Chapitre 12.2 - Steven

58 11 9
                                    

Ce qui m'effraie le plus, c'est que rien ne soit encore arrivé, songea Steven.

Contente-toi de rester alerte, répliqua le Vora.

Le voleur marchait en tête du groupe, à côté de Sinirielle, tandis qu'ils avançaient dans un long couloir identique à tous ceux qu'ils avaient parcourus durant les heures précédentes.

Jusque-là, il ne voyait pas très bien pourquoi le passage sous le détroit avait été surnommé « le labyrinthe ». Dans les faits, la seule fois où ils avaient dû choisir entre deux chemins avait été à la sortie de la salle aux épaves, et ils avaient aisément compris que l'un partait en direction de la Calorélia et l'autre d'Icataïl.

Bien sûr, certaines traces laissaient penser que le trajet n'était pas supposé être de tout repos, comme la quantité invraisemblable de pièges — lames, piques, trappes, projectiles et autres amusements — qu'ils avaient rencontrés au fur et à mesure de leur progression.

Ils étaient heureusement tous déjà déclenchés ou détruits, et les seules conséquences qu'ils avaient eues sur le groupe avaient été de provoquer un redoublement d'attention général et des réflexions supplémentaires.

Visiblement, les nombreux aventuriers qui devaient les avoir précédés dans le réseau de galeries souterraines — certains étant sûrement des Élus — avaient procédé à un grand nettoyage pour sécuriser l'endroit. Mais vu l'ancienneté des rares traces toujours visibles, la destruction systématique des installations offensives semblait avoir eu lieu extrêmement longtemps auparavant... alors comment se faisait-il que le labyrinthe soit toujours considéré comme un endroit dangereux, un traquenard géant dont on ne sortait pas ? N'était-ce qu'un mythe, ou les pièges servaient-ils de pâles avertissements pour ce qui allait suivre ?

La seule façon de le savoir était d'avancer. Et puisqu'il était facile de se laisser gagner par l'ennui dans ces lieux empreints de froideur et de mélancolie, Steven avait décidé de s'occuper en suivant une idée qu'il avait eue quelques jours plus tôt : donner ses armes à ceux de ses compagnons qui en feraient un meilleur usage que lui.

Sur la péniche, il avait fait dupliquer plusieurs fois le pistolet qui lui restait, et Invear lui avait aussi fourni suffisamment de munitions pour tenir un bon moment. Si le manipulateur de matière avait été étonné par la requête, il ne l'avait pas montré, et personne d'autre n'avait fait de remarque sur l'utilité de transporter simultanément quatre armes qui ne pouvaient chacune s'utiliser qu'à une, voire deux mains.

Mais Steven n'avait justement plus l'intention de s'en servir. Un flingue était par essence un outil utilisé pour attaquer ou se défendre, ce que le Vora lui permettait de faire bien mieux, tout en lui évitant d'avoir à se préoccuper en permanence du nombre de cartouches qui lui restaient.

En conséquence, il les avait léguées, avec leurs holsters, à Gheor, Sinirielle et Nova.

Le militaire, parce qu'il savait déjà plus ou moins s'en servir, même si le canon réduit qu'il trimbalait en débarquant dans la Syoa Altede tenait plutôt du croisement entre un fusil à silex et un revolver du Far West.

L'Ele, parce qu'elle était bien plus précise que lui et n'avait pas retrouvé d'arc qui lui convenait.

Et enfin l'androïde parce qu'il n'était pas sûr qu'elle ait quelque chose d'autre pour se défendre. En outre, si elle avait un minimum de points communs avec les robots des histoires de science-fiction qu'il lisait étant adolescent, elle devait être capable de manier deux pistolets en même temps et faire mouche à chaque coup.

Et c'est donc en pleine discussion sur le maniement des armes à feu, environ quatre heures après la chute de l'Aramian, que Steven débarqua, toujours en tête du groupe, dans une large salle éclairée par une lumière blanche et pure dont la source n'était pas visible.

Le soudain changement d'environnement le perturba — après tout, le long et morne couloir de pierre leur avait tenu compagnie tout le long —, mais pas autant que le miroir qui couvrait l'intégralité de la paroi du fond.

Il n'avait pas de bordure visible, pas d'imperfections, pas de marques, rien de spécial...

Mis à part qu'il ne se contentait pas de refléter la salle et ses occupants.

Dans le miroir la porte par laquelle ils étaient entrés n'était pas visible. À la place, il y avait un grand disque parcouru par un phénomène blanc et tournoyant, ressemblant à celui que Belvi avait créé pour les envoyer à Katheba.

— Un portail, constata Iria, le nez touchant presque son reflet. Quelqu'un m'explique comment c'est possible qu'il n'apparaisse que dans le miroir ?

Flamos haussa les épaules :

— Magie.

— Ah oui, merci, j'avais complètement occulté cette réponse évidente. Mais comment on va faire pour y parvenir, hein ?

— Magie, répéta le gladiateur.

— Bien sûr. Invear, dis-moi que tu sens quelque chose.

Le front du manipulateur de matière se plissa tandis qu'il réfléchissait :

— C'est...

Il n'eut pas le l'occasion de finir sa phrase. Alors qu'ils étaient presque tous parfaitement alignés devant la surface réfléchissante, un craquement sonore retentit et une large fissure s'y propagea rapidement de bas en haut.

CE N'EST PAS UN MIROIR ! hurla le Vora à l'intention de Steven.

Ce dernier eut juste le temps de crier « Attention ! » pour prévenir ses compagnons avant qu'il ne sente une surcharge d'énergie traverser son corps.

Immédiatement, il fut submergé par la sensation désormais familière du temps qui ralentissait. Devant lui, la fissure avait parcouru l'ensemble de la glace et celle-ci explosa en millions de fragments qui tombèrent au ralenti vers le sol comme des gouttes de pluie acérées, capturant au passage la lumière ambiante et la redistribuant à la salle au travers de milliers de reflets chatoyants.

Et derrière, l'espace d'un centième de seconde, il l'aperçut entre les fragments lumineux :

Lui-même.

Dans la même position, à équidistance de la cascade de verre, avec la même expression sur le visage. Une copie parfaite, mais inversée. Un reflet.

Accélère encore ! Il faut que tu parviennes à ton maximum avant lui ! insista le Vora.

Le voleur rassembla ses forces dans un effort de volonté et de concentration et obtempéra.

Le sifflement se fit plus insistant, les morceaux du miroir apparurent presque immobilisés dans leur chute. Quelque part sur la gauche, il y eut un flash de lumière.

Steven décolla. Il s'arracha du sol et se lança vers l'avant dans un bang sonique qu'il ne pouvait pas entendre, vit la friction causée par le contact de l'air jeter des flammèches autour de ses bras.

Il traversa la pluie cristalline figée, sentit les nombreux chocs sur son corps malgré la protection du Vora, se précipita vers sa cible.

Celle-ci était aussi en train de monter en puissance. Ses mouvements étaient bien plus rapides que ceux de la Nova numéro deux, qui se trouvait sur sa droite, mais toujours plus lents que ceux de Steven.

Trop lents.

L'impact fut d'une violence inouïe. Le voleur eut la sensation que son poing venait de passer à travers un mur de plâtre, et ce qui restait de son « clone » fut projeté plus loin, définitivement hors d'état de nuire.

Attention à ton énergie, avertit le Vora.

Steven se concentra,communiqua instinctivement avec le collier et réduisit le rythme endiablé qu'il lui avait imprimé, revenant progressivement au présent.    

Syol - Parallèle ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant