Chapitre 7.3 - Choc

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Se redressant, elle regarda d'abord autour d'elle pour s'assurer que personne ne tenterait de l'assassiner pendant les cinq secondes suivantes, puis palpa, à travers l'impressionnante déchirure des plaques de métal, sa peau qui sous le sang en surface ne présentait plus aucune blessure.

Incroyable, pensa-t-elle.

Son armure étant désormais plus encombrante qu'utile, elle en défit les lanières et la laissa s'écraser sur le pont avant de se tourner vers le gaillard avant.

Flamos s'y tenait toujours debout à côté d'Iria, qui, d'après ses exclamations rageuses, peinait à endommager la dernière Tene :

— Mages de pacotille avec vos tours à deux sous !

— Flamos ! interpella Evolène. Merci.

Elle lui lança son épée — qu'il rattrapa habilement — et lui adressa un signe de tête lourd de sens. Elle savait qu'elle ne devait sa survie qu'à son geste.

Cependant, rien n'était terminé. Elle chassa toute idée parasite de sa tête et arracha d'un geste sec la hallebarde à son écrin de bois. Elle la soupesa, fit quelques gestes techniques avec avant de s'estimer satisfaite, puis fonça vers l'arrière.

C'était la particularité d'Evolène qui la conduisait à se considérer comme une maîtresse d'armes. Des dizaines d'années d'entraînement et de combats lui avaient donné une expertise sans pareille et une affinité hors de l'ordinaire avec les « outils » de la guerre. En l'occurrence, quelques secondes lui avaient suffi pour prendre la mesure de l'arme d'hast, pour comprendre quelle serait la manière optimale de l'utiliser.

Elle put rapidement vérifier la théorie, car les attaquants étaient au moins deux fois plus nombreux que les défenseurs, sur le pont du Scaripioso. Heureusement, Kardal se tenait à bâbord et rejetait à la mer la majorité de ceux qui tentaient de passer sur le coursier et tous ceux qui se tenaient trop près de lui sur le pont, assénant des frappes destructives de ses poings métalliques, soulevant les combattants comme s'ils ne pesaient rien.

Evolène planta sa hallebarde dans le dos d'un Acolyte encapuchonné qui ne l'avait pas vue, puis brisa le bouclier d'un soldat qui affrontait Gheor.

Elle fut ensuite prise à partie par deux combattants en même temps, pour la seconde fois, mais l'engagement se termina rapidement. L'Ele avait en effet beaucoup plus de force que la précédente propriétaire de l'arme d'hast, et ses coups horizontaux étaient quasiment imparables. Se débarrassant promptement d'un de ses deux adversaires, elle vit le deuxième s'effondrer au sol, l'une des hachettes de Sinirielle plantée dans le dos.

Cette dernière virevoltait au milieu de la mêlée avec Steven et Teokrios, les trois protégeant Eaal, debout contre le grand-mât, qui soignait tour à tour les marins et les Élus, réduisant fortement l'avantage numérique qu'avaient les soldats du Sombre.

— Si on parvient à continuer comme ça, on a une chance ! affirma le capitaine du Scaripioso.

Comme pour lui répondre, un choc secoua le plancher de bois dessous leurs pieds : la troisième Tene manœuvrait un peu plus loin pour pouvoir plus aisément les bombarder et venait de les atteindre d'un tir hasardeux.

— Commençons par tous les balancer à l'eau et nous libérer des grappins et des harpons ! fit Gheor.

Evolène frappa un soldat avec la hampe de son arme, puis, dans un gracieux mouvement rotatif, lui décocha un coup de pied à la tête, le faisant tomber.

— Nettoyer le navire ? Plus facile à dire qu'à faire, grommela Steven.

Lui et l'Acolyte intégralement tatoué qu'il affrontait en duel étaient brusquement apparus à côté d'Evolène. L'Élu se battait avec une masse d'arme qu'il avait ramassée au passage, l'autre avec une épée classique.

La guerrière Ele tenta de le toucher avec la pointe de sa hallebarde, mais le soldat du Sombre possédait des réflexes impressionnants et il para aisément. En revanche, il ne put rien faire contre la rapidité de Steven, qui avait sorti son pistolet d'un geste invisible et lui tira dessus à deux reprises.

L'Ele abandonna sa hallebarde et s'empara de l'épée, qui était tombée sur le pont. Elle s'était à peine redressée qu'elle dut se jeter à plat ventre : une salve envoyée par la Tene qui se tenait à distance rasa le pont de la proue à la poupe, fauchant alliés et ennemis sans discrimination.

Immédiatement après, des bruits métalliques sur tribord lui indiquèrent que le second vaisseau tentait de s'accrocher au Scaripioso de toutes ses griffes artificielles.

— Capitaine ! lança le timonier d'un ton désespéré. On ne contrôle plus rien !

Il pointait son doigt vers l'arrière, où il n'y avait rien de remarquable à première vue. Cependant, Evolène comprit vite où il voulait en venir.

La tempête, les vagues et la lumière de fin d'après-midi avaient jusque-là caché la masse sombre de la côte kaloréenne, qui se dressait, mur de pierre et champs de récifs, à moins d'une centaine de mètres d'eux. Et le Scaripioso, incapable de manœuvrer, soudé à un navire de combat qui avait l'agilité d'une brique, baladé par le vent qui ne faiblissait pas, s'y dirigeait à vive allure.

— Tuez leurs mages ! supplia un marin. Faites quelque chose !

Les gueules de mort de la Tene où étaient regroupés lesdits mages crachèrent une fois de plus. Le coursier fut soulevé par l'impact, Teokrios tué sur le coup, Kardal projeté dans l'eau bouillonnante en interceptant un boulet avec son bouclier.

Des ordres précipités et des cris de panique se firent entendre sur les trois navires tandis que certains marins et soldats sautaient à l'eau. Il sembla à Evolène qu'ils prenaient encore de la vitesse. Ses yeux ne purent s'empêcher de fixer une arête rocheuse plus haute que la coque, située sur leur trajectoire.

Soudain, un son domina et étouffa le reste, un crépitement tellement brut et primitif qu'il fit se dresser les cheveux sur la nuque de l'Ele, elle qui était pourtant en train de contempler sans trop y penser ce qui allait causer leur perte.

Elle se retournabrusquement.

Syol - Parallèle ZéroOù les histoires vivent. Découvrez maintenant