Chapitre 6-1

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*Modifié le 25.03.22*


En une fraction de seconde mes réflexes reprirent le dessus, gommant momentanément toutes mes angoisses et interrogations existentielles. Ne subsistait plus qu'une terreur sourde mêlée de rage et d'impuissance, chassée avec effort de mon esprit, tandis que je me positionnai, les bras écartés, pour empêcher Monroe et Allistaire de se ruer hors de la cabine, comme ils en avaient visiblement l'intention.

— Mais qu'est-ce que vous foutez ? Barrez-vous de là ! m'invectiva Monroe, le regard hargneux et le ton agressif.

— Fermez-là ! lui ordonnai-je dans un chuchotement incisif en me tournant brièvement vers elle. Vous n'avez absolument aucune idée de ce qui risque de se trouver de l'autre côté...

— Je vous rappelle que nous faisons tous partie de la brigade des créatures surnaturelles, alors...

— ...alors, si vous connaissiez réellement votre boulot vous arrêteriez de beugler comme un âne ! S'il reste un seul métamorphe à cet étage, il sait déjà où nous sommes sans le moindre doute avec tout le vacarme que vous faite ! Alors, fermez-là ! leur ordonnai-je, exaspérée.

— Elle a raison, intervint enfin Worth qui avait été étonnement silencieux jusque-là. Écoutez-là ou restez ici, c'est aussi simple que ça.

Je lui jetai un bref coup d'œil avant de m'engager dans le couloir et le regrettai aussitôt. Son regard froid et blessé paru me transpercer le cœur. Ce n'était vraiment pas le moment de se laisser déconcentrer par des émotions et des sentiments malvenus. Je réenfilai donc ma cuirace avec l'aisance de l'habitude et sortant l'un de mes poignards partiellement dissimulés dans ma bottine, je m'avançai enfin dans le couloir.

Je n'étais venue que peu de fois, mais assez pour me souvenir que mon bureau se trouvait dans la partie gauche de cet étage tentaculaire, empli de bureaux des différentes sections administrative de l'A.C.M.N.C. La moquette beige, que j'avais toujours trouvé affreuse avait l'énorme avantage d'étouffer le bruit de nos pas, rendant notre arrivée silencieuse et furtive. Tout était calme et silencieux, beaucoup trop silencieux, on se serait cru dans un tombeau. Pourtant, excepté l'odeur de sang qui saturait mes sens surdéveloppés, rien ne pouvait laisser penser qu'un drame venait de se dérouler ici... jusqu'à ce que la topographie des lieux ne m'oblige à tourner à droite. Je me figeai, surprenant mes compagnons qui faillirent me percuter. Devant mes yeux, inscrit en lettres de sang dégoulinantes sur le mur blanc, un message précédé d'une flèche pointée vers la gauche, semblait me narguer.

Bienvenue Sweetie

Je sentis la main de Worth se poser sur mon bras et m'obligeai à prendre une grande inspiration tandis que je me dégageais de son contact. Je ne devais pas le laisser m'atteindre ! Ce psychopathe de Kane cherchait à m'affaiblir. En me transformant en victime, il gagnait sur les deux tableaux. Hors de question que je le laisse gagner !

— Faites une reconnaissance du reste de l'étage, ordonnai-je à Monroe et Allistaire de ma voix froide et implacable sans plus aucun souci de discrétion.

— Je n'obéis pas à vos ordres. Surtout quand ceux-ci sont débiles et contradictoires ! me provoqua Monroe, sans surprise.

— Eléa... essaya de temporiser Allistaire, sans le moindre succès puisqu'elle ne le laissa pas aller plus loin que la prononciation de son prénom.

— Quoi ? Nous ne devions pas faire le moindre bruit et restés groupé et maintenant elle hurle dans les couloirs qu'il faut que l'on se sépare ! Il n'y a que moi qui trouve ça louche ?

— Apparemment oui ! lui rétorqua Worth d'un ton bien trop calme et mesuré. Pour la dernière fois, ce n'est pas à toi de remettre en question ses ordres, c'est à moi. Si je ne le fais pas, c'est que j'estime qu'elle a raison, alors tu fermes ta grande bouche et tu obéis.

Sa voix implacable, saturée de colère rentrée me fit tourner la tête vers lui... il était méconnaissable. Ses traits paraissaient plus durs et ses yeux avaient viré à un bleu glacier pénétrant. J'entendis le hoquet de surprise de Monroe au moment où je me mettais entre Worth et ses hommes, mais le mal était fait.

— Si je vous dis d'aller inspecter le reste de l'étage, c'est parce que j'ai à présent la certitude que ce dernier est vide. On y trouvera que des cadavres, j'espère juste qu'ils ne seront pas trop nombreux, ajoutai-je d'un ton un peu moins agressif.

Je n'avais eu aucune intention de m'expliquer au départ, mais la pseudo-transformation de Worth en guerrier des glaces ne m'avait pas vraiment laissé le choix ! Je devais faire diversion, le temps qu'il reprenne ses esprits et le contrôle de ses yeux. Avec un peu de chance, ils croiront avoir tout imaginé, ou à un effet d'optique ? Depuis quand étais-je si naïve ? me persifla ma conscience, tandis que Monroe lui donnait raison en se déportant sur la gauche pour fixer Worth dans les yeux.

— Vous êtes quoi ? lui demanda-t-elle sans prendre de gants.

— Rien d'autre qu'un inspecteur de police qui en a jusque-là de ton insubordination ! lui répliqua-t-il sans se démonter, son regard de nouveau normal rivé à celui de sa collègue.

— Foutaise ! Je sais bien ce que j'ai vu. Allistaire, tu...

— Agent Allistaire, veuillez emmener votre coéquipière et sécuriser l'étage comme on vous l'a déjà ordonné plusieurs fois. C'est la dernière fois que je me répète.

Allistaire ne se le fit pas dire deux fois et attrapant Monroe par la manche l'entraina avec lui dans le couloir avant qu'elle n'ait le temps de répliquer une énième fois.

— Tu es certaine qu'ils ne risquent rien ? me demanda Worth sans me regarder, son regard toujours fixé sur le couloir désormais désert.

— Pourquoi tu me demandes ça ? Tu ne me fais pas confiance ?

— Je trouve seulement curieux que tu ne t'aperçoives que maintenant de la vacuité des lieux. La froide Hannah, aurait-elle des sentiments finalement ? me lança-t-il perfidement, en passant devant moi sans m'accorder un regard alors qu'il tournait à gauche dans le couloir.

Je m'empressai de le rejoindre, piquée au vif par sa remarque méchante mais pas totalement infondée. En temps normal, il ne m'aurait fallu que quelques secondes pour me rendre compte qu'aucun métamorphes ne se trouvaient plus ici. Mais mon cerveau était trop saturé de peurs et d'interrogations inutiles pour fonctionner à cent pour cent de sa capacité. Comme j'en avais toujours fait la triste expérience, les sentiments rendaient imprudents et inefficaces.

— Arrête ! N'ouvre pas cette porte ! lui ordonnai-je précipitamment en le découvrant, la main à quelques centimètres de la poignée de la porte de mon bureau.

Il interrompit instantanément son geste et se recula, son arme pointée sur le battant où mon nom s'affichait en de criardes lettres dorées ridicules.

— Il pourrait y avoir un piège, m'expliquai-je en m'approchant à mon tour. Il vaut mieux que je passe en premier.

Il faillit répliquer, mais finalement ne dit rien, me laissant prendre les risques pour nous deux. J'ouvris la porte d'un geste ultra rapide, envoyant le battant cogner bruyamment contre le mur, tandis que j'entrais dans la pièce d'une roulade. Je me stabilisai sans problème, accroupie au milieu de la pièce, mon poignard tendu devant moi.

La scène qui s'offrait à mes yeux, bien qu'horrible, n'était pas une surprise. Je m'y attendais depuis le coup de fil de Kane. La mort d'une femme que je n'appréciais même pas n'aurait pas dû me toucher autant et pourtant... je ne me rendis véritablement compte que je pleurais qu'à l'instant où Worth me releva de force en me tirant par le poignet, avant de me prendre dans ses bras. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant