Je faillis crier pour le retenir, mais n'en eus même pas le temps et ne pus que rester vautrée par terre, impuissante, à le laisser risquer sa vie pour moi une fois de plus. Je le regardai courir en ligne droite, sans se soucier du tireur, les balles se détournant mystérieusement de lui avant de l'atteindre. Je compris le phénomène au moment où il atteignait l'ambulance. J'avais déjà vu quelque chose de similaire chez Jude, dont le pouvoir était de manipuler le vent. Worth se servait de ce dernier pour se protéger et dévier les projectiles. Je ne m'étais pas encore remise de ma surprise lorsque j'entendis le moteur crachoter légèrement avant de démarrer.
Sans douceur ni aucun souci de discrétion, Worth passa la première et franchit les quelques mètres qui nous séparaient, s'arrêtant brutalement à côté de mon refuge métallique dont il érafla le pare-chocs par la même occasion. Je tentais de me mettre debout, mais les tremblements qui secouaient tout mon corps m'en empêchèrent et je commençais donc à me trainer vers la portière passager qui venait de s'ouvrir. La vitre côté conducteur vola en éclat au moment où Gabriel se baissait pour m'aider à grimper dans l'habitacle. Mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine, de douleur, de fatigue, de colère, mais surtout de peur. Peur de ce qui avait faillit se produire devant mes yeux... que Worth meurt à cause de moi.
Durant quelques secondes ma rage prit le pas sur le reste et alors qu'une nouvelle balle sifflait au-dessus de nos têtes, je lâchai soudain la main de Worth et attrapai l'arme toujours coincée dans ma ceinture.
— Reste baissé ! ordonnai-je à Gabriel d'une voix rauque et tendue tandis, qu'au prix d'un gros effort, je brandissais le pistolet de mon bras valide et tirai dans la direction approximative des coups de feu.
Je n'espérais pas toucher quoi que ce soit, mais juste faire diversion pour laisser à Worth le temps de m'aider à monter sans se prendre une balle dans la tête. Je fis feu deux fois avant d'abaisser mon bras qui tremblait déjà. Gabriel me saisit par le bras de ses deux mains et me tira à l'intérieur du véhicule. J'eus beau l'aider le plus possible en poussant de ma jambe valide, le mouvement m'arracha un cri de douleur que je ne pus réprimer. Mon champ de vision se rétrécit, mangé par de grandes tâches noires. Toujours lucide malgré tout, j'empêchai Worth de se relever et d'un geste tremblant et mal assuré lui tendis mon arme. Malgré l'inquiétude qui couvait dans ses yeux, il la prit sans un mot et toujours partiellement allongé sur moi, fit feu à son tour deux fois de suite, puis sans attendre il enclencha la marche arrière et se dégagea du trottoir aussi vite que possible.
— Où est ta collègue ? parvins-je à lui demander, essayant de calmer mon rythme cardiaque et ma respiration erratique.
— Je l'ai laissé au coin, protégée par le mur. Je ne voulais pas l'abandonner, mais je ne pouvais pas te laisser, m'avoua-t-il d'une voix serrée, le regard rivé sur la route. J'espère...
Il ne termina pas sa phrase car nous arrivions déjà en vue de l'entrée du terrain vague et de l'endroit où il l'avait laissé. Elle était toujours là, inerte sur le sol. Worth s'avança un peu puis fit une brusque marche arrière en braquant à gauche, engageant l'ambulance sur la terre battue. Étant du bon côté, je m'apprêtais à ouvrir ma portière quand Gabriel m'arrêta d'une main sur l'épaule.
— Laisse-moi faire, tu es trop blessée pour ça.
Puis sans me laisser le temps de protester, il sauta à terre. Je restai aux aguets, pistolet brandit tout le temps qu'il lui fallut pour la transporter jusqu'à l'arrière de l'ambulance, seul endroit où nous puissions l'installer. Lorsqu'il revint s'assoir sur le siège conducteur, stressé et essoufflé, aucun coup de feu n'avait retenti. Bizarrement au lieu de me soulager, cet état de fait m'inquiétait.
— Tu crois qu'on l'a eu ? lui demandai-je d'un ton sceptique.
— Non, je pense plutôt qu'il n'a pas eu d'autre choix que de quitter son perchoir pour se trouver un meilleur angle. La seule bonne nouvelle, c'est que cela veut surement vouloir dire qu'il est seul, sinon ils nous auraient déjà tendu une embuscade pendant que nous récupérions Kaylie.
Durant un court laps de temps, je me demandai de qui il parlait, avant de percuter, c'est vrai qu'ils avaient travaillé ensemble, il connaissait forcément son prénom. Nous fîmes le tour de la petite place, aussi vite que la rue encombrée de voitures garées nous le permettait. Nous étions tous les deux à cran, nos regards rivés sur l'extérieur, cherchant à repérer notre dernier ennemi. Il tomba pour ainsi dire du ciel, au moment où l'ambulance allait s'engager sur un axe plus important. Le bruit sourd que fit l'impact de ses pieds sur le capot, m'arracha un cri. En temps normal, j'aurais visé et tiré sans même y penser, mais mes blessures affectaient mes reflexes et le temps que je braque mon flingue sur sa tête, il avait déjà mis Worth en joue.
J'entendis le tir et vis le recul du fusil au ralentis, comme en plein cauchemar, mais simultanément Gabriel écrasa la pédale de frein et se jeta sur le côté. N'ayant eu, ni le temps, ni la présence d'esprit de mettre ma ceinture, je fus violement projeté contre le tableau de bord. La douleur explosa comme un feu d'artifice oblitérant tout le reste durant quelques secondes.
Lorsque je repris mes esprits une poignée de secondes plus tard, Worth indemne, s'était déjà redressé et accélérait à fond. Le métamorphe sonné, gisait sur le béton à au moins deux mètres de la voiture. N'attendant pas qu'il termine de se relever et sans aucune hésitation, Worth le percuta dans un bruit sourd et écœurant. L'ambulance fit quelques soubresauts lorsque les roues passèrent sur le corps. Nous ne cherchâmes pas à savoir s'il était toujours vivant et sans un regard en arrière, nous fonçâmes vers la sécurité.
Pas un son ne filtrait dans l'habitacle tandis que Worth nous conduisait vers des artères et un quartier plus animé. Ses mains étaient crispées sur le volant, à tel point que ses jointures en étaient blanches, mais son corps était parcouru de légers soubresauts comme s'il tremblait. Le choc et le contrecoup nous tombaient dessus de plein fouet, mais nous ne pouvions pas encore nous laisser aller.
— Tu crois que tu peux atteindre mon téléphone qui est dans ma poche ? me demanda-t-il d'une voix blanche et méconnaissable.
Je mourrais d'envie de lui demander s'il allait bien, juste histoire de parler, mais sachant pertinemment que c'était une question idiote, je me contentai de faire ce qu'il me demandait avec des gestes lents et empruntés. Chaque mouvement était une torture et je me sentais aussi mal que je devais l'être. J'espérais ne pas avoir besoin d'un médecin, mais je commençais à en douter. Mon épaule était douloureuse et engourdie à la fois et un liquide chaud suintait et poisseux s'en écoulait toujours, lentement mais sûrement.
— Essaie de joindre Monroe ou Allistaire, me demanda-t-il en s'engageant dans la rampe d'accès menant à l'hôpital, au moment où j'allais lui demander où nous allions.
Suivant les panneaux, il se dirigea vers les urgences, mais ce que nous vîmes termina de nous alarmer.
Devant nous, au moins six autres ambulances, sirènes éteintes mais gyrophares clignotants, faisaient la queue, attendant de pouvoir s'arrêter devant les portes vitrées qui vomissaient des dizaines de silhouettes en blouses blanches visiblement débordées qui courraient en tout sens essayant de parer au plus pressé.
— Que se passe-t-il ? demanda Worth en sortant son badge, dès que l'un des soignants s'approcha de notre véhicule en poussant un fauteuil roulant.
— Vous n'êtes pas au courant ? s'exclama la jeune femme d'une voix limite hystérique et le regard hanté. Ce sont les métamorphes, ils attaquent les humains dans toute la ville.
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Elémental - Transfiguration Tome 1
ParanormalDans un monde en pleine mutation où les humains viennent d'apprendre l'existence de leurs cousins métamorphes, Hannah, jeune femme froide et indépendante à été choisie malgré elle pour représenter les siens lors de cette transition difficile et risq...