Chapitre 46-1

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Bien trop consciente de la justesse de son analyse, je ne pus qu'encaisser en silence tandis que mon esprit cherchait toutes les solutions possibles à ce désastre imminent. Tremblante et tenant à peine sur mes jambes, je m'appuyai à contrecœur sur Monroe, réfléchissant toujours à toutes vitesse. Quelqu'un nous avait trahi, c'était une évidence et vu la complexité du piège élaboré ici, ils étaient certainement plusieurs. Mais pourquoi se contenter de m'affaiblir en m'épuisant ? Pourquoi ne nous avaient-ils pas criblés de fléchettes anesthésiantes dès que nous avions franchis la porte ? Quelque chose m'échappait. Mon regard dériva vers George, qui nous attendait toujours, tel un bon petit toutou. Une terrible envie de me jeter sur lui et de lui faire cracher tout ce qu'il savait (en plus de ses dents bien-sûr !), faillit me submerger et je dus lutter pour me contenir.

— Vous lui faites confiance ? me chuchota Monroe, en m'indiquant Aaurie d'un signe de tête.

Instinctivement je faillis répondre, oui, mais quelque chose m'arrêta. Je ne savais plus à qui me fier. La seule personne en qui je pouvais avoir une confiance totale se trouvait toujours étalée par terre, profondément endormis. Monroe aussi était fiable, mais sa fragilité émotionnelle combiné à sa haine profonde des métamorphes, tempérait sérieusement mon jugement. Je lui faisais confiance, mais je ne pouvais pas me fier à elle à cent pour cent. A l'instant où mes yeux se posèrent sur Gabriel, toujours inerte dans les bras de Aaurie, quelque chose se déclencha.

Une force intérieur et dévastatrice me balaya tandis que notre lien s'embrasait soudain comme le soleil à son Zenith. Le feu, la glace, la terre et l'air, tout se mêla soudain en une seule unité qui vint se loger au creux de mon être. Une vague de pouvoir déferla soudain sur la pièce en un souffle puissant qui balaya tout plusieurs mètres à la ronde. Monroe, George, Aaurie et Worth, se retrouvèrent projetés à travers la pièce sous mon regard transformé. Ma vue déjà plus qu'excellente d'ordinaire avait encore gagné en clarté. Mais cette fois-ci j'avais l'impression de voir réellement les choses pour la première fois. Comme si, à présent je pouvais distinguer leur essence profonde.

« C'est le cas. », retentit soudain dans mon esprit la voix mentale, forte et claire de Gabriel. « Je ne sais pas ce qu'il vient de se passer, mais... je me sens enfin... entier. A présent tu es là, vraiment, je te ressens au fond de moi... tout est enfin... parfait et à sa place. »

Et c'était vrai, compris-je émerveillée, en sondant mes nouvelles perceptions. Il était là, présent dans mon esprit, à l'intérieur de mon être. C'était une sensation apaisante et naturelle, comme une vieille couverture douce dans laquelle on s'enroule avec bonheur. Nous pouvions communiquer sans effort, sans même y réfléchir. Nos émotions, nos pensées, nos souvenirs, nous partagions tout comme un seul esprit commun. A l'instant où je pris conscience de cela, mes barrières se reformèrent presque instantanément et un rire chaud et cristallin m'enveloppa.

« Ah, mon Hannah, je te reconnais bien là ! », s'esclaffa Gabriel. « Mais ton esprit a raison, une telle fusion ne serait pas souhaitable constamment, nous devons pouvoir protéger chacun notre petit jardin secret. Et pour une fois, que tu sois une maniaque du contrôle me sera bien utile ! », continua-t-il tandis qu'il puisait la technique dans mon esprit et érigeait à son tour des barrières mentales saines et stables.

La sensation d'euphorie et de bien-être qui m'habitait depuis ce phénomène inattendu s'atténua brusquement, tandis que je redevenais de nouveau l'unique propriétaire de mes pensées. Un brusque élan de panique m'envahit à l'idée d'avoir perdu le lien... mais non, il était là, toujours stable et fort, simplement tenu à distance par nos barrières respectives que nous pouvions lever à tout moment. Pour me rassurer, je baissai doucement mon bouclier et fus de nouveau nimber de sa douce et apaisante présence.

« Gabriel, il faut que tu te réveilles, nous sommes en danger ! », lui dis-je, subitement rattrapée par l'urgence et la précarité de notre situation.

« Parce qu'ils nous arrivent de ne pas y être ? », me répondit-il d'un ton moqueur, tempéré par l'inquiétude sourde que je sentais monter en lui. « Ils m'ont drogué. Je ne sais pas combien de doses de leur saloperie ils m'ont injecté, mais j'ai beau essayé, je n'arrive pas à me réveiller. »

« Oui, je sais, Monroe me l'a dit. Il faut que tu purges ton système en accélérant ton métabolisme. »

« Je te rappelle que je ne suis toujours pas et ne serais jamais un métamorphe, je ne peux pas faire ça ! »

« Maintenant que notre lien est complet, si. », lui affirmai-je. « J'en suis certaine, je le ressens. », expliquai-je rapidement, pressée par l'angoisse qui ne faisait que croitre. « Je vais te guider. Fais-moi confiance. »

« Toujours. », me souffla-t-il alors que j'amorçais déjà le processus.

C'était un mécanisme naturel chez les métamorphes. Il nous permettait de vivre plus longtemps que les humains, d'être immunisé contre presque toutes les maladies et les poisons et presque insensible aux molécules chimiques. Les sédatifs fonctionnaient sur nous mais à forte dose et pas longtemps. En cas de force majeur, notre corps boostait encore le phénomène, non sans conséquence énergétique, mais je préférai un Worth crevé mais réveillé, à un Gabriel en pleine forme, mais H.S ! Je baissai encore un peu mes protections, et je le sentis faire de même de son côté. Dès l'instant où nous fûmes de nouveau fusionnels, tout se fit naturellement. Je le sentis emprunter ma capacité et s'en servir comme s'il l'avait toujours fait ! J'attendis le temps nécessaire, puis remontait mes barrières et propulsait de nouveau ma conscience dans mon corps.

Lorsque je rouvris les yeux, tout me parut irréel. La scène était identique à mon dernier souvenirs conscient. Comme si notre conversation mentale n'avait en fait duré que quelques secondes. Sonnée, comme si je sortais d'un match de boxe, je fis un pas hésitant vers Gabriel qui avait lui aussi ouvert les yeux et me fixait d'un regard encore un peu trouble.

— C'était... dingue ! C'est toi qui a fait ça ?! s'étonna-t-il d'une voix pâteuse, tandis que je l'aidais à s'assoir.

— La fusion de notre lien à eu des conséquences... inattendues !

— ça c'est le moins qu'on puisse dire ! gémit Monroe en grimaçant, une main sur les côtes. Heureusement que j'ai été boosté au sang de super piaf grincheux, sinon je serais toujours dans les choux !

Elle finit de se relever et se dirigea lentement et à pas prudents vers George, qui contrairement à Aaurie, n'avait toujours pas repris ses esprits. Elle se pencha vers lui et lui secoua sèchement le bras avant de froncer les sourcils et de s'accroupir près de lui.

— Lui, il a son compte.

— Il est mort ? s'étonna Aaurie, en rejoignant Monroe d'une démarche rapide.

— Vérifie, si tu ne me crois pas ?

— Il a la nuque brisé, constata-t-elle sans grande émotion.

— Aïe ! grimaça Monroe d'un ton ironique qui me rappela quelqu'un. Le mur a gagné !

— Dommage pour lui, mais c'est plutôt un bon point pour nous, enchaîna aussitôt Aaurie. Cela nous laisse une chance de nous enfuir. Barrons-nous d'ici. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant