tu as toujours été attirée par les hommes avec un problème de contrôle, Sweetie ! ricana Kane à mon oreille en m'entraînant à sa suite. Ça finira par te perdre !

— Quant à toi, c'est ta suffisance et ton orgueil qui te perdront ! assénai-je en agrippant fermement ses mains des miennes avant de tenter le tout pour le tout.

J'ouvris mon esprit et le projetai de toute mes forces vers le lien que je savais exister entre moi et Worth. Je le vis et le sentis chanceler, au moment où ma conscience percuta la sienne. Ne lui laissant pas le temps de réagir, ni de comprendre ce que j'avais en tête, je me mis à aspirer sa chaleur en moi. Contrairement à la première fois, où Gabriel avait poussé son pouvoir en moi, cette fois j'étais aux commandes et cela n'eut rien de plus agréable ! Le feu me remplit, paraissant ramper sur ma peau, saturant toutes mes terminaisons nerveuses. Je faillis hurler de douleur et de terreur à l'idée d'être brulée vive, mais Ivy me calma en me faisant prendre conscience de ma épiderme intacte, malgré la chaleur qui commençait à en émaner. Me concentrant intensément, je dirigeai l'énergie vers mes mains et le haut de mon corps.

— Mais... qu'est-ce que tu fais ?! s'écria Kane en fixant Worth, une once de peur dans la voix.

— Moi, mais rien du tout ! lui répondit-il d'un ton féroce, tandis qu'il projetai à présent son énergie pyrokinétique en moi, m'aidant à en maîtriser le flux, tandis que de son côté, la fureur rugissante s'apaisait.

Je vis des cloques se former sur les mains de Kane, tandis qu'une horrible odeur de cochon grillé saturait mon odorat. Ce dernier tenta de se dégager, mais je luttai de toutes mes forces pour le garder contre moi. Brûle connard, brûle, pensai-je alors que dans un rugissement de douleur, il parvenait à se libérer de mes bras et m'envoyai valser contre le mur. Il resta debout quelques secondes, fixant ses mains et ses bras brulés d'un regard incrédule. Puis dans un rugissement de rage et de frustration, il tourna les talons et s'enfuis en courant, abandonnant ses hommes agonisants derrière lui. Je me relevai aussitôt et allai me précipiter à sa suite, lorsqu'une explosion déchira le silence. La pièce où s'était engouffrée Kane, implosa littéralement, nous noyant sous son onde de choc et sous un nuage de débris et de poussière, nous coupant toute retraite.

***

Lorsque je revins à moi, sans même avoir eu conscience de m'évanouir, mes oreilles bourdonnaient et j'avais un gout de sang dans la bouche. Partout autour de moi, des appels à l'aide et des gémissements de douleurs, me parvenait comme à travers du coton. Précautionneusement, je me redressai et retins de justesse un cri de douleur lorsque mon bras gauche refusa de répondre à ma sollicitation. Groggy et étourdie, je me relevai tant bien que mal, en serrant les dents, cherchant Gabriel du regard.

Je le trouvais presque aussitôt, à quelques pas de moi, à moitié ensevelis sous une plaque du faux plafond. Je m'agenouillai à son côté et avec mille précautions, approchai ma main de sa peau, pour me rendre compte avec soulagement que tout était revenu à la normal. Je lui caressai le visage et ses paupières frémirent, finissant par s'ouvrir sur ses prunelles vertes et bleues.

— Il... il est mort ? me demanda-t-il aussitôt d'une voix rauque.

— Je ne sais pas, ça m'étonnerait, lui répondis-je dans un soupir. Comment allons-nous faire sortir tous les blessés d'ici ? lui demandai-je en me relevant, chancelante.

— La cavalerie va arriver, me dit-il avec un petit sourire las, en me montrant un petit boitier noir où une led vert clignotait lentement. C'est une balise de détresse. Je l'ai activé dès que nous avons pénétré dans cette pièce. Ils ne vont pas tarder à nous rejoindre. Avec un peu de chance, ils auront même neutralisé l'autre taré.

Je ne lui répondis pas, préférant pour une fois, croire en la chance, même si cela me paraissait improbable. Nous détachâmes Monroe et l'installâmes le plus délicatement possible sur les genoux de Worth pour attendre les secours. Les portes des cellules étant verrouillées et ne possédant pas les clefs, nous ne pûmes rien faire de plus pour les autres blessés. Plus les minutes passaient et plus j'avais du mal à garder les yeux ouverts malgré la gravité extrême de la situation. J'entendis bien Gabriel m'appeler à plusieurs reprises, du moins c'est ce qu'il me sembla, mais tout me paraissait lointain et détaché, jusqu'à ce que je sombre dans les ténèbres. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant