Chapitre 35-2

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Ma conscience se fit intermittente et j'ouvris les yeux à plusieurs reprises sans parvenir à focaliser mon attention sur ce qui m'entourait, ni à trouver la force de rester éveillée. J'avais la sensation et l'impression de mouvement, mais rien, pas même la pointe d'angoisse qui me traversa à un moment, ne parvint à me sortir complètement du sommeil comateux dans lequel j'avais sombré.

***

La chaleur qui enveloppait mon corps, associée à la fraîcheur de l'air pénétrant dans mes sinus, parvint enfin à crever le lourd voile de ma torpeur insidieuse et j'ouvris les yeux. Cette fois, éveillée pour de bon, j'analysai aussitôt mon environnement avant d'oser faire le moindre mouvement. L'air frais et humide collait mes cheveux moites de sueur à mon crâne. Je me sentais vulnérable et sale et rien dans mon entourage proche ne me permettait de savoir où je me trouvais. La peur et l'angoisse firent leur retour en fanfare, inondant mes veines d'adrénaline tandis que je testai prudemment l'amplitude possible de mes mouvements.

— Nous n'avons pas l'habitude de ligoter nos invités à leur lit, Hannah, tu peux te détendre !

Bien que sa voix fût lasse, j'aurais reconnu son ton légèrement moqueur et son humour sarcastique n'importe où !

— Jude ! expirai-je dans un soupir de soulagement que je ne pus réprimer, en me redressant aussitôt sur mes coudes.

La tête me tourna instantanément et je dû fermer les yeux pour endiguer la valse infernale qui menaçait de me faire vomir mes tripes.

— Qu'est-ce qui s'est passé ? demandai-je dans un gémissement atterré, tandis que Jude m'aidait à m'assoir en me calant le dos avec l'oreiller. Où... on est où ? Comment tu nous a retrouvé ? Où est...

— Oh là, tout doux ! m'interrompit-il avec un petit sourire, en me tendant un verre d'eau. Nous venons juste d'arriver et nous sommes au refuge des chutes...

— Chez ton père ? demandai-je, alors que mon cerveau prenait enfin conscience de l'endroit où je me trouvais.

Les murs de pierres brutes, la fraicheur humide de l'air et la pénombre oppressante... nous étions dans une grotte. Ma respiration et les battements de mon cœur s'accélérèrent aussitôt, de funestes souvenirs envahissant mon cerveau et l'inondant de cris horribles et d'odeurs de sang. Celui de Jude et de Worth. Un étau semblait me comprimer la poitrine. J'avais conscience que ces événements étaient passés, mais depuis notre incarcération et les tortures qui s'en était ensuivies dans les mines de la communauté du père de Jude un an auparavant, je supportais difficilement les espaces clos, sans parler des grottes !

— Je t'avais dit que c'était une mauvaise idée !

La voix anxieuse et contrariée de Gabriel sembla se poser sur ma panique comme un baume, tandis qu'une étreinte rassurante m'enlaçait, chassant l'angoisse de sa chaleur et de son odeur réconfortante.

— Si tu crois que l'on peut faire les difficiles ! En si peu de temps et avec autant de blessés graves sur les bras, je n'avais pas vraiment d'autres options !

— Oui, tu as raison, désolé ! Mais c'est toute cette situation...

— Ouais. Ça n'aurait pas pu plus mal tourner, continua Jude d'un ton lugubre. Maintenant que tu es là, je vais aider à organiser l'installation. Dès que c'est prêt, je viens vous chercher.

J'entendis ses pas décroître à mesure qu'il quittait la caverne où nous nous trouvions, nous laissant seuls tous les deux dans un silence ouaté. Je laissai ma respiration se calmer et les battements de mon cœur décélérer. En temps normal, jamais je n'aurais accepté de me laisser réconforter de la sorte comme une petite chose fragile et vulnérable. Je commençai à me dégager doucement des bras de Worth, lorsque l'odeur de sang satura soudain mon odorat, me replongeant dans l'enfer de mes souvenirs et me faisant disjoncter. La panique d'Ivy s'ajoutant à la mienne, je commençai à m'agiter, ouvrant la bouche spasmodiquement à la recherche de l'air qui ne parvenait plus jusqu'à mes poumons. J'étouffais. Il était en train de mourir et je ne pouvais rien faire pour l'aider, l'air que je lui insufflais ne suffisait pas et je...

La claque déchira le silence et ma panique, tandis que ma tête partait en arrière sous la violence du choc. Ma trachée se rouvrit d'un coup, envoyant l'air salvateur jusqu'à mes poumons, tandis que le son revenait en rugissant dans mes oreilles m'apportant les paroles rassurantes de Worth.

— Hannah ! Hannah, je vais bien. Je suis blessé mais je vais bien ! Hannah, regarde-moi.

Sa voix essoufflée et légèrement voilée me fit enfin lever les yeux vers lui. Ses traits étaient tirés, déformés par l'effort qu'il faisait pour me contenir, mais c'est la souffrance qui crispait ses yeux qui me fit reprendre mes esprits et me figer net entre ses bras. La réalité me percuta, chassant la panique de mes souvenirs traumatiques, lorsque je vis le filet de sang qui suintait de sa blessure à l'épaule. C'est alors que je me mis à trembler et que des larmes se mirent à dévaler mes joues en silence.

— Je suis... je suis désolée ! J'ai rouvert ta blessure, parvins-je à marmonner en tentant de m'éloigner de lui. Je ne sais pas ce qui m'a pris, je...

— Moi je sais et tu n'as pas à t'excuser, me répondit-il farouchement en intensifiant son étreinte.

— Arrête, tu vas te faire mal !

— Alors cesse de résister. Tu n'es pas la seule que cet endroit renvoi en enfer, me murmura-t-il à son tour d'une voix fragile, en enfouissant son visage dans mon cou.

Percevant sa fragilité et ses propres angoisses sous la fatigue et la douleur, je me laissai enfin aller, lui rendant son étreinte.

— Je ne savais pas que... tu m'avais fait du bouche à bouche. En fait, hormis les tortures, je ne me souvenais de rien d'autre.

— Je ne sais même plus si c'était réel. Lorsque les cauchemar ont commencé, chacun était pire et plus détaillé que le précédent. Dans les plus atroces, je ne parvenais pas à te sauver et tu mourrais dans mes bras, lui avouai-je dans un souffle.

— C'est pour cela que tu m'évitais et refusais mes appels ?

Pendant un moment, je ne dis rien, résistant à l'envie de relever la tête pour sonder son regard. Espérant sans doute y trouver une réponse que je ne connaissais pas vraiment moi-même.

— L'odeur de ton sang m'empêche de réfléchir ! finis-je par lui sortir en le repoussant doucement. Pourquoi ne t'es-tu pas fait soigner ?

— Si je n'avais pas l'épaule en vrac, j'applaudirai ce si subtil changement de conversation ! se moqua-t-il gentiment, sans pour autant tenter de me retenir.

— Alors ?

— Répond à ma question et je répondrai à la tienne.

— Tu le sais pourquoi, je te l'ai déjà dit.

— C'était avant de savoir que je peuplai tes cauchemars.

— Tu ne vois donc pas que tout est lié ? Tu peuplais mes cauchemars, comme tu dis, car éveillée ou endormis je ne cessais de penser à toi ! Et ça me foutait une trouille bleue !

Il me fixa intensément, paraissant chercher dans mon regard les choses que je ne disais pas. Il entrouvrit les lèvres pour parler puis se ravisa.

— La guérison est amorcée. Ton don de sang, fonctionne encore. C'est pour cela que je ne me suis pas fait soigner, d'autres en avaient plus besoin que moi, finit-il par m'expliquer d'une voix maîtrisée.

— Comment vont Allistaire et Monroe et... comment s'est-on retrouvé ici ?

— Ils vont... aussi bien que possible étant donné les circonstances. Leurs vies ne sont plus en danger, mais...

Des bruits de pas résonnèrent et nous tournâmes tous les deux la tête vers la source du bruit.

— Le reste des explications peut attendre que vous soyez mieux installé, je pense ! nous dit Jude avec un petit sourire. Un vrai repas et une bonne douche, ça vous tente ? 

Elémental - Transfiguration Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant