Chapitre 45-1

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Les battements de mon cœur accélèrent encore, tandis que mes camarades resserraient les rangs autour de moi, gênant mes mouvements. D'un cri bref je leur ordonnai de s'écarter. A l'altitude où nous étions à présent, nous ne risquions plus rien d'un coup de feu venu du sol. De plus, le son était diffus et venait plus probablement de derrière nous, c'est-à-dire du camp. Avec la brume, ils n'avaient pas pu nous voir, mais avaient certainement compris que nous nous étions enfuis. Ivy réagit aussitôt et plongea en piqué avant de déployer ses ailes pour freiner brutalement et remettre le cap vers le refuge. Des cris furieux emplirent bientôt le ciel tandis que trois aigles furibonds fonçaient sur moi, cherchant à me faire faire demi-tour.

Ivy les esquiva sans effort, bien plus agile et preste que ces trois jeunes lourdeaux. Je devais les rejoindre, les protéger, les aider... la réalité transperça enfin l'instinct d'Ivy et ma panique, et je me forçai à ralentir. Les rejoindre ne servirait à rien. Je ne ferais pas la différence à moi seule... sauf si je me rendais, compris-je alors que cette prise de conscience me brisait le cœur car je savais que je ne le ferais pas. Non parce que j'avais peur, mais parce que cela ne servirait qu'à retarder l'inévitable et mettre ceux que j'aimais encore plus en danger.

La peur au ventre et la mort dans l'âme, je virai sur mon aile et fis demi-tour. Au bout d'environ une heure d'un vol stressant et chaotique, où je dus lutter à chaque seconde contre l'instinct d'Ivy qui ne pensait qu'à aller rejoindre son compagnon en danger, j'obligeai tout le monde à faire une halte à la cime d'un grand pin. Je me forçai à faire le calme et le vide dans mon esprit, seul et unique moyen de rasséréner Ivy. L'idéal aurait été que je puisse me transformer, même brièvement, mais cela était bien évidemment impossible. Le trajet allait déjà suffisamment m'épuiser sans que je n'y rajoute une métamorphose inutile. Lorsque nous repartîmes, j'attendis d'être certaine que l'on se soit suffisamment éloigné pour laisser les rênes à Ivy et laisser mon côté animal me ressourcer.

Si nous avions été des aigles naturels plutôt que des métamorphes, jamais nous n'aurions pu voler aussi longtemps. Mais nous étions plus gros, plus fort et plus endurant que nos cousins, ce qui nous permis d'attraper un courant favorable et de nous laisser porter. Lorsque nous arrivâmes aux abords de détroit, nous étions transis et à bouts de force. Même avec seulement trois haltes le trajet nous avait pris environ douze heures et je savais que Gabriel devait déjà être arrivé et nous attendre dans une planque sécurisé et protégé par magie dont seuls Worth, Jude et moi connaissions les coordonnées GPS.

L'envie de semer mon escorte était forte, alors que nous approchions de notre destination, mais la raison m'empêcha de gaspiller ma précieuse énergie inutilement. Plus nous approchions et plus l'espoir et la peur envahissaient mon cœur et mon esprit. Je survolais une première fois la centrale électrique à bonne distance, tentant de repérer d'éventuels pièges ou guetteurs embusqués, mais rien à l'horizon. J'amorçai donc ma descente et allait me poser sur les branches d'un grand chênes à une centaine de mètres de l'entrée de la centrale.

Jude avait choisi cet endroit car l'électricité et les oiseaux ne faisant pas bon ménage, ce n'était pas un endroit auquel Kane et ses hommes penseraient spontanément. Sans compter qu'il y avait un flot assez constant de voitures, camions et personnels pour que nous puissions passer relativement inaperçu, lorsque son contact viendrait nous chercher.

J'attendis encore quelques minutes, puis me laissais tomber souplement sur le sol meuble avant de me transformer. Après ce long vol et la fatigue accumulée, la métamorphose ne fut pas instantanée, mais elle se déroula néanmoins mieux que je ne l'avais craint et je retrouvai ma forme humaine au bout d'une dizaines de secondes seulement. Je dus attendre une poignée de minutes supplémentaires que les fourmillements et le léger étourdissement post-transformation ne s'estompe, puis je m'éloignai de quelques pas en sortant le téléphone jetable et intraçable de mon sac à dos. Seul le numéro de mon contact y était enregistré et je n'eus qu'à taper : « Nous sommes là », et envoyer le sms qui partit aussitôt dans un chuintement feutré. On se serait presque cru dans James Bond, pensai-je avec un petit sourire triste alors que les secondes s'égrenaient, augmentant ma tension et mon rythme cardiaque.

Cinq minutes plus tard, aucune réponse n'était encore apparue sur mon écran et ma tension était à son paroxysme. Redoutant un problème ou une nouvelle catastrophe, c'est à peine si je ressenti les vibrations caractéristiques d'une transformation en court. C'est avec effort que je parvins à détourner le regard du portable quelques secondes pour lancer le sac en direction de l'arbre. Je vis un bras fin apparaître et se saisir de la bretelle du sac-à-dos qui disparut aussitôt derrière le tronc.

— Pas de réponse ? me demanda une voix grave et douce à la fois quelques minutes plus tard.

— Non, me contentai-je de répondre de plus en plus inquiète et résistant à grand peine à l'envie de renvoyer un nouveau message ou pire, tenter de contacter Gabriel... ce qui aurait été une erreur de débutante.

La nouvelle venue ne dit pas un mot de plus et se contenta de s'approcher de moi, la fatigue et une inquiétude sincère durcissant ses traits. Elle était grande et même ses vêtements unisexe, trop grand d'au moins une taille, ne parvenaient pas à masquer sa silhouette à la fois élancée et musclée. Ses yeux chocolat étaient doux et se mariaient à la perfection à son teint et à ses cheveux d'ébène. Cette jeune femme respirait la sagesse et la loyauté et me plut instantanément.

— Je suis certaine que ce n'est qu'un léger contretemps, il va...

Un nouveau chuintement retentit pile à cet instant, me remontant le cœur dans la gorge. « Entrée nord – 10 minutes. », pus-je lire avec un soupir de soulagement, avant de ranger le portable dans ma poche et de ramasser le sac à dos.

— Désolée pour l'accueil, dis-je malgré tout à ma nouvelle camarade en me tournant vers elle. Quel est ton prénom ?

— Aaurie, me répondit-elle avec un petit sourire entendu. Contente que tu y es pensée. Je suis très fière de pouvoir servir sous tes ordres.

— Tu es militaire ? lui demandai-je, surprise par sa formulation.

— Oui... du moins je l'étais. Comme je ne me suis pas présentée à mon quart et ensuite au rappel de toutes les troupes, ils vont certainement comprendre ce que je suis.

— Tu ne t'étais pas révélée ?

— Non. Je voulais le faire et...

— Ton hésitation t'a très certainement sauvé la vie, lui dis-je d'un ton lugubre en commençant à marcher en direction du nord.

— Sûrement, me répondit-elle d'une voix attristée. Cette situation est pourrie, j'espère vraiment que cela va s'arranger.

Moi aussi, pensais-je lugubrement mais sans pour autant trouver la force de l'exprimer à voix haute. Nous continuâmes donc notre route dans l'herbe humide alors que le crépuscule s'installait, surplombée par les ombres furtives de nos deux compagnons. Nous longeâmes le grillage électrifié, jusqu'à atteindre un petit parking bétonné, où était garée trois voitures identiques arborant le logo d'une compagnie d'électricité. Un homme nous attendait, partiellement dissimulé par l'ombre d'un transformateur. Jude m'avait montré une photo de l'homme que nous devions retrouver, je saurais donc tout de suite si nous avions affaire à la bonne personne. Néanmoins, le fait qu'il se tienne dans l'ombre me dérangeait, ainsi que ce point de rendez-vous isolé et désert. Discrètement et sans ralentir l'allure je fis descendre la lame dissimulée dans ma manche d'un geste fluide du poignet et la gardait dissimulée le long de ma cuisse. Je vis aussitôt Aaurie récupérer l'arme qu'elle avait dissimulé dans son dos, tandis qu'elle se rapprochait légèrement de moi.

Je m'approchai prudemment et sur la défensive de l'homme, toujours méconnaissable à cette distance.

— Sortez de l'ombre, s'il vous plait, ordonnai-je d'un ton sec qui claqua étrangement dans le silence.

La silhouette s'exécuta aussitôt, avançant dans la lumière. La taille moyenne, les cheveux blonds et le visage poupin, étaient conforme aux traits du dénommé George sensé nous attendre et nous conduire au local sécurisé où, je l'espérais de toute mon âme, nous attendait Worth.

— Désolé pour le retard, mais votre message est tombé en plein milieu du changement d'équipe, m'expliqua-t-il avec un petit sourire d'excuse alors qu'il nous faisait signe de le suivre à l'intérieur.

Nous lui emboîtâmes le pas, nous laissant guider dans le cœur labyrinthique du bâtiment, bien consciente qu'ils venaient de nous mentir et qu'une minuscule tache de sang s'étalait sur le poignet gauche de sa chemise blanche. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant