Chapitre 18-2

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*Modifié le 09.05.22*


— On a le temps d'atteindre la voiture ou c'est déjà trop tard ? me demanda Worth en récupérant des paires de chaussettes dans le coffre, qu'il lança à tout le monde.

— Il ne leur faudra qu'une minute ou deux pour traverser. Il faut y aller maintenant ! leur ordonnai-je d'une voix pressante en ouvrant la porte d'entrée.

Chaussures ou pas, nous sortîmes tous en trombe de la maison. Je sautai, plus que je n'empruntai les escaliers à la suite de Worth, jetant des coups d'œil anxieux autour de moi. Mon idée de disséminer nos vêtements dans la forêt venant de tomber à l'eau par manque de temps, je n'avais plus d'autre choix que de les suivre. Espérant que, le mouchard, ce ne soit pas moi.

Le sort protecteur vola littéralement en éclat à l'instant où nous arrivâmes à la voiture. Je compris la raison de leur vitesse, lorsque j'aperçus l'homme seul, debout à côté des deux SUV sur-boostés. Ils avaient un sorcier avec eux. Merde ! S'il était si fort qu'il en avait l'air, il pourrait créer une nouvelle barrière infranchissable en quelques secondes, nous piégeant comme des rats ! Et vu, le sourire mauvais et calculateur qui étira ses lèvres minces, c'était tout à fait son intention.

Je laissai les autres s'engouffrer dans l'habitacle, tandis que deux gros bras armés de fusil, sortaient de l'un des véhicules, se mettant aussitôt à tirer sur la voiture.

— Partez ! je vous rejoindrai, criai-je à Worth en claquant la portière sur son regard furibond, avant de me transformer la seconde suivante.

L'expression ébahie de Monroe et d'Allistaire, ravie Ivy qui, ivre de liberté et boostée par l'adrénaline, prit son envol en pleine transformation à a peine un mètre du sol. Nos ailes puissantes, nous propulsèrent aussitôt dans les airs, où je planais en cercle, surveillant la fuite de mes amis. Comme je l'avais espéré, ma diversion déconcentra le sorcier et fit instantanément sortir Kane de sa cachette de métal.

— Laissez-les partir, c'est elle que je veux ! On s'occupera d'eux plus tard. Descendez-là... sans la tuer ! ordonna-t-il d'une voix implacable, tandis que ses sous-fifres orientaient aussitôt leurs armes dans ma direction.

Ivy entreprit aussitôt de s'élever dans les airs, cherchant un courant ascendant. Une balle frôla notre aile, tandis qu'une autre nous manquait de deux bons centimètres. Continuant à grimper, je trouvais sa manœuvre risquée, mais je lui faisais confiance. Lorsque j'étais sous ma forme animale, je devenais un curieux mélange de femme et de rapace. Je devenais Ivy, mais restait malgré tout Hannah, c'était déroutant et compliqué à expliquer à des non-métamorphes, mais naturel pour nous.

Nous évitâmes les balles qui avaient de plus en plus de mal à nous atteindre à mesure que nous continuions notre ascension. L'air se raréfiait et devenait piquant, rendant la respiration difficile. C'était le signal qu'il était temps pour nous d'amorcer notre descente. Dans un retourné acrobatique, Ivy se laissa tomber en piqué vers le sol. L'envie de s'abattre sur Kane pour en terminer une fois pour toute était tellement forte, que j'eu du mal à reprendre suffisamment le contrôle pour l'empêcher de commettre cette folie. Je redressai en catastrophe au niveau de la cime des arbres et m'engouffrai dans un courant qui nous propulsa loin de la clairière, de Kane et de ses sbires.

Nous volâmes jusqu'à apercevoir un petit surplomb rocheux où j'allais me poser. D'ordinaire, les moments passés sous ma forme animale étaient des instants de liberté, de ressourcement et de bonheur. Des périodes de lâcher prise où j'abandonnai mon humanité durant quelques heures, devenant Ivy, un être sensible et sauvage, déconnecté des problèmes terre-à-terre des humains. Mais aujourd'hui c'était différent. Je ne pris pas le temps de contempler le paysage ou de m'imprégner de la nature environnante et me retransformai, aussitôt mes serres en contact avec le sol.

Même si j'avais hérité du don de pouvoir me métamorphoser instantanément, sans douleur et sans altérer mes vêtements, la fatigue, l'angoisse et le stress perturbèrent légèrement le processus, me laissant frissonnante et courbatue, recroquevillée sur la roche froide. Pourtant, je n'avais pas le temps de me laisser aller, songeai-je en me redressant lentement. Avec précaution, je me laissai glisser le long de la pierre jusqu'au sol. Mes membres gourds tremblaient, chaque mouvement me faisait souffrir, bref, j'avais l'horrible sensation d'avoir quatre-vingt-dix ans ! J'atteignis le couvert des arbres avec soulagement et, sortant mon téléphone de ma poche, fixait l'heure avec appréhension. Si, d'une manière ou d'une autre, c'était moi qui leur servais de traceur, je devrais les entendre arriver dans peu de temps.

J'attendis dix bonnes minutes pour être certaine. Puis, partiellement rassurée, je rangeai mon portable dans ma poche arrière, revins sur mes pas et repris ma forme animale. Les transformations rapprochées n'étaient jamais conseillées, car même si cela était dans notre nature, c'était épuisant pour le corps et très consommateur d'énergie. Vu mon état de fatigue, de stress et la faim qui me tenaillait le ventre, ce fut déjà un miracle que j'y parvienne.

Ivy reprit son vol, se laissant porter par les courants aériens pour économiser notre énergie. Prudemment, nous nous rapprochâmes du refuge, volant au ras de la canopée pour ne pas risquer de nous faire repérer. Une fois en vue de la cabane, je me posai en douceur et en silence à la cime d'un pin, dissimulée par les frondaisons d'un autre conifère plus imposant. Sous ma forme de rapace, ma vue et mon ouïe étaient encore décuplées, me permettant de voir et d'entendre parfaitement tout ce qui se passait dans la clairière, même en restant hors de leur périmètre de détection.

Les deux voitures étaient toujours là, portières ouvertes. Kane se tenait non loin de la cabane, les cadavres des deux tireurs gisant à ses pieds. Visiblement, il n'avait pas apprécié qu'ils nous ratent ! Et mécontenter Kane, c'était très souvent finir... mort, ou à souhaiter l'être, me rappelai-je douloureusement, même si sous cette forme, les horribles souvenirs étaient moins prégnants.

— Débarrasse-moi de ça ! ordonna-t-il à l'un des hommes qui sortait de la maison, tandis qu'il se tournait vers celui qui l'accompagnait.

— Ils l'ont trouvé, lui apprit ce dernier d'une voix prudente, craignant certainement de subir le même sort que ses deux acolytes.

Kane le fixa de son regard inhumain et vide, avant de laisser éclater sa colère.

— Dans un rugissement inhumain, il envoya son poing dans le tronc d'un petit arbre proche, dont l'écorce se fendit sous le choc.

— Vous vous doutiez que cela arriverait, chef, intervint la métamorphe qui l'accompagnait à la soirée et que j'avais espéré morte.

— Oui, mais pas que cette bande d'imbéciles soient incapables de les arrêter !

— C'est cet inspecteur. Je ne sais pas ce qu'il est exactement mais... il n'est pas humain.

— Peut-être, mais il pense comme un humain, répondit-il dans un ricanement malsain. Et quoi qu'il soit, c'est ça qui le perdra... qui les perdra tous, ajouta-t-il avec un sourire retors en retournant vers le S.U.V dans lequel il grimpa.

Durant quelques secondes, je me demandai quoi faire. Attendre qu'ils partent pour retrouver ma forme humaine et joindre Worth, ou les suivre ? Craignant un piège et surtout l'état dans lequel j'allais me retrouver après ma transformation, je choisis la seconde option, en espérant qu'ils n'iraient pas trop loin. Bien m'en pris, car les deux voitures quittèrent la clairière, mais une seule partit vraiment. L'autre restant planquée, en embuscade, pour le cas où nous reviendrions sur nos pas.

Je suivis le véhicule de Kane à grande distance et haute altitude pour ne pas qu'ils puissent me repérer. Lorsqu'ils arrivèrent en ville, je pus me rapprocher, dissimulée par les bâtiments et les immeubles en tout genre fleurissant dans la banlieue de Détroit. Je sentais la fatigue s'accumuler dans mes ailes et sus que, s'ils n'arrivaient pas bientôt à destination, je devrais abandonner la traque.

C'est à ce moment-là, qu'ils se garèrent dans une rue ordinaire, devant une petite maison à la porte peinte en bleu. Intriguée, je me posai sur le toit d'un immeuble de trois étages, distants de plusieurs centaines de mètres. Ce n'est que lorsque mon attention s'attarda sur la bâtisse que je reconnu la voiture garée un peu plus loin dans la rue... c'était celle de Jude ! 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant