Chapitre 34-2

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N'attendant aucune réponse de ma part, que je ne lui aurais de toute façon pas donné, il s'éloigna un sourire satisfait aux lèvres, nous laissant aux mains de ses hommes. Celui qui me tenait desserra légèrement son étreinte pour me passer des menottes. Je vis, l'un de ses collègues procéder pareillement avec Worth, puis ils nous poussèrent rudement en avant, en prenant bien garde à ce qu'il n'y ait pas de contact visuel entre nous. J'aurais pu me libérer facilement de mes entraves, de simples bracelets d'acier, mais le fait que cela soit si simple m'en dissuada. C'était forcément un piège pour nous forcer à tenter de nous échapper, connaissant Kane, certainement par pur sadisme ! Worth étant blessé et les raisons qui le poussait à me vouloir vivante me dépassant toujours, je décidai de jouer la docilité et d'attendre un moment plus favorable pour tenter ma chance.

Nous nous enfonçâmes dans le commissariat, refaisant presque le même chemin que le funeste jour où j'étais venue demander l'aide de Worth. Partout, les traces de luttes étaient visibles, mais heureusement plus aucun corps ne gisait parmi les débris. La lumière blafarde des éclairages de secours, la poussière et la fumée qui filtrait jusqu'à l'intérieur, rendait l'atmosphère trouble et difficilement respirable. Avec effort, je concentrai mon attention sur tous les détails que je pouvais glaner, espérant découvrir un indice sur ce qui nous attendait. Un gémissement sourd résonna soudain et je tournais machinalement la tête vers Gabriel.

— Regarde devant toi ! m'assena mon garde, en me poussant si fort dans le dos que je trébuchai et faillis m'étaler de tout mon long.

L'impérieuse envie d'Ivy de riposter et de faire taire cet abruti à coup de serres m'envahit, me terrassant presque. Je luttai de toutes mes forces pour ne pas me transformer et risquer nos vies à tous les deux. J'étais sur le point de perdre la bataille lorsqu'elle me parvint... une aura de chaleur et de rage qui avait l'odeur caractéristique de Worth. S'il perdait le contrôle maintenant, blessé, épuisé et au comble du stress, il risquait de devenir impossible à stopper et nous mourrions tous, lui y compris. Ma peur réussi là ou ma conscience avait échoué et je pus reprendre le contrôle sur Ivy.

— Laissez-moi voir comment il va, ou je ne bougerai pas d'ici ! affirmai-je d'une voix sourde et menaçante en me retournant vers nos geôliers.

— Laissez-là donc faire ! cria Kane dans un petit rire malsain, depuis les entrailles du bâtiment.

Dans un rictus agacé, le garde retint la gifle qu'il s'apprêtait à m'assener et dans un effort visible, s'écarta de deux pas sur sa gauche. Gabriel se tenait trois mètres derrière moi, dos vouté, tête baissée, des trainées de sang maculant son épaule et tout le côté droit de son tee-shirt. Gênée par mes mains entravées, je m'approchai plus lentement que je ne l'aurais voulu sous les regards mauvais et scrutateurs des gardes.

— Worth, ça va ? lui demandai-je en me rapprochant de lui autant que je l'osai.

Il releva brusquement la tête et des iris rouges incandescents me renvoyèrent mon regard.

— Éloigne-toi de moi, me chuchota-t-il dans un murmure tremblant, son visage métamorphosé par l'épuisement, la douleur et la concentration qu'il devait maintenir pour garder la bride sur son pouvoir. Ne me touche pas ! gronda-t-il alors que je me penchai vers lui pour lui chuchoter à l'oreille.

— On dirait qu'il y a de l'eau dans le gaz ! s'esclaffa l'un des métamorphes en partant d'un rire bête.

— Il faut que tu tiennes le coup. Nous devons attendre le bon moment pour tenter notre chance ! murmurai-je précipitamment, me servant des rires moqueurs qui fusaient pour couvrir mes paroles.

— J'essai, mais... si je perds le contrôle, promets-moi que tu en profiteras pour t'enfuir.

J'allais lui répondre lorsque l'on me saisit rudement par le bras, m'écartant sans ménagement de Worth.

— Très bien, ça suffit maintenant ! Contrairement à mes collègues décérébrés, je comprends parfaitement ton petit jeu ! Alors soit tu avances, soit je le bute ! Maintenant bouge !

Craignant que ses menaces ne finissent de faire disjoncter Gabriel, je m'empressai d'obéir. Curieusement, je n'avais pas peur de ces hommes. Tout en marchant vers les profondeurs du bâtiment et les horreurs qui nous y attendaient certainement, je pris conscience que je n'avais même plus peur de Kane. Je craignais son sadisme et un peu la douleur qu'il pourrait m'infliger, mais plus l'homme en lui-même. Il m'avait fait tout le mal qu'il pouvait me faire, modifiant mon être et ma personnalité sans que je ne m'en rende compte. Aurais-je été différente si je n'avais jamais croisé sa route ? Certainement. Cela aurait-il fait de moi une meilleure personne ? Ça, je ne le saurais jamais ! Néanmoins une chose était certaine, quoi qu'il me fasse je l'encaisserais, mais je ne le laisserais pas faire du mal aux personnes que j'aimais. Ma prise de conscience m'ayant un peu rasséréné, je redressai les épaules et c'est la tête haute que je pénétrai... en enfer !

Les néons, qui par un quelconque miracle fonctionnaient parfaitement, éclairaient la salle des cellules d'une lumière dure et crus qui accentuait encore l'horreur du spectacle s'étalant sous nos yeux. J'entendis Worth réagir instantanément, presque aussitôt suivi du bruit sourd et caractéristique d'un coup bien appuyé. Je me forçai à rester stoïque, bien que l'effort que cela me demanda fut étourdissant.

Trois cellules meublaient le fond de la pièce rectangulaire. Un banc en acier rivé au sol et surmonter d'une barre du même métal, courrait tout le long du mur d'en face. Une petite dizaine de blessés étaient menottés aux barreaux des cages gauche et droite. Certains inconscients et d'autres nous lançant un regard désespéré alors que nous entrions. Mais le clou du spectacle, ce qui avait fait réagir Worth, se trouvait pile devant nous.

Une femme, nue à l'exception de ses sous-vêtements, la peau marquée de nombreuses estafilades sanglantes et de traces de coup, était attachée les membres en croix aux barreaux de la cage du milieu. J'avais compris de qui il s'agissait à la seconde où mes yeux s'étaient posés sur elle. Mais voir le regard hanté de Monroe se fixer sur moi, une lueur d'espoir traversant ses prunelles ternies par la douleur, me fit un choc. Je résistai à l'envie impérieuse de détourner le regard de ce triste spectacle, cela me remémorant trop de mauvais souvenir. Pourtant je tins bon.

— Alors, le spectacle vous plait, j'espère ? claironna Kane, en apparaissant de derrière le corps de Monroe, un couteau ensanglanté dans la main. Je dois dire que votre amie s'impatientait de votre arrivée.

— Que veux-tu, à la fin ? lui demandai-je d'une voix froide et calme qui résonna étrangement entre les murs nus et couverts de taches écarlates.

— Ce que j'ai toujours voulu... toi, évidemment.

« Il ment, c'est moi qu'il veut ! Fuis ! »

L'influx mental me percuta encore plus puissamment qu'à l'hôpital, envahissant ma conscience durant quelques secondes.

« Je ne peux pas fuir ! », répondis-je machinalement sans même réfléchir. « Je dois attendre le bon moment pour avoir une chance de sauver tout le monde. »

Mes pensées semblaient fuser le long du lien psychique qui venait de s'établir, sans aucun effort conscient de ma part. Comme si mon interlocuteur mystère puisait les réponses directement dans mon inconscient.

« Non ! Il ne doit pas t'avoir, sinon il me contrôlera et tout sera perdu ! Fuis, tout de suite ! »

L'ordre me percuta comme un train de marchandise et je sentis une force inouïe s'engouffrer en moi.

« Qui êtes-vous ? » parvins-je à penser alors que la métamorphose s'emparaitde mon corps sans que je l'ai voulu, scellant notre destin. 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant