Chapitre 30-1

1.9K 304 48
                                    


Nos regards remontèrent longtemps le long des jambes de l'importun, au son universel d'un grattement de gorge empruntée.

— Votre ami, c'est un métamorphe ? nous demanda abruptement l'homme inconnu dont on n'apercevait que les yeux noisette, le reste de son visage étant dissimulé par un calot et un masque de chirurgien.

— Non, c'est l'un de mes hommes, lui répondit Worth en se relevant aussitôt pour lui faire face, dégainant sa plaque qu'il fourra sous le nez du médecin.

— Pourquoi cette question ? demandai-je à mon tour d'une voix mielleuse, en me redressant à mon tour, mais plus lentement.

— Le chirurgien a besoin de le savoir, pour adapter les soins, me répondit-il froidement tout en me gratifiant d'un regard hostile.

Avec tous les événements dramatiques de ces derniers jours, ni Worth, ni moi n'avions pensé à vérifier qu'Allistaire avait bien sa carte d'identification sur lui. Depuis la grande révélation, une nouvelle information capitale était devenue obligatoire sur les cartes d'identité qui, du coup, avaient leur nom légèrement modifié et le statut de métamorphe ou d'humain. La raison officielle était médicale, raison pour laquelle l'amendement était passé comme une lettre à la poste ! Les politiciens, appuyés par quelques médecins dument choisis, avaient mis en avant le fait que si les médecins connaissaient le statut de métamorphe d'un patient avant de le soigner, cela devrait permettre un gain de temps, d'argent, d'interventions et de souffrances, parfois inutiles pour tous le monde. L'argument était parfaitement valable car un métamorphe guérissait normalement beaucoup plus rapidement et facilement qu'un humain, hors cas exceptionnel ou blessure très grave et même dans ce dernier cas, souvent seuls des soins de base suffisaient, avant que le métabolisme du métamorphe ne fasse le reste. Tout cela aurait été parfait et très bien accueilli par notre communauté, si la véritable raison n'avait pas été le fichage systématique des métamorphes qui, dans le cas présent, allait se retourner contre nous. Du moins ceux qui avaient fait leur coming-out et nous n'étions pas si nombreux que cela.

— Vous êtes certain que c'est la véritable raison de votre question ? lui demanda Gabriel d'un ton doucereux, me prenant de vitesse. Je vous rappelle qu'en tant que médecin, vous avez prêté serment, et que tout le monde a droit aux mêmes soins, ainsi qu'aux mêmes chances.

Le regard noir et l'éclair de colère qui passa dans le regard de l'interne nous appris que nous venions de viser juste dans notre analyse. Mais cela venait-il de lui, de son supérieur, ou de tout le personnel médical ? Ce qui serait beaucoup plus inquiétant.

— Dois-je en déduire la réponse tout seul ? Ou comptez-vous me faire perdre un temps précieux, utile à d'autres... patients ? nous balança-t-il d'un ton vindicatif.

— Rien que le fait que ce soit un policier aurait dû vous donner la réponse, lui répondit Worth, d'un ton calme et froid qui aurait dû inquiéter le jeune médecin. C'est un humain, comme tous les membres des forces de l'ordre jusqu'à présent puisque les métamorphes n'ont pas le droit de postuler, ajouta-t-il, lui faisant bien comprendre qu'il n'était pas d'accord avec cet état de fait.

— Il ne vous a pas demandé ce qui était inscrit sur sa carte d'identification mais seulement la vérité !

La femme qui venait d'intervenir d'une voix autoritaire et désagréable, tout à fait en accord avec son physique, me fit prendre conscience du public de plus en plus nombreux se groupant autour de nous. Gabriel, contrairement à moi, avait dû s'en apercevoir depuis le début. Raison pour laquelle il avait pris le temps de bien faire comprendre à notre auditoire improvisé que nous avions compris leur manège peu subtil. En revanche, que je ne m'en sois pas aperçu en disait assez long sur mon état.

— C'est la vérité et sachez que si j'apprends que certains patients n'ont pas reçu les soins adéquats...

— Vous ferez quoi ?

— Un rapport !

— Et je vous appuierai ! intervint une voix grave et forte, qui coupa court aux rires moqueurs qui avaient commencé à résonner dans le couloir surchargé. Il me semble que tous autant que vous êtes, vous êtes payés pour réaliser un certain travail. Sachez que, crise majeure ou non, je n'aurai aucun scrupule à virer ceux qui ne feraient pas ce dernier correctement. Maintenant, au boulot ! tonna-t-il d'une voix digne d'un métamorphe.

Pourtant, l'homme qui venait de faire fuir toutes les personnes hostiles d'un simple coup de gueule était parfaitement humain. Sa petite stature, ses cheveux blancs et ses lunettes, contrastant avec le charisme de sa voix. Il boitait même légèrement lorsqu'il s'avança vers nous, sa blouse blanche frôlant presque le sol du fait de sa petite taille.

— Montgomery Karter, se présenta-t-il en nous donnant une poignée de main ferme. Je suis le directeur de cet hôpital et je vous assure que vos hommes seront très bien soignés ici, j'y veillerai personnellement.

— Autant que pour les autres patients, humains ou non ? ne pus-je m'empêcher de lui lancer, ce climat de rage et de suspicion commençant à déteindre sur mon humeur déjà passablement ébranlée.

— Bien entendu mademoiselle Moore, me certifia-t-il braquant son regard franc et vif dans le mien. Et si nous commencions par vous ? Vous m'avez l'air dans un triste état. Personne ne vous a examiné ?

— Si, si, ne vous inquiétez pas ! m'empressai-je de le rassurer, alors qu'il se tournait déjà vers une infirmière qui passait, prêt à l'invectiver. J'ai juste besoin de me reposer quelques minutes.

— Quelques heures, plutôt ! intervint Gabriel en me lançant un regard agacé.

— Magda ! Trouvez une chambre libre pour mademoiselle...

— Désolée, monsieur le directeur, mais elles sont toutes occupées, lui rétorqua l'aide-soignante, sans même ralentir le pas.

— Nous apprécions votre aide monsieur, mais...

C'est précisément cet instant que choisirent mes jambes pour se rebeller et m'abandonner. Je me sentis m'écrouler lentement dans les bras de Worth, tandis qu'Ivy forçait mon esprit à se mettre en off, contraignant mon corps à prendre le repos que je lui refusais depuis trop longtemps et dont il avait cruellement besoin.

***

Je m'éveillai au son crispant et lancinant des bip-bips d'une machine de monitoring cardiaque. Surprise d'avoir besoin d'une telle assistance, je me redressai un peu vite, réveillant Worth assoupit dans un fauteuil entre mon lit et celui d'Allistaire à qui était reliée l'horripilante machine.

— Comment va-t-il ? demandai-je d'une voix enrouée par le sommeil.

— Stationnaire. Les médecins n'osent pas se prononcer pour l'instant, me répondit-il en s'étirant dans une grimace.

— C'est aussi inconfortable que ça en a l'air, alors ?!

— J'en ai peur, me répondit-il du même ton léger que moi, même si le cœur n'y était pas vraiment. Rendors-toi, il fait toujours nuit. On ne peut rien faire pour l'instant, autant se reposer.

Sans réfléchir, et parce que cela me semblait la meilleure et l'unique chose à faire, je me décalai pour lui laisser une place avant de lui ouvrir les couvertures. M'imitant, il ne prononça pas un mot, se contentant de m'interroger d'un regard surpris et hésitant.

— Tes cernes rivalisent avec des cocards de boxeurs. Viens te reposer, finis-je par lui ordonner gentiment.

Il se leva avec raideur, encore incertain, mais finit par se glisser à côté de moi, étrangement gêné et mal à l'aise. Je ne dis rien et me contentai de rabattre les couvertures sur nous, avant de caler ma tête au creux de son épaule et de fermer les yeux. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant