Chapitre 7.4 - Le destin du Scaripioso

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Toujours debout à la proue, Iria était devenue dix fois, cent fois, plus menaçante.

À vrai dire, elle semblait avoir disparu et à sa place se tenait ce qui ressemblait à une pure flamme de forme humaine.

Pourtant, c'était indéniablement Iria — les traits du visage étaient les mêmes, la taille correspondait, mais Evolène ne l'avait jamais vue ainsi. Ce n'étaient pas ses vêtements qui brûlaient ou la lumière qui l'éclairait d'ordinaire de l'intérieur lorsqu'elle invoquait ses pouvoirs, non, elle était intégralement embrasée, comme composée d'un mélange de feu et de lave.

Les yeux blancs comme du métal en fusion balayèrent les alentours, prirent la mesure de la situation. La créature élémentale ouvrit alors la bouche et parla d'une voix posée qu'Evolène ressentit comme une vague de chaleur :

Ejka ar Clova esel Irea... périssez !

Le dernier mot, le seul que la pierre avait traduit en basique pour l'Ele, avait claqué comme un ordre. Iria asséna alors dans le vide un coup de haut en bas, comme si elle avait frappé du poing sur une table, et l'enfer se déchaîna sur la Tene qui venait de s'accrocher à eux.

Une onde de feu calcina verticalement l'entier de la structure en bois en un instant, puis fut suivie du véritable incendie, comme si on avait recouvert le bateau de peinture liquide inflammable avant d'y envoyer une étincelle. Cinq secondes suffirent ensuite pour que les réserves de poudre soient atteintes, et le menaçant navire devint une boule de lumière.

Cependant, la Thanienne n'avait pas terminé son récital de mort. Son bras partit vers le ciel puis s'abattit en un mouvement circulaire, mettant la gigantesque masse gazeuse mortelle en mouvement et l'empêchant de se disperser.

Le brasier sphérique fila vers les nuages, laissant une traînée derrière lui comme une étoile filante, et ce malgré les efforts visibles du groupe de mages pour l'arrêter, avant de transpercer le pont de la troisième Tene à une vitesse époustouflante et de se confondre avec l'énorme explosion qui s'ensuivit.

Aussitôt, le vent faiblit un peu et de rares exclamations de joie furent lancées avant que les personnes qui en étaient à l'origine ne réalisent que la situation n'avait pas changé.

Mages ou pas mages, les dés étaient jetés et la bête marine pataude composée des deux navires restants, soudés l'un à l'autre, s'écrasa violemment sur la côte kaloréenne dans un fracas de fin du monde.


Evolène se retrouva sans repères. Le Scaripioso oscilla, heurta la Tene, racla le fond, se déchira sur les rochers qui jalonnaient sa trajectoire. L'Ele fut projetée contre le garde-corps, entra en collision avec quelqu'un, puis se cogna brutalement contre le grand-mât avant d'être balancée par-dessus bord, quasiment inconsciente.

L'impact avec la surface et la baisse de température qui suivit lui remirent les idées en place, mais elle était à la merci de l'océan comme un pantin entre les mains d'un géant, et ne pouvait rien faire d'autre que lutter pour garder la tête à l'air libre, tout en remerciant dans un coin de sa tête le destin de lui avoir fait abandonner son armure un peu plus tôt.

Alors qu'elle avait déjà avalé une importante quantité d'eau, elle fut violemment plaquée contre un récif par une vague et sentit distinctement plusieurs de ses côtes se fêler tandis qu'elle s'agrippait aux arêtes coupantes de toutes ses forces pour lutter contre le ressac. Se hissant ensuite au sommet d'un geste puissant, elle s'y effondra, haletante.

Autour d'elle, tout n'était que chaos. Des gigantesques pièces de bois, malmenées par la force liquide, avaient fini leur course sur une grande plage de sable et de galets, à une trentaine de mètres de sa position. Des cris de détresse, des appels au secours, se perdaient dans la nuit et dans la tempête qui faiblissait sans que personne ne soit en mesure de faire quoi que ce soit pour aider les naufragés.

Syol - Parallèle ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant