Chapitre 43-1

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Nous nous mîmes aussitôt à la recherche de Jude et de la très précieuse information, qui nous fut confirmé une dizaine de minutes plus tard. Gabriel s'attela immédiatement à la tâche et je suivis son pianotage intensif avec fébrilité. Son plan était simple, risqué, mais s'il parvenait à faire ce qu'il souhaitait, on pourrait au moins éviter le maximum des dommages collatéraux qui m'empêchaient d'agir.

Son idée était de pirater la ligne de téléphone de la communauté de mon père, qui avait certainement était mise sur écoute à distance par Kane. S'il y parvenait, nous pourrions les prévenir et leur permettre de s'enfuir.

— Je comprends ton plan, tu veux attirer Kane chez Charles et c'est une bonne idée mais, comme il nous l'a déjà prouvé, il est loin d'être idiot ! Ce n'est pas parce qu'il ne peut pas y pénétrer qu'il ne fait pas surveiller les abords de la communauté. Et, passages enterrés ou non, il comprendra ce qu'il se passe à la seconde où ses sbires le préviendront d'un nombre subit et anormal de métamorphes émergeant dans les bois ! souligna Jude, le fatigue et l'anxiété durcissant son visage. Sans compter qu'ils risquent de s'en prendre à eux.

— Raison pour laquelle j'assure mes arrières avant, en vérifiant que ce dinosaure me permettra de faire ce que j'ai à faire.

— Toi, tu as autre chose derrière la tête ?

Worth s'arrêta de martyriser le clavier et dans un mouvement fluide malgré sa fatigue, se tourna vers Jude, toujours appuyé contre le mur.

— Tenter de faire d'une pierre trois coups. Faire faire un gros coup de filet à la police, redonner une bonne image des métamorphes et méta-humain, comme ils aiment à m'appeler maintenant dans les média ! persifla-t-il avec une grimace. Puis, pour finir, éliminer Kane.

— Et tu comptes faire tout ça... à deux ? Parce que tu es bien conscient que nous sommes loin, surveillés et que nous ne laisserons pas le camp sans une défense digne de ce nom ?

— Une fois que j'aurais tout préparé et calibré, quelqu'un d'autre pourra gérer l'aspect informatique sans problème. Il faudra juste être bien coordonné. J'aurais aussi besoin de mes hommes, de deux ou trois des tiens et de Cooper, s'il est d'accord.

Je vis Jude réfléchir intensément. A sa tête, il pesait la faisabilité ainsi que le pour et le contre de l'idée de dingue de Gabriel.

— Pour Allistaire, il faut que tu voies directement avec Cooper. Le côté loup-garou nouveau-né, c'est lui qui gère. Monroe... n'a pas l'air en état d'aller où que ce soit, du moins d'après Patience. Je ne peux pas t'en dire plus car elle refuse systématiquement qu'un homme s'approche d'elle.

Je sentis la culpabilité me tomber dessus comme une chape de plomb. Depuis que nous étions ici, pas une fois je ne m'étais inquiétée du sort des deux agents, et pourtant ils avaient payé le prix fort pour s'être trouvé embarqué dans mes histoires. L'inquiétude et la culpabilité se lisaient sur le visage de Gabriel et pourtant, techniquement, tout était ma faute.

— Gérez la logistique, je vais tenter d'aller lui parler, m'entendis-je proposer, n'en revenant même pas moi-même !

— Toi ? Jouer les psys réconfortante ? faillit s'étrangler Jude en me dévisageant.

— Pour le réconfort, je crois que l'on repassera, ça ne doit pas être dans mes gênes ? tentai-je de plaisanter, me rendant aussitôt compte que cet aspect là non plus, n'était pas héréditaire chez moi. Par contre, je comprends ce qu'elle traverse et de quoi elle à besoin, ajoutai-je en me dirigeant vers la sortie avant de changer d'avis. Tu m'expliques où je peux la trouver ?

Quelques minutes plus tard, je me trouvais debout devant une porte close, un nouveau mug fumant à la main et l'air d'une gourde ! Dans un geignement intérieur, je me demandai au moins pour la millième fois ce que je foutais là, avant d'oser enfin frapper à la porte que j'ouvris dans la foulée.

La chambre était spartiate et aveugle, et seules quelques bougies l'éclairaient. Monroe me tournait le dos, allongée sur le lit en position fœtale. Des vêtements propres et parfaitement pliés reposaient à l'extrémité du matelas aux draps non défaits.

— Monroe, c'est Hannah, je vous apporte du thé, tentai-je en avançant de quelques pas, me sentant parfaitement idiote.

— Allez-vous en !

— Non, lui répondis-je, retrouvant aussitôt mon assurance, tandis que je posais sans douceur la tasse sur la table de nuit. Ressasser et vous complaire dans votre malheur ne changera pas ce qu'il s'est passé !

Elle redressa légèrement la tête pour me foudroyer du regard, avant de la reposer sur l'oreiller. Mais j'avais vu ce que je voulais voir et ce à quoi je m'attendais de sa part... de la fureur.

— Vous n'êtes pas anéantie comme tout le monde le crois, vous être au contraire folle de rage ! lui balançai-je en la toisant de toute ma hauteur pour la faire réagir.

— Parce que vous êtes psy, maintenant ?

— Tiens, c'est la deuxième fois qu'on me la sort en dix minutes celle-là ! ricanai-je en lui tendant le mug. Vous avez peut-être oublié que vous n'êtes pas sa première victime ? Je suis passée par là et donc, la plus à même de comprendre ce que vous traversez.

— Comment pourriez comprendre ou compatir, vous êtes plus froide qu'un serpent ! me cracha-t-elle en envoyant valdinguer le mug d'un revers de la main, tandis qu'elle se redressait dans le même mouvement.

Le mug explosa en touchant le mur, répandant du thé aux épices et des centaines de petits morceaux de porcelaine dans toute la pièce.

— C'est vrai, vous avez raison, lui répondis-je en ignorant volontairement les dégâts. A votre avis, pourquoi suis-je comme ça ? A vous de voir si vous voulez suivre le même chemin de dénis et de renfermement que moi ?

Je la vis accuser le coup. Dans son survêtement trop grand et son coupe-vent de la police taché de sang, elle faisait vraiment peine à voir. Pourtant on n'avait aucune envie de la plaindre. Son regard nous l'interdisait.

— Pourquoi ne vous êtes-vous pas changée ?

— Je... je ne veux pas... j'en ai besoin pour...

Je comprenais ce qu'elle ressentait. Certaines victimes avaient besoin de tourner tout de suite la page, de nier, d'oublier et de passer à autre chose. D'autres, au contraire, avait peur d'oublier. Peur qu'en effaçant les traces de ce qu'il s'était passé, elles effacent aussi ce qui leur permettait de tenir. La rage. Cette rage qui bouillonnait et grossissait à l'intérieur de soi et donnait la force d'aller de l'avant. L'une des stratégies n'était pas meilleure que l'autre, elles étaient simplement le reflet de caractères différents, et Monroe et moi nous ressemblions plus qu'elle ne le croyait.

— Vous savez, ce que vous ressentez ne disparaîtra pas parce que vous avez pris une douche et changé de vêtements. Ce n'est qu'une impression. Vous êtes forte, une battante et vous vous en sortirez sans problème. Surtout que vous allez bénéficier de la meilleure des thérapies.

— De quoi vous parlez ?

— Je vous parle de sortir vos fesses de ce lit, de vous laver et ensuite de venir nous aider à régler son compte à cet enfoiré de Kane. Vous êtes partante ? 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant